2.3.3. Du cours d'Histoire

Chaque fois que des gens d'un certain niveau de formation discutent du problème des guerres interethniques au Rwanda, la question de l’Histoire réelle et de l’Histoire enseignée (officielle) ne manque pas. Elle se retrouve également dans les entretiens que nous avons eus et dans des réponses au questionnaire écrit.

A la question "‘Quelle approche éducative pouvez-vous proposer comme solution au Rwanda pour la reconstruction de l'éducation morale et intellectuelle des enfants ?", nous avons eu des réponses comme celle-ci : ‘’Aider les enfants à parler des questions taboues, notamment l'ethnisme. Evoquer le passé, l'accepter tel qu’il est, même s'il fut douloureux pour certains. Ceci exige qu'on enseigne toute la réalité objective de l'histoire du Rwanda. Dans le passé, on a par exemple idéalisé la monarchie; dans les jours récents, on sacralisait la révolution de 1959 alors que pour les Tutsi, elle signifiait massacres, exil, discrimination... Actuellement, on présente la date du 1/10/90 comme anniversaire de la libération. Si ceci est vrai pour les Tutsi de l'ancienne diaspora, ce n'est pas réjouissant pour tous les rwandais de l'intérieur qui en ont souffert de diverses manières : guerre, génocide, massacres, exil, représailles, violation du droit de propriété et autres abus. Il faut donc enseigner, sans détour, toute l'histoire réelle du Rwanda. Elle fut souvent dramatique, et il me semble qu'on ne peut pas éviter les dégâts futurs, sans montrer aux enfants combien la radicalisation des uns a plongé le pays dans un abîme malheureux dont les tristes conséquences frappent maintenant tout rwandais, chacun à sa façon’’.’

Avec l'enseignement de l’Histoire, le programme national veut aboutir à la formation d'un citoyen libéré de toute forme de discrimination, tel qu'on peut le lire dans les orientations générales de cet enseignement. Pour atteindre ce but, il faut que l'Histoire vise aussi bien des objectifs cognitifs (savoirs) que des objectifs affectifs (savoir être). Cependant, la liste des objectifs généraux spécifiques ne comprend aucun objectif affectif, au profit des objectifs de connaissance uniquement.

A travers l'Histoire, on devrait éclairer les questionnements posés autour de l'ethnisme et du colonialisme. Dans le programme de la quatrième année, l'étude de la structure de l'organisation sociale se limite à la famille, au lignage et au clan. En cinquième année, nulle part, il n’est question de ce problème. En sixième année, figure un objectif général sur les méfaits de l'ethnisme, et celui-ci n'intervient qu'au moment où l'on aborde la période républicaine. Malgré l'importance de la question ethnique dans la vie réelle des Rwandais, et malgré la fonction que l'enseignement de l'Histoire devrait jouer dans l'éclaircissement de ce problème, le programme destiné à la grande majorité de la population scolarisée semble minimiser le problème. Situer l'ethnisme à la période républicaine met de l'ombre sur une partie importante de l'Histoire des Rwandais : les périodes monarchique et coloniale, qui sont pourtant les fondements de l'Histoire actuelle de cette société et une source de lumière nécessaire pour éclairer l'avenir et prévenir le pire. Il s’avère donc impératif d’ expliquer la genèse et d’analyser les mythes, les tabous et les préjugés qui pourtant circulent dans l'histoire populaire, pour lever le voile sur ce problème et en présenter la version la plus proche de la vérité, plutôt que de passer directement à l'exploitation politique de l'ethnisme de la première et de la deuxième Républiques. Cela permettra aux enfants de répondre aux questions que cela suscite, de résoudre les conflits psychologiques et sociaux liés aux attitudes observées dans le milieu et aux fausses informations qui circulent autour de ce problème, et ainsi d'éviter les frustrations qui ne cessent de s'accroître et constituent un mauvais présage à la paix et à la cohabitation.

Globalement, nous constatons que le problème de la citoyenneté interpelle toutes les consciences rwandaises, chacune en ce qui la concerne. Cependant, on sent un certain décalage entre l'objet d'inquiétude de la population et l'objet d'éducation scolaire. Sans ignorer l'importance des connaissances théoriques, les parents souhaitent avec insistance que l'éducation mette l'accent sur la formation d'attitudes positives correspondant aux valeurs positives. Dans les programmes que nous venons d'analyser, susceptibles d'engendrer l'esprit citoyen et les attitudes conformes aux valeurs positives traditionnelles et aux valeurs universelles contemporaines, le souci de les faire acquérir se rencontre dans les orientations et objectifs généraux, mais se perd dans l'élaboration des programmes spécifiques.