2.4.1. Il faut chercher un consensus national sur les valeurs conformes aux Rwandais du 21è siècle

2.4.1.1. Préalables

Redéfinir le Rwandais

La période des années 1990 a suscité des questions sur la citoyenneté rwandaise : qui est rwandais, qui ne l'est pas! La réponse à cette question s'impose, selon nous, à tout effort de reconstruction nationale. Il faut donc, avant tout, redéfinir très précisément, dans des textes publiés, officiels et juridiques, "qui est rwandais". Ce concept doit être défini aussi bien dans le temps que dans l'espace, et cette définition doit être l’objet d’un consensus des Rwandais.

Ceux qui minimisent les problèmes internes du Rwanda ne reconnaîtront pas le fondement de cette revendication. On peut facilement dire qu’il est absurde et bête de poser cette question. Cependant, la préparation du génocide a été basée sur des hypothèses prises pour des vérités :

  • les Batutsi sont des étrangers au Rwanda;
  • ils ne sont ni bantous, ni nègres (cfr. hypothèse hamite), ni africains;
  • ils sont des envahisseurs et des colonisateurs, comme le furent les Allemands et les Belges.

Aujourd'hui, des gens comme Sankara 607 disent :

  • Ba minorité ni ubwoko bwatowe n'Imana (la minorité est la race que Dieu a choisie)
  • U Rwanda ni igihugu Imana yahaye ubwoko bwayo (Le Rwanda est la terre promise de son peuple, c'est le nouvel Israël...) etc.

Maintenant que l'Histoire récente engendre d'autres hypothèses sur le peuplement du Rwanda, contraires aux premières, prises aussi pour vérités, la contradiction n'est pas facile à gérer et socialement, et politiquement, et sur le plan de l'éducation. C'est une contradiction qui joue sur les rapports sociaux, les représentations sociales, et surtout sur l'identification des jeunes et la formation de leur personnalité.

La question ‘’qui sont les Batutsi’’ 608 est aujourd'hui posée par le monde tant scientifique que populaire. La réponse ne peut être donnée ni par la population elle-même, ni par les politiciens dont les intérêts politiques limitent ou annulent toute objectivité, ni par les scientifiques oeuvrant pour des idéologies politiques. C'est un problème à poser aux scientifiques qui travaillent en faveur de la vérité; c'est aussi un problème à débattre publiquement, à enseigner comme tel à tous les niveaux, primaire prioritairement, pour lever le voile qui le couvre et favorise préjugés, mythes, rumeurs, conflits, généralisation ou confirmation d'hypothèses non vérifiées, etc.

Si aujourd'hui la science ne peut pas donner une réponse certaine, non hypothétique, à cette question, les scientifiques (historiens, biologistes, ethnographes, archéologues, linguistes...) devraient au moins reconnaître officiellement les limites de leurs recherches et aider les habitants du Rwanda et du monde à connaître la vérité sur les "ethnies" rwandaises. Le problème rwandais, vécu à l'intérieur comme à l'extérieur n'est pas à minimiser, mais plutôt à expliciter, à clarifier, surtout pour la masse rwandaise, en adoptant un langage adapté à une population analphabète qui a besoin de survivre ensemble.

Que ce soit pour les Tutsi, les Hutu ou les Twa, la terre rwandaise fut une conquête pour l'un et l'autre, quels que soient l'ordre d'arrivée ou le métier y exercé! Des siècles et des siècles après, l'on ne va pas se disputer cette minuscule terre (26.338 km²) sur le seul critère d'ordre d'arrivée; d'ailleurs, sur cette base, ni les Tutsi, ni les Hutu, ni personne n'aurait le droit sur cet espace que les Twa auraient conquis en premier. Si ceux-ci devaient réclamer leur forêt, tout le monde ne serait-il pas exclu!

Les Rwandais ont besoin de se redéfinir à la lumière de la vérité et non de l'idéologie, cette vérité qui leur manque aujourd'hui. C'est cette redéfinition qui rendra possible le dialogue et la confiance mutuelle requise pour la construction d'une nation pluri-ethnique. C'est elle qui rendra possible un consensus sur les valeurs à promouvoir aussi bien sur le plan socio-culturel que politique.

Dans ce même contexte de la définition du "Rwandais", le problème concerne les concepts "Kiga - Nduga". Ils évoluent dans un sens social et politique qui n'est pas de nature à construire l'unité des Rwandais. En plus de la division ethnique Hutu -Tutsi – Twa, le Rwanda est ramené seulement à deux catégories régionales : les Banyanduga et les Bakiga, alors que, jadis, le Kiga et le Nduga ne représentaient que deux petites régions naturelles - géographiques - parmi beaucoup d'autres. A ces concepts s'est associée la notion de "pureté Hutu". Les Bakiga sont dits Hutu ‘’purs" et les Banyanduga sont des Hutu ‘’impurs’’; cela fait allusion à l'influence inégale que les Batutsi ont exercé sur le Rukiga et le Nduga. Ces notions sont exploitées par les extrémistes Hutu qui, apparemment, ne comprennent pas encore l'importance d'une organisation politique multi-régionale, ou ne veulent pas partager la communauté politique avec les Banyanduga, proches des Tutsi sur plusieurs points, à cause d’une longue cohabitation.

Les différences anthropologiques, ethniques ou régionales doivent cesser d'être des prétextes pour la division des Rwandais et leur exclusion mutuelle. De la façon la plus solennelle qui puisse être, le Rwandais a besoin d'être défini, de se sentir réhabilité sur son territoire, qui est aussi son droit. Il a besoin d'une identité fixe, reconnue, légalisée et acceptée. Les enfants qui naissent, eux qui sont le Rwanda à venir, ont besoin d'être libérés de complexes non fondés, que les idéologues exploitent au profit des intérêts particuliers des groupes au pouvoir ou des groupes avides de le récupérer. Ces jeunes en développement ont besoin de vérités qui les aident à se connaître, à se situer par rapport à eux-mêmes, aux autres et au monde.

Notes
607.

SANKARA est un militaire chanteur et poète rwandais

608.

Rappelons que les expressions Hutu et Tutsi ne se retrouvent qu’au Rwanda et au Burundi.