2.4.2.1. L'autonomisation

L'autonomisation du citoyen rwandais passera d'abord par la prise de conscience de sa citoyenneté et ensuite par l'éducation de base.

Prendre conscience de sa citoyenneté

Comme tout autre citoyen africain des Etats post-coloniaux, le Rwandais a d'abord besoin de savoir qu'il a un statut de citoyenneté rwandaise et ce que cela signifie. Traditionnellement, l'organisation de la société rwandaise était basée sur les appartenances sociales (familles, clans et ethnies) comme cela ressort des analyses ethnographiques et historiques rwandaises. Par exemple, tel clan donnait les rois, tel autre les reines-mères; telle ethnie était appelée à gouverner et les autres à être des subordonnés; telle ethnie faisait tel métier etc.

Peu après, les Rwandais ont été appelés à changer les bases de leur organisation sociale, en fonction des exigences des temps modernes. Ils devaient nouer d'autres contrats sociaux dépassant leurs appartenances sociales, et parfois en contradiction avec elles. La nouvelle communauté politique devait réunir tous les clans, toutes les ethnies et tous les Etats conquis sous un même ordre, tel que tout le monde ait la même valeur humaine, les mêmes droits et les mêmes devoirs au sein de cette communauté. Cela supposait un changement de mentalité, de philosophie de la vie, de rapports sociaux, bref, un changement de valeurs. Or, cela n'était pas possible tout de suite, il ne pouvait être que le résultat d'une action éducative de grande envergure et de longue patience. Malheureusement, cette éducation n'a pas été donnée, nous l'avons vu, et le nouvel ordre socio-politique occidental a été imposé à la société rwandaise. Cette procédure a entraîné une superposition de deux systèmes socio-politiques, l'ancien et le nouveau. Ainsi, dans certains domaines (où réapparaissent ethnisme et régionalisme) on appliquait l'ancien système, dans certains autres le nouveau (surtout dans les affaires publiques où l'opinion internationale pouvait intervenir) et, dans d'autres cas, c'est le mixage des deux (par exemple la gestion des terres).Les générations postérieures à l'indépendance sont restées dans cette confusion, sans maîtriser ni l'ancien ni le nouveau système; les différentes contradictions relevées soit en politique, soit en éducation sont l'expression du malaise lié à cette confusion dans la tradition et la modernité.

La prise de conscience de l'idée de citoyenneté ne sera pas uniquement l'affaire de l'Ecole, mais de toute la communauté. Plutôt que de développer chez l'enfant seulement les rapports à sa famille locale, son clan, son ethnie, il faut parallèlement développer les rapports avec les institutions politiques sur lesquelles se base la notion de citoyenneté, sans établir un mur entre les aspects sociaux et les aspects citoyens, entre les intérêts sociaux et les intérêts politiques des citoyens. Le passage de cette idée dans les consciences des Rwandais passera donc d'une part par le discours familial, le discours social en dehors de la famille locale, le discours politique et surtout par des actions et des attitudes concrètes orientées vers les intérêts du citoyen, c'est-à-dire de tout rwandais, sans considérer ni l'ethnie, ni le clan, ni le sexe, ni la région.

D'autre part, l'idée de citoyenneté sera approfondie à l'école où les cours d’Histoire, de Géographie et de Civisme, de Morale et d'autres cours rendront l'idée moins abstraite et plus réfléchie. Comme la plupart des Rwandais ayant dépassé l'âge scolaire n'ont pas cette conscience de la citoyenneté, qui pourtant s'impose aujourd'hui pour leur survie et leur paix, l'Etat devrait organiser un système éducatif où tout le monde serait invité à suivre une formation dans ce domaine. La prise de conscience de la citoyenneté est la seule qui aidera les Rwandais à dépasser leur égoïsme, à élever leur pensée et leur action au plan des principes universels à développer, à prendre leur engagement personnellement ou collectivement dans l'accomplissement des devoirs individuels ou collectifs vis-à-vis de leur communauté élargie au-delà des appartenances sociales. C'est dans cette ambiance également que l'éducation scolaire à la citoyenneté aura des assises et des reflets dans la société, ce qui est l'une des conditions de son succès.