ANNEXE 1 : Déclaration de M. HARROI (au nom de la Belgique) sur le problème Hutu - Tutsi 630

(…) Ma première affirmation sera qu’il y a un problème. Assurément, comme on peut le dégager d’une déclaration du mwami Mutara, est-il simpliste et dangereux de l’intituler sans nuance le conflit Tutsi – Hutu.

Mais qu’il a un problème indéniable, en ce pays d’inégalité des conditions, auquel il est nécessaire d’apporter des solutions. Il y a un problème de paupérisme généralisé, qui touche des masses économiquement très faibles ; une conviction, qui semble s’accentuer chaque année, d’oppression politique, sociale et économique de la part d’un certain nombre de représentants de leurs autorités locales…

Cette situation une fois reconnue, les chiffres font alors apparaître que, état de fait, le groupe Tutsi détient un pourcentage très élevé de ces postes officiels dont les titulaires peuvent se rendre coupables d’abus, et que d’autre part, le groupe Hutu forme l’immense majorité des masses pauvres où se situent les victimes de ces abus.

Ici apparaît alors l’écueil contre lequel pourrait venir buter une argumentation qui se veut rigoureusement objective. Faut-il, vu ce qui précède, admettre que le passé nous a légué et que l’administration belge n’est pas parvenue à éliminer une caste Tutsi opprimante, exploitant la masse Hutu sans défense ? Ou devons-nous plutôt reconnaître que l’état actuel des choses permet encore, au Rwanda-Urundi comme dans beaucoup de pays du monde, malheureusement que la classe paysanne sont insuffisamment à l’abri des exactions de certains représentants locaux de l’autorité, un état de fait seulement, et non une structure politique reconnue, agissant en sorte que la plupart de ces représentants indignes appartiennent au groupe anthropologiquement Tutsi ?

L’administration belge a toujours opté la deuxième branche de l’alternative. Elle s’est toujours efforcée, en tutrice de tous les habitants du pays de traquer les abus partout où elle leur repérait, mais nullement de s’attaquer aux Tutsi en tant que tels…

Et elle n’est pas moins persuadée qu’il n’eût guère aidé jusqu’ici de choisir la voie que d’aucuns préconisent et de substituer délibérément et systématiquement, en tous lieux, des chefs, juges et moniteurs Hutu aux auxiliaires Tutsi.

Outre que cette politique eût été le signal d’une violente et légitime réaction d’un important et méritoire groupe autochtone contre l’autorité tutrice, outre qu’elle n’eût probablement que remplacé une injustice par une autre, outre qu’elle eût risqué d’allumer une guerre civile qu’il fallait éviter parce qu’absolument inutile, outre qu’elle eût ainsi erronément consacré que le problème était racial et non un simple mésusage des pouvoirs locaux, une telle attitude se serait par surcroît jusqu’ici heurtée à l’insuffisance des cadres Hutu, où les Belges – tout homme de bonne foi le reconnaîtra – eussent été bien en peine de découvrir en nombre suffisant des éléments de valeur…

Je proposerai ensuite de nous mettre d’accord sur la terminologie “Tutsi” et “Hutu” et sur l’emploi qu’il y a lieu d’en faire. Les malentendus, en effet, sont souvent le fruit d’une discordance de vocabulaire.

D’aucuns aimeraient bannir totalement les mots de nos conversations. L’idée est généreuse. Elle vise à éviter toute cause d’émiettement de la nation Rundi, de la nation Rwanda. Mais trop de pudeur, mal employée, peut nuire. Le fait reste incontestable qu’aujourd’hui – j’insiste : aujourd’hui – des hommes qui se disent Tutsi, qui sont Tutsi composent en énorme majorité les richesses immobilières et mobilières de ce territoire.

Pourquoi, dès lors, puisque – qu’on le veuille ou non – le mot reste d’usage courant dans le langage de chaque jour, n’admettrions-nous pas, dans nos lignes de conduite générales, que la masse du peuple est Hutu – j’ajouterais même volontiers : tua – et qu’il y a lieu de l’aider comme telle ? Nous voulons enrichir les gens des collines. Nous voulons aussi leur donner leur chance de faire entendre leur voix dans les conseils, de compter des leurs parmi les chefs, sous-chefs, juges, moniteurs. Pourquoi, dès lors, nous refuser, en leur ôtant leur étiquette, véridique, de Hutu, la possibilité à tout le moins de les compter ? …

Mais où je rejoins ceux qui, comme les bami et les conseils supérieurs, demandent la plus grande prudence dans la consécration inutile de ce qui est malgré tout une discrimination, c’est dans l’emploi du mot dans les textes réglementaires, voire dans les documents d’état civil. La législation doit évidemment donner à tous les citoyens les mêmes droits. Aucun régime n’est concevable qui donnerait des privilèges à certains en vertu d’une appartenance à une race ou à un groupe ethnique.

(…) Nous voulons nous occuper particulièrement aussi de la promotion sociale et politique du peuple, si sympathique et encore si malheureux, de nos innombrables collines. Laissez-moi, messieurs, continuer à étiqueter ses constituants comme étant des Hutu, pour que je puisse savoir, par un comptage officieux mais néanmoins susceptible d’être chiffré, combien d’entre eux, grâce à nos efforts, ont réussi à entrer dans les écoles, dans les cadres des autorités politiques, administratives ou judiciaires. Et soyez convaincus que je serai le dernier à faire mauvais usage de cette franchise de dénomination et ou la laisser se détériorer en fermant de division sociale interne.

Pour le surplus, il ne restera plus qu’à parachever la disparition du facteur que j’évoquais naguère, selon lequel les pauvres gens, les Hutu, puisqu’on ose maintenant les appeler par leur nom, ne disposaient point jusqu’ici d’élites aptes à les représenter valablement et, surtout, habilement. Nous veillerons à faire régner l’équité sous ce rapport, par un régime de bourses d’études, de gratuité scolaire ou de prêts d’honneur qui mettra à armes égales devant l’enseignement moyen et supérieur tous les garçons et filles doués de ce pays.

Notes
630.

KARIBWAMI (J). op cit. pp. 410-413