2. Le modèle standard de l’économie urbaine

2.1 Genèse

La prise en compte de l’espace dans l’analyse économique est relativement récente. « L’homme a toujours su qu’il vivait dans l’espace. L’économiste a fait parfois semblant de l’ignorer » (Dockès, 1969). Von Thünen est considéré comme le précurseur en la matière même si certains auteurs mercantilistes plus anciens comme Bodin, Montchrestien, Cantillon abordent cette dimension.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce développement tardif et le maintien d’une économie envisagée comme « un monde ponctiforme » (Ponsard, 1955 cité par Zoller, 1988). Les caractéristiques de l’espace n’y sont pas étrangères. Elles remettent en cause de manière radicale bien des développements théoriques.

Beguin et Thisse (1979) proposent une définition de l’espace en différenciant un espace absolu et un espace relatif. L’espace est ‘« un cadre de référence ou espace absolu défini par trois éléments de base : un ensemble de lieux (unités spatiales élémentaires) noté L ; une mesure des positions relatives des lieux : c’est une distance, d ; enfin une mesure de la superficie des lieux qui peut d’ailleurs être nulle. Un espace relatif peut être alors formé sur cette base par l’introduction d’attributs et de caractéristiques des lieux qui peuvent être simples ou composés entre eux et concerner des stocks et des flux ’(cité par Huriot et Perreur, 1990, p.199).

L’équilibre entre offre et demande qui envisage la formation d’un seul prix présuppose en effet que celles-ci interviennent en un même point. Or, offre et demande sont reparties en différents lieux. Le franchissement de l’espace est soumis à la tyrannie des distances. Le déplacement des personnes et le transport des biens génèrent des coûts qui perturbent les équilibres obtenus sans prise en compte de la dimension spatiale. De même, la disponibilité totale d’un bien collectif pur se trouve de facto limitée par sa localisation. La présence d’un offreur sur un marché localisé peut également constituer une barrière à l’entrée pour un offreur potentiel.

Les individus comme les firmes intègrent dans leur fonction d’utilité certains attributs de l’espace. Ces caractéristiques ne sont pas systématiquement réparties de manière homogène. En outre, dans la plupart des cas, elles ne sont pas mobiles et contraignent les individus ou les firmes à se localiser dans un lieu pour en bénéficier.

La prise en compte de l’espace dans l’économie a donné lieu à des travaux que Ponsard (1988) ordonne suivants quatre paradigmes. Le premier renvoie à l’oeuvre de Von Thünen considéré comme « le père des théories de localisation ». Il identifie une rente de localisation distincte de celle envisagée jusqu’à présent fondée sur la fertilité de la terre. Le deuxième trouve en Alfred Weber sa principale figure. Il concerne les questions de localisation industrielle avec la détermination du coût de transport minimal. Le troisième concerne la concurrence spatiale sur laquelle Hotteling fut le précurseur. Il s’agit alors d’envisager les relations entre la formation des prix, la taille du marché et la localisation des lieux de distribution. Le quatrième est issu des travaux de Christaller et de Lösch sur les lieux centraux. Outre ces quatre paradigmes, il est possible d’identifier quatre champs de recherches, les modèles d’interaction spatiale, la théorie de l’équilibre général spatial, la théorie de l’économie spatiale publique et l’analyse des espaces économiques flous (Ponsard, 1988). A ces quatre champs de recherche, il serait possible d’en rajouter un, plus transversal, celui de l’économétrie spatiale (présentée en deuxième partie) qui vise à mettre en oeuvre des outils d’économétrie pour la prise en compte de l’espace dans des analyses économiques et géographiques.

Nous ferons état, dans la suite du développement, de la filiation entre modèle de localisation résidentiel et modèle de l’occupation de l’espace agricole en présentant la contribution de Von Thünen.