3. L’économie géographique

L’objectif de l’économie géographique est de relâcher certaines hypothèses du modèle standard de l’économie urbaine jugées trop fortes. Elle s’intéresse en particulier à la localisation simultanée des ménages et des activités. Elle cherche également à répondre à la question éludée par Von Thünen de la formation du centre, que ce dernier considère comme exogène. Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul centre dans cet espace ? Quelles sont les conditions pour l’émergence d’une ou plusieurs agglomérations (entendue au sens général du terme et pas uniquement au sens de ville) ? En cela, elle se donne comme objectif de bâtir un modèle d’équilibre général susceptible de rendre intelligible le phénomène d’agglomération et les structures urbaines sur la base des interactions entre population et firmes sur le marché des biens et sur le marché du travail. A ces interactions par le biais de ces deux marchés, certains modèles théoriques, centrés sur l’intra-urbain, ajoutent celles qui transitent par le marché foncier. Cette démarche répond à l’ambition qu’avait déjà d’Alonso (1964) mais qu’il n’avait pu mener à son achèvement.

On distingue classiquement quatre grandes familles de modèles : les modèles avec avantages comparatifs, les modèles avec externalités technologiques, les modèles en concurrence monopolistique et les modèles en concurrence oligopolistique. Considérant à la suite du théorème d’impossibilité de Starret (1978) que l’agglomération n’est pas possible dans une économie parfaitement concurrentielle 5, ces différents modèles vont relâcher les hypothèses de concurrence pure et parfaite et privilégier des facteurs permissifs d’une éventuelle concentration.

Les modèles avec avantages comparatifs considèrent que l’inégale distribution de ressources et/ou de réseaux de transport génère des avantages spécifiques pour certains lieux et induisent une spécialisation. Les rendements d’échelle sont constants correspondant à des production parfaitement divisibles. Ces modèles se heurtent cependant à l’impossibilité d’endogéniser la formation d’une agglomération. L’analyse porte alors davantage sur le développement de cette dernière que sur son émergence.

Les modèles avec externalités technologiques envisagent agglomération comme le résultat d’échange hors marchés entre firmes et entre firmes et ménages. La concentration est alors le fait d’externalités technologiques.

Les modèles monopolistiques, contrairement aux modèles avec externalités, privilégient des interactions par les prix aux interactions hors marché. Ils sont issus de modèles développés en économie industrielle dont celui de Dixit et Stiglitz (1977) est emblématique. Ce cadre d’analyse sera adopté par plusieurs auteurs comme Krugman (1991) pour aborder les questions de localisation. Les firmes dans ce cadre de la concurrence monopolistique sont considérées comme nombreuses et leurs propres actions négligeables sur le comportement des autres firmes. Les produits vendus sont différenciés et ne sont pas parfaitement substituables, compte tenu en particulier de leur localisation. Les modèles oligopolistiques diffèrent des premiers et envisagent au contraire un pouvoir différencié des firmes. Des asymétries de positions et d’information interviennent à ce niveau.

La grande majorité des travaux s’intéressant à la localisation des firmes et des ménages privilégient un cadre à deux régions. Il s’agit alors de préciser les conditions d’émergence de l’agglomération au sens de concentration dans une des deux régions envisagées. Ces dernières peuvent être des pays, des ensembles de pays ou des niveaux infra nationaux. Les travaux centrés sur la structure intra-urbaine sont en revanche moins nombreux (Anas et al., 1998). Parmi les quatre familles de modèles présentées ci-dessus, deux sont généralement retenues pour l’étude de ces configurations urbaines dans la mesure où ils intègrent explicitement la concurrence pour l’occupation du sol et les interactions qu’elle génère.

Dans ces modèles intra-urbain, la population peut être amenée à privilégier une localisation périphérique conformément aux facteurs explicatifs identifiés dans le modèle standard de l’économie urbaine. Mais ce mouvement d’étalement urbain n’est pas propre à la population et peut concerner les emplois ou certains d’entre eux. Des firmes privilégient en effet une localisation plus périphérique, motivée selon les cas par la proximité des consommateurs, les coûts fonciers ou d’autres effets de congestion encore.

Notes
5.

Starret montre que dans un espace homogène, sans coût de mobilité, où les marchés sont purs et parfaits, on ne peut avoir d’équilibre au sens de localisation stable des agents que si le coût de transport est nul. On a alors une distribution uniforme des individus dans l’espace. Chaque individu est un Robinson Crusoé en assurant seul sa production pour sa propre consommation. Au niveau de l’économie cet état est appelé « backyard capitalism ».