3.2 Les modèles de concurrence monopolistique

Ces modèles privilégient les interactions en prix. Ils envisagent des situations de rendements d’échelle croissants. La force de concentration réside dans la différenciation des produits et/ou des facteurs. Certains envisagent une localisation simultanée des firmes et des ménages, d’autres raisonnent en séquences. Ces modèles sont relativement nombreux (Abdel-Rhaman, 1988 ; Fujita, 1988 ; Abdel-Rhaman et Fujita, 1990, etc.).

Fujita (1988) retient comme force de dispersion pour les ménages et les firmes la concurrence pour l’occupation du sol. La force de concentration réside dans la préférence pour la diversité. Le grand nombre de biens différenciés offerts assure une utilité croissante aux ménages. Le grand nombre de ménages en certains points de l’espace assure des débouchés aux firmes qui privilégient alors de telles localisations. Ces causalités circulaires se renforcent entre elles. Mais dans le même temps, une forte concentration des entreprises en ces lieux génère une concurrence pour l’occupation de l’espace qui les incite alors à la dispersion. Les ménages en étant proches des firmes bénéficient d’une diversité de biens offerts mais comme pour les firmes, leur grand nombre induit une pression foncière défavorable à une localisation centrale. A l’équilibre, le prix du bien est indépendant de la localisation de la firme qui le produit. Chaque niveau de prix donne naissance à une configuration d’équilibre. Un premier équilibre se caractérise par une zone centrale comprenant des firmes et des ménages et une zone périphérique avec des ménages uniquement. La deuxième configuration comporte une zone centrale avec des firmes et des ménages et une zone périphérique avec des firmes uniquement. La première configuration équilibre est celle qui prévaut lorsque le prix est élevé et que le nombre de firmes relativement aux ménages est faible et réciproquement pour la deuxième configuration.

Fujita et Krugman (1995) se proposent d’unifier deux courants théoriques disjoints, celui de l’économie urbaine avec Von Thünen et celui de la concurrence imparfaite avec Chamberlin. Ils développent donc un modèle de concurrence monopolistique d’un « état isolé ». Aux deux régions envisagées traditionnellement dans les modèles de l’économie géographique sont substituées un espace linéaire. La consommation des ouvriers est composée de biens agricoles homogènes et de biens manufacturiers différenciés, produits pour chacun de ces derniers par une seule firme. Si la variété des biens produite dans le centre est importante alors les prix de ces biens relativement à ceux dont la production est en périphérie sont plus faibles. A revenu nominal donné, le revenu réel des travailleurs dans le centre s’accroît avec la diversité des biens produits et incite les ouvriers ne travaillant pas dans le centre à se déplacer (forward linkages). Cette immigration constitue des débouchés supplémentaires pour les firmes et elle permet une spécialisation plus grandes des firmes (backward linkages). « In other words, through these forward an backward linkages, scale economies at the individual firm level are transformed into increasing returns at the city level » (Fujita et Krugman, 1995, p. 506).

Cette croissance du centre nécessite simultanément un espace agricole plus vaste pour assurer la production des biens agricoles nécessaires à la consommations des travailleurs en ville. Compte tenu de cette croissance urbaine, les distances à parcourir sont plus importantes, générant des déséconomies d’agglomération. Ils en concluent que si les forces de concentration liées aux économies d’échelle de la production et de la consommation sont plus puissantes que les forces de dispersion liées aux coûts de transport du bien agricole alors l’espace sera caractérisé par l’existence d’un centre unique.

Cette analyse souffre cependant d’un manque de pertinence. Les forces de dispersion résident davantage en effet dans la concurrence pour l’occupation du sol, les coûts de déplacements domicile-travail que dans les coûts de transport des biens agricoles. Dans un souci de plus grand réalisme, Goffette-Nagot (1998) propose un modèle de concurrence monopolistique dans lequel les ménages consomment un bien différencié produit à rendements d’échelle croissant et un bien homogène localisé. La force de dispersion est constituée par la consommation de ce bien qui ne peut se faire qu’à un seul endroit.

Ce modèle distingue également deux types de firmes, les « firmes manufacturières » et les « firmes distributrices ». Les premières assurent la production de biens intermédiaires différenciés. La technologie retenue est à rendements d’échelle constants. Ces firmes sont supposées être localisées au centre. Les ménages constituent la main-d’oeuvre dont elles ont besoin.

Les secondes assurent la distribution des biens finis produits par les premières. Ces firmes de distribution sont supposées mobiles. La production se fait à rendements d’échelle croissants. Le transport des biens intermédiaires génère un coût qui est supporté par les firmes de distribution.

Les ménages supportent des coûts de transport liés aux déplacements domicile-travail et au transport du bien final jusqu’à la firme distributrice.

En se localisant en périphérie, les ménages subissent une moindre pression foncière mais supportent des coûts de déplacement domicile-travail importants. A ces coûts s’ajoutent ceux liés au transport des biens finaux, si les firmes de distribution sont restées localisées au centre. Ces dernières en maintenant une localisation centrale minimisent les coûts de transport du bien intermédiaire mais supportent simultanément une concurrence pour l’occupation des sols.

En liant le profit des firmes distributrices à la densité de population, la dispersion de la population devient une force d’attraction pour ces firmes, force qui est contrecarrée par les coûts de transport des biens intermédiaires en provenance des firmes manufacturières supposées être localisées au centre.

Les conclusions issues des simulations réalisées sont en partie proches de celles obtenues dans le cadre du modèle standard. Une baisse des coûts de transport domicile-travail équivaut à une augmentation du revenu. Elle occasionne un étalement urbain caractérisé par une augmentation de la population en périphérie et par une extension de la frontière urbaine. La baisse des coûts de transport des biens finaux se traduit là aussi par un étalement de la population mais la frontière de la ville est identique.

Les forces centrifuges n’opèrent sur les firmes distributrices que si la dispersion de la population est suffisante et que si le coût de transport du bien intermédiaire est faible. Une causalité circulaire s’instaure alors avec l’arrivée de nouveaux résidents, sensibles à la localisation de ces emplois en périphérie. Ils constituent à leur tour une force d’attraction pour d’autres firmes.

D’autres modèles introduisent comme force de dispersion les coûts urbains entendus comme la pression foncière, les coûts de migrations alternantes mais ils s’intéressent à la structure urbaine dans le cas de deux régions (Helpman 1995, Tabucki, 1998).