1.1.3 D’autres formes fonctionnelles

De nombreuses autres formes fonctionnelles ont été développées. Elles visent en particulier à pallier l’insuffisante capacité de la fonction exponentielle, à restituer la réalité des densités urbaines dans le cas de certaines villes.

Certaines de ces fonctions sont issues du modèle monocentrique, en tentant de relâcher des hypothèses vues précédemment, en particulier celle de l’élasticité de la demande de logement différente de -1. Kau et Lee (1976) s’intéressent ainsi à la forme de la décroissance des densités. Cette dernière est-elle linéaire, exponentielle ou autre ? Ils appliquent pour cela une transformation Box-Cox. La fonction densité est du type :

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où λ est le paramètre de la forme fonctionnelle estimé avec le reste de la fonction en utilisant la méthode du maximum de vraisemblance. Si λ=1, la fonction est linéairement décroissante. Si λ=0, elle est de la forme exponentielle. Sur la base de 49 villes américaines, ils montrent que dans 50 % des cas, la fonction de densité est entre une fonction exponentielle et une fonction linéaire. Kau et Lee (1976) attribuent cet écart par rapport à la fonction exponentielle à la rigidité de la demande de logement (élasticité-prix inférieure à 1 en valeur absolue). McDonald (1989) considère cependant qu’une seule variable du type rigidité de la demande peut être à l’origine de cet écart. Des raffinements ont été apportés à cette méthode, dont McDonald (1989) fait état, qui présentent l’avantage de donner une mesure de l’élasticité-prix de la demande de logement (Kau, Sirmans, 1979).

D’autres formes fonctionnelles plus ad hoc ont été utilisées afin de rendre compte de certaines irrégularités des courbes de densité ou de population cumulée observées. Ainsi, on a estimé des fonctions polynomiales, exponentielles inverses, puissances, log-normales, gamma, des fonctions linéaires discontinues, des fonctions spline (le plus souvent cubiques), des fonctions exponentielles généralisées, etc. Il s’agit alors de rendre compte de l’existence de cratères de densité au centre (Latham, Yeates, 1970, Parr, 1985; Parr, O’Neill, 1989), de rechercher les éventuelles ruptures, les changements de régime dans les courbes de densité (Brueckner, 1986), de mettre en évidence l’existence de « rebonds » de densité à une certaine distance des centres (Anderson, 1985 ; Barkley et al., 1996 ; Goffette-Nagot, Schmitt, 1999), de se placer dans le cadre d’un modèle multicentrique de villes (Heikkila et al., 1989 ; Small, Song, 1994), etc.

De manière succincte, il est possible de présenter ces fonctions.

Tableau 3.11 : Différentes autres formes fonctionnelles
Dénominations Formes fonctionnelles
Exponentielle au carré
Exponentielle quadratique
Gamma
Mills Suggested
Linéaire D(x)=D0+γx
Quadratique D(x)=D0+γx+βx2
Log-normale

Les fonctions splines cubiques ont été initiées dans les années 70 avant d’être développées par Anderson (1982, 1985). Dans le cas des densités, elles correspondent à une série de fonctions polynomiales de degré 3. L’espace est divisé en segments avec à leurs extrémités des noeuds. Ces derniers sont définis de manière a priori. Il est possible de mettre en évidence des points d’inflexion se traduisant par des inversions de gradients. Ces fonctions s’écrivent généralement sous la forme suivante :

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avec Yt la densité de l’unité spatiale t, Xt la distance entre le centroïde de cette unité spatiale et le centre de l’aire, X0 la distance entre le centroïde de la commune la plus proche, X1 et X2 les deux noeuds intérieurs et D1, D2et D3 des variables binaires selon la localisation de l’unité spatiale t dans les trois segments arrêtés. Les paramètres décrivant la fonction spline cubique sont a,b,c,d. L’équation pourrait être estimée en séparant les segments et en menant trois régressions. Cette option est cependant source d’erreurs et les densités estimées pourraient avoir des profils discontinus.

Le modèle est donc réécrit pour surmonter ces erreurs et obtenir un profil continu :

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Pour identifier de manière plus robuste ces ruptures de continuité, des méthodes d’estimation ont été développées : la méthode « switching linear smoother » (SRM) et celle « split linear smoother » (SLS). Cette dernière est fondée sur des estimations non paramétriques (Bruckner, 1986, McDonald, Owen, 1986 ; McMillen, 1994).

L’estimation des fonctions sur des structures polycentriques pose des problèmes en amont par rapport à la détermination de la forme fonctionnelle la plus appropriée. Il convient en effet de saisir les interactions entre les différents centres envisagés.

Heikkila et al. (1989) envisagent trois déclinaisons pour une fonction de densité multicentrique en fonction de la nature des relations entre ces centres :

Si les centres sont substituables entre eux, alors seuls comptent les centres importants : la fonction de densité correspond à l’enveloppe supérieure des fonctions de densités individuelles relatives à un centre unique. La fonction est de la forme :

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avec Dm la densité dans la m ieme unité spatiale, n l’indice repérant les centres et m l’indice des unités spatiales (m=1,...,M), d la distance entre le centre n et l’unité m, fn(dmn) la fonction de densité individuelle.

Si les centres sont complémentaires, l’influence d’un centre se combine avec celle des autres centres , les interactions entre eux sont nombreux, la fonction de densité est dans ce cas le produit des fonctions individuelles :

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Si les centres ne sont ni parfaitement substituables ni parfaitement complémentaires comme dans les deux cas extrêmes précédents, la fonction de densité est alors égale à la somme des fonctions individuelles :

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Il convient donc de choisir une de ces spécifications de fonctions selon la nature des relations. Ce choix étant fait, la question de la modélisation des fonctions individuelles fn(dmn) reste entière.

Pour la ville de Los Angeles, Heikkila et al. (1989) optent pour une fonction de densité sous forme de produit des fonctions individuelles, considérant que la nature des relations entre les centres est d’abord complémentaire. Small et Song (1994) privilégient une fonction de densité sous la forme de la somme des fonctions individuelles, considérant que la nature des relations entre les centres est plutôt mixte. Cette option est généralement celle qui est retenue dans d’autres cas de villes comme Chicago (McMillen et McDonald, 1998).

Tableau 3.12 : Autres formes fonctionnelles de densité
Auteurs Périodes d’observation Espaces d’analyse Fonctions retenues
Zielinski (1979) 1971 7 villes anglaises Exponentielle négative, normale, quadratique, puissance inverse, Gamma, Gamma normale, Gamma quadratique
Eldridge (1984) 1901-1976 Aire métropolitaine de Melbourne Exponentielle carrée, quadratique, gamma, fonction suggérée par Mills), fonctions linéaires et quadratiques. Introduction d’une variable temporelle dans ces fonctions
Alperovitch (1982) 1961, 1972, 1978 25 census tracts de Tel-Aviv Yafo Exponentielle négative, linéaire, double log (fonction Gamma limitée) et fonction normale standardisée
Asabere, Owusu-Banahene (1983) 1960 et 1970 Accra, Kumassi, Tamale, Cape Coast, Koforidua (Ghana) Exponentielle négative sur des densités et fonction quadratique
Anderson (1985) 1960, 1970, 1980 SMSA de Détroit Cubic Spline sur densités
Parr (1985) 1956, 1960, 1971 selon les cas Régions urbaines anglaises (Londres, Birmingham, Glasgow et Newcastle) et nord américaines (New York, Chicago, San Francisco, Montréal) Log normale
Skaburkis (1989) 1981 Aire métropolitaine de Vancouver Cubic spline
Parr, O’Neill (1989) 1971, 1981 Aire métropolitaine de Londres Log normale
Song (1994) 1980 Région métropolitaine de Los Angeles Fonction exponentielle, polycentrique et de dispersion de densité
Alperovitch (1995) 1979 25 census tract de Tel-Aviv Yafo Fonction exponentielle négative, exponentielle spline, Cubique spline sur densité
Balkley, Henry, Bao (1996) 1980 et 1990 Functionnal Economic Areas (Caroline du Sud, USA) Cubic spline sur densités
Goffette-Nagot, Schmitt (1999) 1968, 1975,1982,1990 Ensemble des communes de 429 zones d’emploi Cubic spline sur densités avec segmentation selon la taille des zones d’emploi.

Ce phénomène de polycentricité n’est pas propre aux pays développés à économie de marché. En Chine, sans recourir à des estimations de fonctions particulières, Riefler (1989) observe qu’un certain nombre de villes comme Beijing ou Shenzhen ont des structures proches de celles de Los Angeles. D’autres villes au contraire, comme Shanghai, Guangzhou, conservent un caractère concentrique même si elles ont tendance à s’étaler.

On assiste donc à une sophistication croissante des formes fonctionnelles et des méthodes d’estimation des fonctions de densités. Celles-ci ont l’avantage de représenter de façon plus réaliste la répartition de la population sur le territoire urbain. Mais, les formes les plus complexes rendent difficiles l’obtention d’indicateurs synthétiques simples du phénomène étudié, comme l’autorise la forme exponentielle négative et ses dérivés immédiats. Or, c’est par l’obtention de ce type d’indicateurs et par l’analyse de leur évolution dans le temps que peuvent être appréhendées les causes de l’étalement urbain.