1.2.1 Des facteurs issus de développements théoriques

Le rôle déterminant de l’augmentation du revenu et de la diminution des coûts de transports dans l’évolution des localisations des ménages, mis en avant dans le modèle standard de l’économie urbaine, s’est trouvé corroboré par un certain nombre de travaux.

Ainsi, Mills et Tan (1980) notent que les villes pour lesquelles les gradients sont les plus faibles, à population donnée, sont aussi celles qui, dans un grand nombre de cas, ont les revenus les plus importants. Parmi les pays retenus, les Etats-Unis ont les fonctions de densité les plus aplaties et les revenus les plus élevés. Cette régularité concernant le sens de variation n’est cependant pas valable partout. Les revenus par tête au Japon sont trois fois supérieurs à ceux du Brésil mais les villes japonaises sont plus compactes. De même, dans les pays en développement cette relation n’est pas toujours vérifiée. Les villes mexicaines, bien que disposant d’un revenu moyen par habitant plus important que les villes brésiliennes, ne sont pas pour autant plus déconcentrées. En mobilisant un modèle de régression linéaire, Mills (1970) explique la variation du gradient par le revenu des ménages saisi sur la base du revenu médian des ménages de la SMSA, aux côtés d’autres variables aux fondements théoriques plus faibles. Cooke (1978) obtient un résultat similaire sur l’impact du revenu sur les choix de localisation des ménages, dans le cadre d’équations liant évolution de la localisation des emplois et évolution de la localisation des revenus. Brueckner et Fansler (1983) testent également avec succès le rôle des revenus dans l’explication du degré d’étalement d’un échantillon de quarante aires urbaines américaines en 1970. Sur une période plus récente, cette analyse n’est pas invalidée. Margo (1992) considère que sur la base d’une régression logistique sur plus de 6 600 chefs de ménages issus de 91 aires métropolitaines, l’étalement urbain de 1950 à 1980 est imputable pour 40 % à la croissance des revenus des ménages.

Le revenu n’est pas toujours saisi directement dans les tests, mais plutôt sur la base d’indicateurs qui lui sont relativement corrélés, sans le recouvrir pour autant complètement. Ainsi, Nicot (1996) cherche à expliquer la variation de la distance médiane (distance au centre telle que 50 % de la population de la Zone de Peuplement Industriel et Urbain (ZPIU) est localisée à une distance inférieure à cette distance et 50 % au dessus) de certaines ZPIU sur la base d’une estimation du PIB marchand par emploi salarié privé dans la ville. Outre les difficultés méthodologiques liées à la détermination du PIB des villes en France qui ne fait pas encore l’objet de consensus, les résultats ne sont pas très concluants.

Le coût de transport, bien qu’identifié comme déterminant, est en revanche moins bien testé dans les analyses. Les obstacles liés à sa détermination sont contournés en envisageant des indicateurs susceptibles de rendre compte de l’amélioration de l’offre de transport et de la diminution des coûts de déplacement. Ainsi, le taux de motorisation des ménages, les densités d’infrastructures de transport ainsi que les investissements réalisés en la matière sont généralement retenus dans les travaux (Carlino, Mills, 1987 ; Zheng 1991 ; Thurston et Yezer 1994 ; Jordan et al. 1998). Dans certains cas, l’indicateur a trait à un coût apparent correspondant aux frais directs afférents à un déplacement (essence, péages éventuels). Quasi inexistants sont, en revanche, les travaux qui envisagent un coût généralisé de transport composé non seulement des coûts directs (essence, péage, amortissement du véhicule) mais aussi de la valeur du temps des individus pour leur déplacement. La première difficulté de cette analyse réside en effet dans la détermination initiale du temps de transport des ménages pour lesquels nous ne disposons que des origines et des destinations dans les enquêtes transport, et non des itinéraires de déplacement. La valorisation de ce temps est une autre difficulté. Les consentements à payer sont généralement fonctions des motifs de déplacements (travail, loisirs, achats) et sont généralement sous-estimés par les ménages. Enfin, cette valeur du temps est souvent corrélée avec le revenu dont le rôle est déjà envisagé par ailleurs, ce qui rend plus difficile l’analyse de ces effets imbriqués.

Comme pour le revenu, le coût de transport n’est pas toujours testé dans le cadre de modèles statistiques. Sur la base d’indicateurs d’offre d’autoroutes à capacité standardisée, de parts des différents modes de transport dans les déplacements, de gradients de densité, Edmonston et al. (1985) remarquent que les habitants des aires métropolitaines américaines bénéficient de quatre fois plus de voies autoroutières par habitant que ceux des villes canadiennes. De même, la part des déplacements réalisés en voiture particulière est de 80 % pour ces mêmes habitants, contre près de 65 % pour les résidents canadiens. Seuls 15 % des résidents américains utilisent les transports collectifs pour leurs déplacements domicile-travail, alors qu’ils sont près de 25 % à le faire au Canada. Les gradients de densité obtenus sur ces mêmes espaces montrent des villes canadiennes beaucoup plus agglomérées que leurs équivalentes américaines, la différence de compacité pouvant être expliquée par les facteurs mentionnés précédemment. Mills et Tan (1980) avec le même type d’approche établissent une causalité entre niveau des gradients et développement du système de transport. Ainsi dans le comparatif qu’ils dressent entre les villes d’Amérique du Sud et les villes de Corée, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ils observent que les premières disposent de systèmes de transport plus performants que les secondes et que les plus faibles niveaux de gradients de densité pour les villes sud-américaines relativement aux villes coréennes trouvent leur origine dans ce développement différencié des transports.

L’impact du développement des transports collectifs sur l’étalement urbain n’est pas univoque selon les pays. Les dépenses de transport collectif réalisées par les autorités organisatrices locales ont bien augmenté au cours des dernières décennies. Elles se sont traduites par un accroissement du nombre de lignes, de la fréquence et de la rapidité de moyens de transport collectifs à grosse capacité (métros, tramways) qui renforcent l’attrait des centres urbains. Il semble que ces investissements, en particulier en Grande-Bretagne, n’aient pas freiné l’extension de la ville (Hall, 1997).

L’évolution des structures démographiques est rarement testée comme facteur explicatif de la dispersion de la population. On peut noter au nombre des exceptions un article de Dynarski (1986) qui met en évidence le rôle de la modification des comportements démographiques (augmentation de la part des ménages de une ou deux personnes) dans le ralentissement de la suburbanisation observé au milieu des années 1970 dans les villes américaines. Généralement, les travaux se limitent à noter que les villes qui connaissent l’étalement le plus significatif sont aussi celles qui sont les plus peuplées (Mills et Tan, 1980).

Des aménités sont aussi envisagées comme variables explicatives de l’étalement urbain de la population. “ The white flight from blight ” traduisant le manque d’investissements réalisés dans la ville-centre et le dépérissement de ces quartiers centraux constituent des forces centrifuges pour la localisation des résidents. Cette force est identifiée aussi bien dans des pays comme les Etats-Unis (Mills, 1992 ; Jordan et al. 1998) qu’en Chine (Wang et Zhou 1999). Les statistiques relatives à la concentration de groupes ethniques, de populations défavorisées, aux équipements éducatifs, à la criminalité sont généralement retenues dans les travaux pour rendre compte de la dispersion de certaines catégories de population vers la périphérie. Dans les modèles statistiques, leur rôle apparaît cependant comme secondaire dans l’explication de l’évolution récente, excepté pour la composition ethnique des quartiers. L’étalement de la population dans certaines villes américaines a été d’autant plus prononcé entre 1960 et 1970, ceteris paribus, que le pourcentage de populations noires dans le centre et sa périphérie était fort (Mills et al. 1984 ; Mills, 1992). Cette variable relative à la composition ethnique des quartiers est avancée également pour expliquer les différences de compacité et de rythme de déconcentration observées entre les villes américaines et canadiennes. Ces différences trouvent en partie leur origine dans l’importance moindre des catégories raciales défavorisées au Canada, qu’aux Etats-Unis (Edmonston et al., 1985).

Considéré comme négligeable dans l’explication de l’étalement urbain des villes américaines, le taux de criminalité est apprécié comme significatif au niveau des comparaisons entre pays. A partir des travaux d’Edmonston et al. (1985) sur la mise en évidence des différences de compacité entre villes américaines et canadiennes, Mieszkowski et Mills (1993) expliquent pour partie ces écarts en relevant que les taux de criminalité relative aux biens sont peu différents mais que ceux de la criminalité violente sont 4 à 6 fois plus élevés dans les premières que les secondes, incitant certaines catégories de population à se localiser en périphérie pour échapper à cette violence. Sur des périodes plus anciennes, le rôle de ces aménités dans les configurations spatiales apparaît comme négligeable. Sur la base d’une simple collection d’indicateurs, Mieszkowski et Mills (1993) font ainsi remarquer que les années 1920 et 1950, où les taux de variation des gradients de densité sont les plus forts pour les villes américaines, ne sont pas considérées comme une période caractérisée par des tensions raciales, des désagrégations sociales, des augmentations de taux de criminalité notables. Dans une étude prenant en compte plusieurs aménités, Carlino et Mills (1987) montrent qu’une fois pris en compte les effets négatifs de la composition raciale, de la concentration de bas revenus et de la fiscalité locale, les quartiers centraux des villes américaines sont plus attractifs que les quartiers suburbains. En revanche, Mills (1992) conclut que la part de population noire, le taux de criminalité et le revenu médian par tête ne jouent qu’un faible rôle dans l’explication de la dispersion de la population. La controverse entre les tenants d’une explication de l’étalement urbain par les facteurs relatifs aux coûts de transport et à la demande de logement et ceux partisans d’un rôle dominant des aménités négatives du centre demeure donc ouverte.

Les travaux empiriques sur l’impact des aménités dans le choix de localisation des ménages en Europe sont plus rares. Goffette-Nagot (1996) a essayé d’en saisir l’impact dans le choix de localisation des ménages en milieu périurbain par le biais du prix du sol. Les résultats sur cette dimension ne sont cependant pas très significatifs. Dans le cas de Namur et de Charleroi en retenant la méthode des prix hédonistes, Goffette-Nagot et Reginster (2000) évaluent l’incidence de la qualité de l’environnement sur les prix du foncier. Cette qualité est appréciée sur la base d’aménités telles que la taille des jardins, la densité végétale de la zone, l’accessibilité à des services, et de nuisances relatives à la circulation routière ou ferroviaire, à la présence de lignes électriques à haute tension .... Il apparaît dans ce cas que la décroissance des prix du foncier est accentuée, dès lors qu’on intègre la distance et la qualité de l’environnement telle qu’elle a été définie.