6. Des estimations sur d’autres types de distances

Toutes les études mentionnées dans le chapitre III, relatif à l’état de l’art des différentes estimations produites, adoptent comme distances au(x) centre(s) les distances euclidiennes ou distances à vol d’oiseau entre les communes. Le choix de telles distances est motivé très largement par la simplicité de leur détermination à partir des coordonnées XY des centroïdes des communes. Cette option n’est cependant pas la plus idoine au regard des hypothèses du modèle standard de l’économie urbaine.

En effet, dans le chapitre théorique, nous avions montré que moyennant des hypothèses, par exemple, sur la forme de la fonction de production du logement et de l’élasticité de la demande de logement, la distribution de la population dans l’espace suivait une exponentielle négative. Or, l’arbitrage des ménages entre logement et accessibilité au centre est la conséquence de la variation des coûts de transport vers le centre. Dès lors, pour passer d’une relation entre distance et densité, il est nécessaire que le coût de transport soit une fonction univoque de la distance au centre. Cette fonction est valide à condition que le réseau de transport soit homogène dans l’espace ou que le réseau soit radial isotrope par rapport au centre. Cette hypothèse est posée par le modèle standard mais elle en infraction par rapport à la réalité.

Les réseaux de transport apparaissent en effet comme fortement différenciés. Ils sont constitués d’infrastructures à forte capacité et vitesse élevée et mais également d’axes plus restreints à vitesse réduite. En outre, leur distribution dans l’espace se caractérise par de profondes disparités. Les premiers sont significativement moins nombreux que les seconds. Dès lors, cette hétérogénéité et cette anisotropie induisent une remise en cause du caractère univoque de la relation entre distance et densité. Pour une même distance au centre, les coûts de transport selon les réseaux de transport ne sont plus identiques.

Le modèle théorique développé précédemment aboutit à deux conclusions que nous souhaitons tester ici

Compte tenu du fait que pour une même distance les coûts d’accès au centre ne sont plus les mêmes, en particulier que le coût d’accès est fonction de la présence d’axes de transport rapides, la densité se trouve moins liée à la distance. Il s’en suit une hétérogénéité des points à une même distance. En conséquence, les estimations de fonctions de densité réalisées sur la base d’indicateurs de coûts de transport devraient fournir de meilleurs résultats que celles menées sur la seule distance au centre.

L’existence d’axes de transport rapides génère une hétérogénéité qui prend la forme d’un aléa dissymétrique. Pour une même distance au centre, les localisations pour lesquelles les coûts de transport sont importants sont plus nombreuses que celles pour lesquelles ce coût est réduit. Le nombre de localisation dont le logarithme de la densité dans la modèle exponentiel est faible est plus important que celui des localisations pour lesquelles il est élevé. Sur un graphique où sont représentées des zones de tailles à peu près égales avec, en abscisse leur distance au centre et en ordonnées le logarithme de leur densité, le nuage de points devrait comporter une frontière inférieure nette et une densité plus élevée que la frontière supérieure.

Pour tester de telles prédictions, il convient donc de construire des indicateurs de distance plus à même de rendre compte du coût de transport que ne le font les distances euclidiennes. Le coût généralisé de déplacement dernier intègre, non seulement la distance effective parcourue lors du déplacement, mais également le temps valorisé par un prix. Ce dernier correspond alors à la valeur du temps qu’il est possible de définir comme le prix que l’usager est disposé à payer pour économiser une unité marginale de temps, étant donné un motif de déplacement et un niveau de revenu.

De manière plus précise, il est possible de distinguer deux valeurs du temps selon qu’elles soient tutélaires ou comportementales.

La valeur tutélaire est « celle que l’Etat, dans sa sagesse, attribue au temps des citoyens » (Commissariat Général du Plan, 19948). Cette valeur normative est retenue dans la détermination de la rentabilité de projets. Plus sa valeur est importante, plus la préférence de la collectivité en faveur des gains de temps sous la forme de développement des réseaux de transport est manifeste. La valeur du temps en milieu urbain reprend les valeurs retenues en milieu interurbain. Elle est fixée actuellement à 74 F (FF 1994)/véhicule léger/heure. Sa valeur pourrait être revue à la baisse dans la mise à jour du rapport Boiteux. La valorisation des gains de temps est faite de manière uniforme pour l’ensemble de la population. Ainsi pour les transports en Ile-de-France, le coût d’une heure passée dans les transports est égale au salaire horaire net moyen dans la région.

La valeur du temps comportementale renvoie à des méthodes d’évaluation spécifiques. Elle peut être révélée par le comportement des usagers. Elle correspond alors à « celle que les usagers attribuent implicitement à leur temps, et qu’ils révèlent au travers de leur comportement. » (Commissariat Général du Plan, 1994). Cette valeur ne peut pas être observée directement mais est déterminée sur la base de modèles dont l’objectif est de rendre compte des choix des individus en matière de déplacement en fonction de paramètres. La valeur du temps correspond alors au taux de substitution entre le prix et le temps.

Cette valeur du temps peut être évaluée par la mise en oeuvre de méthodes de préférences déclarées fondées sur la construction de scénarii avec des paramètres variables. La valeur du temps correspond alors au consentement marginal des individus à payer pour gagner une unité de temps.

Les rares études sur les déplacements en milieu urbain semblent indiquer une surestimation des valeurs tutélaires du temps relativement aux valeurs révélées par les comportements. Ainsi sur le cas du tunnel du Prado-Carenage, plusieurs études ont été menées aboutissant à des valeurs de du temps relativement contrastées.

Tableau 4.17 : Valeur du temps en parcours urbain selon différentes études
Auteurs Modèle Valeur du temps en F/km
Moyenne Médiane Observations
Morellet (1997) MATISSE 90 47 Moyennes pour un jour moyen annuel trajets de 3 à 10 km
101 55
Leurent (1997) Logit à valeur du temps fixe 63,0 63,0
Probit à valeur du temps fixe 60,2 60,2
Logit à valeur du temps distribué selon une log normale 70,3 56,5
Segonne (1998) Prix-temps Tous motifs
144,5 78,1 Heure de pointe du matin
113,1 58,0 Heure moyenne
127,5 62,5 Heure de pointe du soir
Logit à valeur du temps distribué selon une log normale 64,6 57,4 Heure de pointe du matin
64,2 47,1 Heure moyenne
69,2 50,0 Heure de pointe du soir
Source : Quinet, 1998

En conséquence, il aurait été souhaitable de déterminer la valeur du temps des ménages de l’aire urbaine de Lyon. Mais l’importance de la méthodologie à mettre en oeuvre et de l’absence de « donne » pour estimer de telles valeurs, ont plaidé pour la recherche d’autres solutions susceptibles de rendre compte de manière plus satisfaisante du coût de déplacement que le font les distances euclidiennes.

Nous avons donc déterminé des distances-temps et des distances-réseaux qui sont relatives aux déplacements effectués sur les réseaux de transport. Les distances-temps renvoient à la durée de déplacement entre des communes. Elles sont exprimées en minutes. Les distances-réseaux renvoient aux kilomètres parcourus sur la base des réseaux de transport existants. Même si leur détermination est laborieuse, ces distances présentent l’avantage significatif d’être plus pertinentes en offrant une meilleure saisie du coût de déplacement et d’offrir des gains non négligeables dans la qualité des estimations produites comme nous allons le voir dans le développement suivant.

Notes
8.

Rapport appelé également rapport Boiteux