6.2 Les résultats des estimations

Ces types de distance ont été mobilisés pour deux formes fonctionnelles, l’exponentielle négative et la forme proposée par Bussière.

6.2.1 Forme exponentielle négative

Le modèle théorique présenté précédemment implique que la relation entre la distance et un indicateur d’éloignement est d’autant meilleure que cet indicateur reflète bien le coût de déplacement vers le centre de l’agglomération. Des trois indicateurs utilisés, le moins performant de ce point de vue est l’indicateur le plus traditionnel, à savoir la distance à vol d’oiseau. Vient ensuite la distance-réseau. Cette dernière retrace plus fidèlement les distances parcourues. Cependant, elle ne tient pas compte des différences de vitesses sur les différentes parties du réseau. Or, la valeur du temps est une composante essentielle du coût généralisé de déplacement, et c’est elle qui justifiait dans le modèle théorique le fait que le coût unitaire de transport est plus faible sur les axes de transport rapides. La durée de déplacement représente alors l’approximation la plus fiable du coût de déplacement. On devrait donc avoir une relation entre densité et éloignement qui s’améliore quand on passe de la distance à vol d’oiseau à la distance-réseau et de cette dernière à la durée de déplacement.

Par ailleurs, la deuxième conclusion du modèle théorique conduit à penser que la structure aléatoire du nuage de points est, au moins dans le cas de la distance à vol d’oiseau, dissymétrique avec un poids plus important des communes situées vers les densités les plus faibles.

Les différentes parties du Graphique 4.7 permettent d’avoir une première appréciation visuelle des résultats pour l’année 1990. La forme des nuages apparaît conforme aux prédictions. Dans le graphique du haut utilisant la distance à vol d’oiseau, le nuage est très étalé. Sans être très claire, la dissymétrie prévue est bien présente, avec une densité du nuage un peu plus forte dans la partie basse du nuage. Le graphique du milieu utilise les distances-réseaux. Le nuage est moins étalé que précédemment, faisant augurer d’une liaison de meilleure qualité. Il semble que la dissymétrie reste présente. Pour le dernier graphique, l’indicateur d’éloignement est la durée de déplacement. La forme du nuage a très nettement changé. L’étalement a encore diminué et il n’y a plus de dissymétrie apparente.

Ces observations se retrouvent au niveau des densités de 1975, en fonction des distances à vol d’oiseau, des distances-reseaux et des distances-temps déterminées pour 1975 (annexe X )

Distance à vol d’oiseau (unité : km)

message URL graphique471.gif
Graphique 4.7 : Densités communales de l’aire urbaine de Lyon en fonction de différents indicateurs d’éloignement (Année 1990)

Distance-réseau (unité : km)

message URL graphique472.gif

Durée de déplacement (unité : minutes)

message URL graphique473.gif

Des ajustements économétriques permettent de confirmer l’appréciation visuelle. Les résultats de régressions par les moindres carrés ordinaires sont présentés dans le Tableau 4.20, pour chacun des trois mesures d’éloignement et pour les deux recensements de 1975 et 1990. Pour l’année 1990, les résultats sont conformes à nos attentes. Qu’on la juge à partir du R² ou de la significativité du coefficient de la variable d’éloignement, les résultats de la régression s’améliorent quand on passe de la distance à vol d’oiseau à la distance réseau, puis de cette dernière à la durée de déplacement. Pour l’année 1975, les résultats sont moins nets. Si, comme en 1990, le passage de la distance à vol d’oiseau à la distance réseau s’accompagne d’une nette amélioration de la qualité de la régression, il n’y a quasiment aucune différence entre cette dernière et la durée de déplacement. L’approximation dans la reconstitution du réseau routier de 1975 n’est peut être pas étrangère à ces résultats.

Tableau 4.20 : Estimations de la fonction exponentielle négative pour l’aire urbaine de Lyon en fonction de différentes distances
Distance à vol d’oiseau Distance réseau Durée de déplacement
1975 1990 1975 1990 1975 1990
Constante 2,416*** 2,619*** 2,825*** 2,939*** 2,899*** 3,371***
(14,733) (17,266) (17,764) (20,075) (17,505) (21,396)
Eloignement -0,102*** -0,091*** -0,095*** -0,083*** -0,088*** -0,111***
(-13,924) (-13,369) (-16,843) (-16,087) (-16,571) (-17,589)
0,45 0,43 0,54 0,52 0,54 0,56
T de Student entre parenthèses

En outre, à partir des résultats du Tableau 4.20, on peut noter que les régressions par rapport à la distance à vol d’oiseau et avec la distance-réseau font apparaître un net affaiblissement en valeur absolue du coefficient de la distance entre 1975 et 1990 : la densité diminuait de 10,2 %/km en 1975. Elle ne diminue plus que de 9,1 %/km en 1990. Une régression sur les résultats du recensement de 1999 montre que cette baisse se poursuit : de 8,7 %/km. Le gradient diminue sur la période ce qui correspond à un aplatissement de la courbe des densités et par conséquent à un étalement de la population.

En revanche, le coefficient de la régression réalisée sur des distance-temps augmente nettement en valeur absolue entre 1975 et 1990 : la densité diminuait de 8,8 % par minute en 1975. En 1990, elle diminue de 11,1 %/minute. L’étalement urbain ne semble donc pas être attribuable à une plus faible sensibilité des ménages au temps de déplacement (une baisse des valeurs du temps) mais serait plutôt la conséquence de l’amélioration du réseau de transport, permettant une diminution sensible des temps de déplacement pour les mêmes distances.

La différence entre distance et coûts de déplacements est génératrice d’asymétries que l’on peut repérer dans le Graphique 4.7. La confirmation de ce diagnostic visuel intervient sur la base de la distribution des résidus d’estimation (Tableau 4.21). On note que la forte dissymétrie des résidus semble s’atténuer quand on passe de la distance à vol d’oiseau aux durées de déplacement.

Tableau 4.21 : Répartition des résidus normalisés des estimations
Recensement de 1975 Recensement de 1990
Distance à vol d’oiseau Distance réseau Durée de déplacement Distance à vol d’oiseau Distance réseau Durée de déplacement
[-3 -2[ 0,8% 1,3% 0,4% 0,4% 1,3% 0,8%
[-2 -1[ 10,0% 11,7% 15,9% 11,3% 11,3% 13,8%
[-1 -0,5[ 22,2% 20,5% 17,6% 22,2% 21,8% 18,4%
[-0,5 0[ 23,4% 19,2% 23,4% 25,5% 20,5% 22,6%
[0 0,5[ 15,5% 19,7% 13,0% 15,1% 18,0% 15,9%
[0,5 1[ 11,3% 12,6% 14,2% 9,6% 13,0% 13,8%
[1 2[ 12,6% 10,9% 10,5% 11,7% 11,3% 10,9%
[2 4[ 4,2% 4,2% 5,0% 4,2% 2,9% 3,8%
Somme 1 1 1 1 1 1

Pour confirmer cette observation des distributions, nous avons calculé les indicateurs habituels d’asymétrie, le Skewness, et d’aplatissement, le Kurtosis centré (Encadré 4.3). La combinaison de ces deux termes, qui pour une loi normale sont nuls, permet de calculer la statistique de Jarque-Bera, qui est un test classique de normalité d’une distribution. On trouvera également dans le Tableau 4.22 cette statistique et les contributions respectives du Skewness et du Kurtosis à la valeur de cette statistique.

  • Le Skewness comme indicateur d’asymétrie s’écrit comme suit :
    message URL form42-1.gif
    N est le nombre d’observations, μ3 est le moment centré d’ordre 3, σ l’écart-type et message URL xbarre1.gif la moyenne.

    Le Kurtosis (aplatissement ou concentration autour de la moyenne de la distribution) est défini par : message URL form42-2.gif

    La statistique de Jarque-Bera se décompose en deux termes :
    message URL form42-3.gif b

    avec une distribution asymptotique du Khi-deux à deux degrés de liberté. Le premier terme est lié au Skewness et le second au Kurtosis.
    Le calcul de ces deux termes permet d’apprécier si la normalité ou la non normalité selon les cas est principalement la conséquence de l’asymétrie ou de l’aplatissement de la distribution.

On constate que le test de Jarque-Bera conduit largement, dans tous les cas, à rejeter l’hypothèse de normalité (la zone de rejet commence à une valeur de 6 pour un test au seuil de 5%, à une valeur de 9,2 pour un test au seuil de 1 %). De plus, ce rejet est essentiellement le fait de l’asymétrie. Une distribution ayant le même niveau d’aplatissement sans asymétrie serait considérée comme issue de la loi normale. Enfin, pour le recensement de 1990, le niveau d’asymétrie et sa contribution au skewness diminuent bien quand on passe de la distance à vol d’oiseau à la distance réseau et de cette dernière à la durée de déplacement. Ce n’est pas le cas pour 1975, mais on sait les incertitudes liées à la reconstitution du réseau à cette époque qui ne peuvent qu’entacher les résultats.

Tableau 4.22 : Indicateurs Skewness, Kurtosis et statitique Jarque-Bera sur les résidus normalisés
Recensement de 1975 Recensement de 1990
Distance à vol d’oiseau Distance réseau Durée de déplacement Distance à vol d’oiseau Distance réseau Durée de déplacement
Skewness 0,628 0,405 0,654 0,632 0,563 0,485
Kurtosis centré 0,320 0,504 0,965 0,642 0,568 0,018
Stat. Jarque Bera 26,029 18,651 26,071 29,261 25,651 19,330
Dont contributions
Du skewness 25,009 16,120 26,059 25,162 22,443 19,327
Du kurtosis 1,020 2,531 0,012 4,099 3,208 0,003

Pour compléter l’analyse des résidus, on trouvera dans le Tableau 4.23 des tests d’hétéroscédasticité et de robustesse. Dans tous les cas, on accepte l’hypothèse nulle.

Tableau 4.23 : Tests sur les résidus d’estimation selon les types de distance
Distance à vol d’oiseau
1975 1990
Test d’hétéroscédasticité
Koenker Bassett Test 0,95 0,18
Proba 0,329774 0,665125
Test de robustesse de la spécification
Test de White 2,83 1,23
Proba 0,242441 0,539629
Distance réseau
1975 1990
Test d’hétéroscédasticité
Breusch-Pagan 0,40
Proba 0,527218
Koenker Bassett Test 0,02
Proba 0,885527
Test de robustesse de la spécification
Test de White 1,79 0,19
Proba 0,408107 0,908785
Durées de déplacement
1975 1990
Test d’hétéroscédasticité
Koenker Bassett Test 4,22 1,54
Proba 0,039880 0,214454
Test de robustesse de la spécification
Test de White 6,51 1,67
Proba 0,038526 0,433513

Les estimations réalisées sur l’aire urbaine de Lyon, pour différentes périodes de temps, n’infirment pas les prédictions du modèle théorique. Ces distances-réseaux et ces distances-temps offrent des résultats particulièrement significatifs en termes de gains de qualité d’ajustement pour la fonction exponentielle négative. La dissymétrie de la structure aléatoire du nuage de points s’atténue sensiblement avec ces indicateurs de durée et de distance parcourue.

Ces distances-temps et ces distances-réseaux peuvent être également mobilisées dans le cadre d’estimations retenant la forme proposée par Bussière sur la population cumulée et la forme amendée par Bonnafous et Tabourin (1995).