8. Conclusion

Nous avons cherché, dans ce chapitre, à dépasser autant que faire ce peut les différentes limites identifiées dans les recherches menées jusqu’à présent, que nous avions mentionnées dans le chapitre III relatif à l’analyse des densités et de leur évolution. La première d’entre elles était la rareté des recherches engagées sur les espaces urbains français. En outre, ce faible nombre de travaux se doublait d’une paucité des approches comparatives. Les travaux existants développaient essentiellement une analyse monographique centrée sur une ville. La collection de ces travaux aurait offert un comparatif intéressant sur les configurations urbaines. Mais les différences d’options en termes de périmètre, de périodes d’observation, d’unités spatiales, de méthodologies d’estimation retenues, de formes fonctionnelles sélectionnées rendaient plus délicat et incertain l’énoncé de conclusions claires et robustes.

En conséquence, nous avons opté pour une analyse systématique et comparative en sélectionnant un grand nombre d’espaces urbains français. La temporalité urbaine de plusieurs années nécessite de retenir des périodes d’observations suffisamment longues pour suivre l’évolution de ces configurations. Nous avons sélectionné dans un premier temps les années 1975, 1982 et 1990 correspondant aux années de recensement de la population. Les premiers résultats du recensement de 1999 offraient un année supplémentaire d’observation qui permet de rendre un peu plus pertinent encore les résultats obtenus.

Ce caractère systématique et comparatif envisagé pour un grand nombre d’aires urbaines françaises a été retenu dans le test de formes fonctionnelles multiples.

Sur la base de ces différentes estimations aux niveaux des aires urbaines sélectionnées, il apparaît que sur la période 1975-1999, le gradient de densité moyen déterminé sur l’ensemble des aires urbaines décroît de 1,5 %, traduisant une tendance à l’étalement urbain. Au sein de cet intervalle de temps, son évolution est cependant plus contrastée. Il a tendance à s’accroître en début de période (1975-1982) puis il diminue au cours des deux dernières suivantes (1982-1990 ; 1990-1999). Cette tendance cache cependant des disparités selon la taille de l’aire urbaine.

Sur un plan méthodologique, la fonction exponentielle négative offre des résultats qui ne sont pas négligeables en particulier sur les grandes aires urbaines pour lesquelles on aurait pu penser que la présence de pôles secondaires seraient venus perturber sérieusement les estimations. D’autres formes fonctionnelles ont été testées. Il apparaît que la loi Log normale offre des résultats plus significatifs mais la multiplication des paramètres rend plus difficile l’obtention d’une synthèse de ces configurations.

Pour tester également, les deux prédictions du modèle théorique présenté dans le chapitre théorique, nous avons exploré deux pistes de recherche non encore parcourues. La première repose sur cette idée que l’hypothèse très largement adoptée de l’homogénéité dans l’espace ou de l’isotropie des réseaux de transport est forte et difficilement acceptable. L’observation de la morphologie des réseaux conduit à remarquer que les réseaux sont de taille, de capacité, de vitesse et de distribution différentes dans l’espace, sources d’hétérogénéité et d’anisotropie. Le caractère univoque de la relation entre distance et densité s’en trouve remise en cause. Désormais, pour une même distance au centre, les coûts de transport selon les réseaux de transport ne sont plus identiques.

Les distances-réseaux et les distances-temps déterminées sur l’ensemble des communes de l’aire urbaine de Lyon mais également sur différents périmètres de cette aire et d’autres villes de la région Rhône-Alpes constituent un indicateur plus pertinent des coûts de transports que la seule distance euclidienne. Nous avons pu montré sur la base de ces distances que les performances des estimations de formes fonctionnelles comme l’exponentielle négative s’en trouvaient significativement améliorées. Performante sur le plan de l’ajustement, elle l’est aussi sur le plan de la signification. Elle confirme en partie l’intuition qui avait prévalue dans l’introduction du paramètre K dans la formulation de Bussière.

Les prédictions du modèle théorique, développé précédemment, ne se sont pas trouvées infirmées, si l’on adopte une perspective popériennne. Avec ces estimations, l’étalement urbain ne semble donc pas être attribuable à moindre sensibilité des ménages au temps de déplacement mais trouve plutôt son origine dans la diminution des temps de déplacement pour les mêmes distances, induite par le développement des réseaux de transports.

La construction de distances-réseaux et de distances-temps se heurtent cependant à sa faisabilité compte tenu des données qu’elle exige et du travail qu’elle nécessite. Pour pallier cette difficulté et soumettre le modèle théorique à un test supplémentaire, nous avons développé une nouvelle méthode d’estimation : les frontières de production inversées. Cette méthode intègre de manière structurelle la forme dissymétrique du nuage des points des densités suivant la distance euclidiennes au centre.

Comme pour les distances-réseaux et les distances-temps, cette méthode assure des résultats significatifs sur plusieurs aires urbaines. Une troisième méthode d’estimation est à envisager, considérant que les différences entre temps de déplacement et distances à vol d’oiseau sont génératrices d’autocorrélation spatiale. Les habitants résidant près d’axes de transport auront des comportements en termes de choix d’itinéraires relativement proches mais distincts de ceux qui en sont éloignés. Il convient dès lors d’intégrer cette autocorrélation spatiale pour obtenir des estimations sans biais et plus robustes.

Plus largement, il sera nécessaire d’envisager également d’autres facteurs explicatifs de ces configurations urbaines que la seule distance au centre, démarche que nous avons initiée avec le recours à d’autres types de distances. Nous nous proposons donc de procéder à de telles estimations. Au préalable, il sera nécessaire de présenter cette notion d’autocorrélation spatiale et les outils de l’économétrie spatiale, objectif du prochain chapitre.