2. Les résultats des estimations

Nous représenterons, dans un premier temps les tests des prédictions du modèle théorique relatif à la relation densité-distance, avant d’estimer les facteurs explicatifs des configurations urbaines autres que celui de la seule distance au centre.

2.1 Une structure urbaine source d’autocorrélation spatiale

Le modèle théorique, développé dans le chapitre 2 aboutit à deux conclusions que nous avons déjà testées sur la base d’autres types de distances qu’euclidiennes et en développant une méthode d’estimation fondée sur des frontières de production inversées appliquées aux densités.

Ce modèle considère que la densité se trouve moins liée à la distance, compte tenu du fait que pour une même distance, les coûts d’accès au centre ne sont plus les mêmes, en particulier que le coût d’accès est fonction de la présence d’axes de transport rapides. Il s’ensuit une hétérogénéité des points à une même distance. En conséquence, les estimations de fonctions de densité réalisées sur la base d’indicateurs de coûts de transport devraient fournir de meilleurs résultats que celles menées sur la seule distance au centre.

Il suggère également que l’existence d’axes de transport rapides génère une hétérogénéité qui prend la forme d’un aléa dissymétrique. Pour une même distance au centre, les localisations pour lesquelles les coûts de transport sont importants sont plus nombreuses que celles pour lesquelles ce coût est réduit.

Les différences entre durée de déplacement et distance à vol d’oiseau sont alors sources d’autocorrélation spatiale. Les ménages de deux communes contiguës situées approximativement à la même distance à vol d’oiseau du centre de l’agglomération et proches d’axes de transport vont avoir des comportements similaires en termes de choix d’itinéraires et des coûts de transport proches, ceteris paribus. Il en sera de même pour des ménages localisés dans des communes contiguës mais éloignées des axes de transport rapides. Cette similarité est génératrice d’autocorrélation spatiale. En outre, dans la mesure où les positions relatives des communes par rapport aux axes sont susceptibles de différer plus largement à une certaine distance, on peut penser que cette autocorrélation sera plus nette à courte distance.

Autrement dit, on peut émettre l’hypothèse qu’il y a autocorrélation spatiale dans un modèle de densité où la distance est la variable explicative.

Une seconde hypothèse peut être formulée sur le niveau d’autocorrélation spatiale. Cette dernière sera a priori plus forte avec une matrice d’interactions pondérant plus fortement les courtes distances.

Nous avons donc estimé un modèle avec autocorrélation spatiale. Il s’écrit sous la forme :

message URL form61.gif

avec

Z la matrice des effets d’autocorrélation spatiale

ξ un vecteur de résidus indépendants, non nécessairement homoscédastiques

E(ξ)=0 et V(ξ)=σ2V avec V une matrice diagonale.

Les matrices des effets d’autorégression Z dépendent d’un vecteur de paramètres. Généralement, les composantes de λZ sont des fonctions croissantes de λ telles que Z(λ)=0. La valeur de λ peut être interprétée comme la mesure de l’autocorrélation spatiale.

L’hypothèse nulle de l’absence d’autocorrélation correspond à :

H0 : λ=0.

Nous avons utilisé deux spécifications de la matrice d’interaction, toutes deux normalisées. Dans la première, Z1, l’interaction entre deux communes est inversement proportionnelle à la distance entre leurs centroïdes. Dans la deuxième, Z2, l’interaction est inversement proportionnelle au carré de la distance entre les centroïdes. Cette différence de spécification peut être interprétée comme un impact différencié de la distance. Z2 donne plus de poids à la proximité que Z1.

Le modèle a été estimé pour les quatre recensements de 1975, 1982, 1990 et 1999. On en trouvera les résultats dans le Tableau 6.8 et les tests d’autocorrélation des résidus dans le tableau 6.9.

Tableau 6.8 : Résultats du modèle avec autocorrélation des résidus pour les estimations de la fonction de densité sur l’aire urbaine de Lyon en 1975, 1982, 1990 et 1999
1975 1982 1990 1999
Z1 Z2 Z1 Z2 Z1 Z2 Z1 Z2
Coefficient 0,93*** 0,74*** 0,93*** 0,75*** 0,94*** 0,77*** 0,94*** 0,77***
Autorrélation λ (21,57) (12,88) (23,13) (13,18) (26,02) (14,55) (25,9) (14,35)
Constante 2,53*** 2,71*** 2,64*** 2,87*** 2,74*** 3,02*** 2,79*** 3,07***
(2,67) (7,34) (12,42) (8,01) (2,65) (8,43) (2,86) (9,09)
Distance -0,116*** -0,120*** -0,111*** -0,118*** -0,106*** -0,116*** -0,102*** -0,110***
(-11,86) (-9,29) (-11,84) (-9,45) (-11,88) (-9,55) (-11,97) (-9,64)
R2 adj. 0,45 0,45 0,44 0,44 0,43 0,43 0,43 0,43
Log de vraisemblance -329,33 -314,8 -319,6 -304,9 -307,9 -290,8 -295,6 -278,6
AIC 662,6 633,6 643,3 613,5 619,9 585,7 595,3 561,3
SC 669,6 640,5 650,3 620,9 626,9 592,6 602,3 568,2
*** Test significatif au seuil de 0,01 ; ** 0,05 ; * 0,1. Z-value entre parenthèses
Tableau 6.9 : Tests de Wald, LM et LR sur le modèle avec autocorrélation des résidus
1975 1982 1990 1999
Wald LR LM Wald LR LM Wald LR LM Wald LR LM
Z1 465,2 35,8 62,5 534,9 37,5 65,5 677,0 41,4 75,1 670,8 41,2 74,6
Wald> ;LM> ;LR Wald> ; LM> ;LR> ; Wald> ;LM> ;LR> ; Wald> ;LM> ;LR> ;
Z2 165,8 64,8 72,8 173,7 66,8 75,7 211,7 75,6 87,6 205,9 75,2 87,9
Wald> ;LM> ;LR Wald> ; LM> ;LR> ; Wald> ;LM> ;LR> ; Wald> ;LM> ;LR> ;

Plusieurs remarques sont possibles à partir de ces estimations.

  • Les estimations indiquent clairement l’existence d’une autocorrélation spatiale. La valeur λ est significative dans tous les cas de figure. L’hypothèse nulle est nettement rejetée avec Z1 et Z2.

  • Les statistiques du multiplicateur de Lagrange conduisent toujours à la conclusion que l’autocorrélation est significative tout comme les statistiques de Wald. L’ordre des tests ne correspond cependant pas à l’ordre attendu W LR ERR LM ERR.

  • La valeur des gradients est nettement supérieure quand l’autocorrélation est prise en compte en particulier avec la matrice Z2 que lorsque celle-ci n’est pas intégrée (Tableau 6.10).

  • Cette différence dans les valeurs des gradients ne remet pas en cause la tendance à la baisse sur la période, qui peut être interprétée comme un étalement urbain. Seul le rythme de décroissance est moindre.

Tableau 6.10 : Valeurs des gradients selon les méthodes d’estimation
γ 75 γ 82 γ 90 γ 99
Modèle linéaire simple -0,102 -0,097 -0,091 -0,087
Modèle avec autocorrélation des résidus (avec Z2 -0,120 -0,118 -0,116 -0,110

En conclusion, les résultats obtenus avec cette méthode d’estimation intégrant l’autocorrélation spatiale sont conformes aux prédictions du modèle. De l’autocorrélation spatiale est bien présente dans les estimations de fonctions de densité. Il convient donc de l’intégrer dans les estimations à venir, sous peine d’avoir des biais dans les paramètres. La seconde hypothèse sur le niveau d’autocorrélation spatiale est infirmée.

Les trois méthodes d’estimation de la fonction exponentielle négative que nous avons mises en oeuvre, estimation avec des distances-temps et des distances-réseaux, estimation avec des frontières de production inversées, estimation avec prise en compte de l’autocorrélation spatiale, offrent des résultats significatifs. En adoptant une perspective popérienne, ils ne viennent pas infirmer les prédictions du modèle théorique.

Ces méthodes permettent, non seulement d’améliorer l’explication au sens statistique des configurations, mais également au sens de la compréhension des configurations urbaines.

Envisagée jusqu’à présent sur la base de la seule distance au centre et dans le seul cas de l’aire urbaine de Lyon, l’explication se doit désormais d’intégrer d’autres facteurs identifiés en particulier dans le cadre des modèles théoriques et d’envisager d’autres aires urbaines.