Université Lumière Lyon 2
Institut des Sciences et Pratiques d'Education et de Formation
Les lycéens du cycle terminal, acteurs de leur orientation ?
Contribution à l'action des conseillers d'orientation-psychologues
Thèse de doctorat en Sciences de l'Education
Dirigée par Guy AVANZINI
Présentée et soutenue publiquement le 27 janvier 2000

Remerciements

Je souhaite vivement remercier:

- Les enseignants qui m'ont prodigué leurs conseils,

- Les parents, amis, collègues de travail et tous ceux qui m'ont apporté une aide matérielle et morale dans la réalisation de ce mémoire,

- Madame le Proviseur du lycée Charlie Chaplin de Décines, qui m'a permis de conduire de nombreuses investigations dans son établissement.

Epigraphe

"On était en février et le froid était net et piquant. Sous le ciel bas, dans cette grande étendue plane et sans arbres, un vent cruel bondissait et faisait front. Mazureau n'y prenait point garde, mais le petit geignait de temps en temps:
- Cré nom! Le vent coupe!

Il s'arrêta un instant pour rabattre les oreillères de sa casquette. Le grand-père, ne le sentant plus à côté de lui, se retourna, et son regard, vague, se posa sur l'enfant:
- Que fais-tu donc, Bernard?
- C'est que j'ai les oreilles glacées... et puis le bout du nez aussi.

Mais le grand-père n'entendait pas. Depuis les paroles du notaire, toute sa pensée était en travail.
- Mauvais temps! disait l'enfant; la terre n'est pas gelée, cependant rien ne pousse. Il faudrait un peu de soleil à ce moment de l'année, et de l'eau, n'est-ce pas, pour les emblavures?
- Oui! De l'eau... De la pluie douce... Dis-moi, Bernard?
-Quoi donc, grand-père?
Le grand-père n'acheva sa pensée que vingt pas plus loin:
- Dis-moi, Bernard, t'en retournerais-tu à la ville avec ta mère si elle voulait t'emmener?
- Non!
- Si elle veut, cependant...
- Elle ne m'emmènera pas! Je ne veux pas, moi! Ma place est ici; c'est ici qu'il y a du travail pour moi.
- Mais elle parlait de te mettre à l'apprentissage, ta mère...
- Je n'irai pas! Mon père est mort à la guerre... J'ai des droits!
- Bien dit, mon petit gars!
- Je veux rester chez nous; j'aime la terre, moi; je veux des champs... Plus tard, j'achèterai de la terre au lieu d'en vendre.
- Bien dit, Mazureau!

Le grand-père regarda avec une orgueilleuse tendresse cet enfant qu'il connaissait à peine, trois ans plus tôt. Sa bru le lui avait confié au début de la guerre, quand elle était entrée comme ouvrière dans une usine de Nantes. Et tout de suite, le petit citadin anémique s'était épanoui. Un mois après son arrivée, son fouet en main, des socques boueuses aux pieds, il poussait les bêtes avec le dandinement d'un vieux paysan.

Il avait retrouvé, d'instinct, les gestes séculaires de sa race et, en son âme d'enfant, quelque chose d'âpre avait surgi qui était le tenace amour de la terre, de la terre ingrate, buveuse de sueur, buveuse de sang, de la terre maigre où l'outil s'émousse, de l'argile qui tire les pieds, de la terre dure aux hommes, mais où passe le vent des libres espaces.

Oui, celui-là était un vrai Mazureau, un gars solide, rusé, actif, un peu taciturne. Il répondait mal aux gâteries de sa tante Eveline, si douce et si maternelle. On ne le voyait point jouer avec les jeunes garçons de son âge; il préférait à toute autre compagnie celle de son grand-père et celle de son chien Flambeau, une grande bête hargneuse, aux yeux féroces. Quand il avait appris la mort de son père, il avait pleuré, mais raisonnablement.

- Bien dit, Mazureau!

Le grand-père continua avec un sourire:
- As-tu entendu ce qu'il disait, le notaire?
- Le notaire? Le notaire, il est fou!
- Pourtant, huit mille francs l'hectare!... Huit mille francs en papiers d'Etat, cela rapporte quarante-huit pistoles.
L'enfant s'arrêta court:
- Tout de même, vous ne voudriez pas vendre? Vous n'êtes pas ruiné? Que ferions-nous après?
Il y avait dans sa voix une réelle angoisse et une sorte de colère aussi.

(...)

Malgré le vent aigre, ils furent un moment songeurs devant cette bonne terre étendue à perte de vue sous le jeune soleil. Et puis l'enfant montra la grande parcelle qui, sur la droite venait finir en coin au cimetière des Mazureau.

- Ce champ qui nous touche et qui est de la Millancherie, à qui appartient-il?
- La Millancherie est à un monsieur de la ville; je crois qu'il vient de mourir... Mais ce champ a été nôtre autrefois; c'est ton grand-oncle qui l'a vendu.
- Il faut le racheter.
- Mon petit gars, c'est le désir de ma vie.

Le grand-père s'était approché de l'enfant et celui-ci, appuyé d'une main sur son épaule, se dressait sur la pointe des pieds.
- Je voudrais être riche, dit Bernard, pour racheter les champs de chez nous qui ont été vendus. Je voudrais être très riche... J'achèterais tous les champs que tu vois, ceux de la Millancherie, ceux de Monte-à-peine, les champs aux voisins de Fougeray, les champs à ceux de Querelles et aussi les fermes qui sont aux messieurs... J'achèterais toutes les terres.
Son bras se tendait et se repliait en un geste d'avare, comme pour appeler à lui les parcelles innombrables et pour les grouper jalousement autour du cimetière des Mazureau.
" Et le grand-père, redressé lui aussi et tremblant d'émotion, ouvrait sur la plaine des yeux avides d'amoureux."

Ernest PEROCHON
La parcelle 32,PARIS, Nelson éditeurs, 1935, p. 12-21.