2. L'instauration de la démocratie au Brésil et la logique de la négociation lente, graduelle et sûre

Adoptant le récapitulatif de Roberto Amaral (1995), nous apprenons que le processus d'instauration d'une démocratie représentative au Brésil remonte au Premier Empire, avec les élections directes expérimentées par la Régence. Cependant, à cette époque-là, la société était composée d'environ 20% d'esclaves. En outre, les critères du système électoral, jusqu'à la proclamation de la République, étaient fondés sur les revenus des électeurs et ne permettaient le vote qu'à 0,8% de la population libre. Nous sommes encore très loin du suffrage universel.

La République proclamée en 1889 par sa nouvelle Constitution remplaçait la Constitution Impériale de 1824, modifiant les critères de droit au vote. Cette année-là, l'esclavage avait été aboli mais le vote restait toujours interdit aux mendiants, aux analphabètes, aux militaires sans grade, aux religieux d'ordres monastiques et aux femmes. Ceci veut dire que 90% de la population était encore exclue du suffrage jusqu'à 1934, date à laquelle une autre Constitution changea les donnes. A partir de cette année-ci, le droit au vote est élargi, mais le président de la République est élu par le vote indirect d'un collège restreint. C'est seulement en 1945 que le président sera élu par le peuple brésilien, période qui verra sa fin en 1964 par un coup d'Etat militaire. Dès lors, le pays assistera à une succession de militaires aussi élus par un collège électoral restreint, jusqu'en1985, lorsque la campagne pour les élections directes pour la présidence commence.

Cette campagne, connue sous le nom de " Diretas Já " ( " Elections Directes Tout de Suite " ), peut être considérée comme le début du processus démocratique proprement dit, marquant le point de départ aux changements advenus dans la direction de l'universalisation de l'accès au vote, institutionnalisé par la Constitution de 1988. Le rétablissement des élections directes pour la présidence de la république y était inscrit. Les premières élections présidentielles au suffrage universel devaient avoir lieu en 1989.

Cependant, le processus d'instauration de la démocratie au Brésil a été initié, selon les mots de Przeworski, par " des forces à l'intérieur de l'establishment du pouvoir autoritaire cherchant, invariablement, promouvoir l'ouverture contrôlée de l'espace politique et résultent, typiquement, des divisions internes, précédées de plusieurs signes annonciateurs d'une crise éminente " 14 .

Quant à Smith (1988), il conclut, d'après un document qui décrit les plans de libéralisation élaborés par le Général Costa e Silva, que la différence entre la libéralisation engagée par les militaires et la démocratisation effective était claire car, pour ce Général, " si [la démocratie] était correctement instaurée, des doses adéquates de libéralisation pouvaient remplacer la génuine démocratie, pouvant, en même temps, maintenir l'exclusion politique des groupes subalternes et épuisant les demandes significatives d'une réforme réelle du modèle économique. " 15

Ces auteurs nous aident à élaborer notre principal présupposé, qui consiste à considérer que l'ouverture politique effectuée par les militaires qui a engendré l'universalisation du droit de vote et malgré la grande mobilisation populaire ayant eu lieu dans cet important moment historique, il n'y a pas eu de rupture profonde dans les institutions sociales brésiliennes pendant le processus d'instauration du régime démocratique existant aujourd'hui. Ce modèle a été instauré dans ce pays, du haut vers le bas, dans les limites prescrites par ceux qui détenaient le pouvoir dans ce contexte politique. Même si les militaires ont été impressionnés par le dynamisme des manifestations populaires pour les " Diretas Já " 16 , il a été le résultat de négociations engagées entre le pouvoir militaire et certains groupes qui composaient les forces d'opposition, qui ont incorporé dans le nouvel ordre politique, des cadres de l'ancien régime dans tous les niveaux de la vie publique.

Nous essaierons de montrer ici que, non seulement dans ce moment de transition, mais toute l'histoire politique du pays a été construite par des coups d'Etat et négociations intergroupes économiquement dominants et, plus récemment, avec des segments de la bourgeoisie industrielle née au début du XX siècle. Ce modèle implique des prises de décision au nom du peuple mais sans son consentement ou consultation voire même pour freiner l'amplitude des manifestations populaires organisées. Ce que nous permet de dire que, malgré les changements advenus dans la morphologie sociale du pays, il n'y a pas une d'altération dans les institutions sociales établies qui puisse modifier sa caractéristique d'exclusion des couches subalternes.

Nous pensons que cette caractéristique d'exclusion agit pour le maintien des formes assumées par les relations sociales coloniales et, par conséquent, la non-altération des significations imaginaires qui définissent, pour les membres de cette société, la réalité. Par conséquent, nous suggérons que les détenteurs du pouvoir sont aussi les détenteurs des significations dominantes, car ils possèdent depuis le début de la constitution de la société nationale, le monopole des significations valables :

‘" La plus puissante armée du monde ne vous protégera pas si elle ne vous est pas fidèle - et le fondement de sa fidélité est sa croyance imaginaire en votre légitimité imaginaires. " 17

Pour cette raison, nous allons utiliser le phénomène électoral, plus précisément, le choix du candidat aux dernières présidentielles pour essayer de démontrer que l'instance décisoire des électeurs brésiliens trouve sa source dans les significations imaginaires instituées, constituant l'hiatusentre la prétention en la légitimation et sa croyance, orientant, par conséquent, les actions de ceux qui la cherchent et de ceux qui l'attribuent.

Notes
14.

Przeworski A., Dilemas da consolidação da democracia, São Paulo, Paz e Terra, 1989 : 26.

15.

In Przeworski A., Dilemas da consolidação da democracia, São Paulo, Paz e Terra, 1989 : 26.

16.

Le Président Figueiredo, disait, à ce propos de la dimension que prennait les manifestations : " qu'il pouvait avoir un autre 64 dans le pays ". In Tosi A., Comunicação e política, Cebela, 1995 : 176.

17.

Castoriadis C., Le monde morcelé, Paris, Seuil, 1990 : 123.