1.2 : Le contexte urbain

Pour comprendre l’évolution de la mobilité urbaine, il est bon d’avoir à l’esprit une vision claire du contexte dans lequel elle prend corps. Le contexte spatial de la mobilité urbaine est la ville. Il est cependant illusoire de penser qu’en ayant ainsi défini le contexte urbain, la mobilité urbaine peut être aisément saisie. D’une vision floue de la ville, il est nécessaire de passer à une définition parfaitement délimitée du contexte urbain servant de cadre à la mobilité urbaine. Cette définition dépend grandement des évolutions de la structure interne urbaine.

Sans faire un historique de l’évolution des villes (voir Pumain, 1982 ; Bairoch, 1985), de grandes tendances de l’évolution récente de l’urbanisation méritent cependant d’être notées. Ces tendances présentées ici ne se préoccupent que des caractéristiques internes de l’urbain sans que soient mentionnées les évolutions hiérarchiques des villes. L’armature urbaine n’ayant pas, ou suffisamment peu, d’influence directe sur les phénomènes intra-urbains, comme la mobilité urbaine, seuls les éléments caractéristiques de l’évolution interne des villes pesant sur la mobilité quotidienne des personnes au sein des espaces urbains sont ici mobilisés.

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Encadré1 :. Délimitation statistique de l’urbain

De manière globale, le contexte démographique mondial suit une tendance inéluctable à l’urbanisation (Moricani-Ebrard, 1993 ; United Nations, 1994). Si, en 1900, moins de 10 % de la population mondiale habitaient des villes d’au moins 20 000 habitants, le niveau d’urbanisation est passé à 42 % en 1990, ce qui représente peu ou prou 2,2 milliards de citadins (Polèse, 1994). En Europe, la proportion de la population résidant en ville est passée de près de 20 % en 1850 à presque 75 % à la fin du xxe siècle (Bairoch, 1985). Pour la France, d’une estimation à 6 millions d’habitants en 1831 (Guerrin-Pace, 1993), la population urbaine est passée à plus de 44,2 millions aujourd’hui (Chavouet, Fanouillet, 2000). Sur la même période, la population totale a simplement doublé (Damette, 1994). Dès lors, la part de la population des communes urbaines en France métropolitaine se monte à 75,5 % en 1999 (Chavouet, Fanouillet, 2000).

La croissance de l’évolution de la population urbaine française est restée relativement faible jusqu’au sortir de la seconde guerre mondiale, de l’ordre de 1,5 % par an environ. Elle s’accélère jusqu’au seuil des années 70, autour de 2,5 % par en an en moyenne. Elle affiche un rythme beaucoup plus élevé jusqu’au début des années 90 où elle tend à se stabiliser. Sur le découpage des aires urbaines de 1990, la population urbaine a progressé entre 1990 et 1999 de 0,40 % par an (Julien, 2000). La taille moyenne des villes a doublé de 1931 à 1990. En même temps, la population urbaine a crû plus vite que le nombre de villes (Guerin-Pace, 1993). La coexistence de ces deux derniers phénomènes a donc conduit à une concentration accrue de la population dans les villes. Entre 1990 et 1995, le rythme annuel de croissance de la population dans les aires urbaines françaises s’établit à 0,61 % alors que celui de la population totale métropolitaine est de 0,23 % (Julien, 1998). La population urbaine occupe ainsi 18,4 % du territoire métropolitain en 1999 (Chavouet, Fanouillet, 2000).

De 1990 à 1999, la population des villes-centres, qui perdaient des habitants depuis 1975, a progressé de 0,12 % par an, celle des banlieues de 0,42 % et celle des couronnes périurbaines de 1,03 % (Bessy-Pietri, 2000)4. La concentration se ralentit donc, même si les dernières données affichent un léger retournement de tendance, au profit d’un mouvement vers la suburbanisation dans un premier temps, c’est-à-dire jusqu’aux années 70 (Aydalot, 1985), puis de périurbanisation (Kaufmann, 2000). L’augmentation de la population urbaine, entre 1990 et 1999, est ainsi due pour moitié à l’absorption de communes auparavant classées dans les communes rurales (Chavouet, Fanouillet, 2000). Dans le cadre de cette trajectoire vers la périurbanisation (voir Tableau 1), il apparaît que le taux de croissance de la population s’élève avec l’éloignement au centre. Ce sont donc les communes périurbaines qui gagnent le plus de population entre 1982 et 1990 (Le Jeannic, 1996). La progression de la population périurbaine est notamment le fait d’un solde naturel positif doublé d’un fort excédent migratoire provenant principalement du déplacement résidentiel des citadins allant du centre vers la périphérie (voir Figure 1). Le taux d’évolution annuel moyen de 1990 à 1999, dû au solde migratoire des couronnes périurbaines, est des 0,63 %, alors qu’il est de - 0,34 % pour les villes-centres et de - 0,23 % pour les banlieues (Bessy-Pietri, 2000).

Ainsi, d’un fort mouvement de concentration de la population sur des points du territoire national, l’espace urbain procède aujourd’hui d’une extension de la localisation résidentielle des populations citadines en périphérie des villes-centres, s’étendant au-delà des traditionnelles banlieues, vers des espaces plus diffus. Cette tendance est telle que pour certains (Dézert et al., 1991), la périurbanisation lointaine ne permet plus de délimiter une frontière nette séparant l’urbain du rural. La densité de population des communes périurbaines est en effet de 74 habitants au km2 en 1990 alors qu’elle se monte à 858 habitants au km2 pour les pôles urbains5 (Le Jeannic, 1997) et 3 550 habitants au km2 pour les communes-centres des aires urbaines de plus de 100 000 habitants (Berroir, 1996). L’urbanisation s’étale donc dans l’espace sous un principe de type « concentration – débordement » (Terrier, 1987) dont l’origine semble provenir d’un rejet de la ville-centre ayant débuté au seuil des années 70. La croissance des revenus et celle du niveau de vie, comme le souligne un rapport de l’OCDE et de la CEMT (1995), permet aux citadins de fuir les effets contraignants de la concentration urbaine et d’atteindre un positionnement social, véhiculé par l’accès à un nouvel habitat, individuel et localisé dans des espaces peu denses (Andan et al., 1989).

Tableau 1. La population de la France métropolitaine par catégorie d’espacede 1962 à 1999
Population (en millions d’habitants) Population (en %)
Pôles urbains1 Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine Pôles urbains Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine
1962 27,146 5,666 13,613 46,425 58,5 12,2 29,3 100,0
1968 30,381 5,859 13,473 49,712 61,1 11,8 27,1 100,0
1975 32,878 6,537 13,177 52,592 62,5 12,4 25,1 100,0
1982 33,357 7,715 13,263 54,335 61,4 14,2 24,4 100,0
1990 34,372 8,862 13,381 56,615 60,7 15,7 23,6 100,0
1999 35,217 9,674 13,628 58,519 60,2 16,5 23,3 100,0
1. Délimitations définies à partir du Recensement de la Population de 1990.
Source : Bessy-Pietri, P. Hilal, M., Schmitt, B. 2000. « Recensement de la population 1999. Evolutions contrastées du rural ». INSEE Première, 726, 1

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Figure 1 :. Migrations résidentielles annuelles entre la ville-centre des pôles urbains et leur couronne périurbaine (1954-1990)

Une première caractéristique de la mobilité urbaine est donc ce mouvement de concentration de la population dans des espaces denses du territoire vers une dilution de la résidence des populations urbaines sur des espaces périurbains diffus. Une deuxième caractéristique du contexte urbain est la concentration des emplois.

Parallèlement à l’éloignement de la population du centre des aires urbaines vers les espaces périurbains, la localisation des emplois se concentre dans les pôles urbains (Jacquot, 1993). Le mouvement s’explique très bien au regard de l’évolution sectorielle des emplois privilégiant la concentration des activités tertiaires au détriment de la dispersion propre aux activités primaires (Terrier, 1996). La part des emplois dans les pôles urbains dans le nombre d’emplois total en France passe ainsi de 62 % en 1962 à 71,5 % en 1990 alors que, dans le même temps, la part des emplois localisés dans les communes périurbaines passe de 9,5 % à 8,8 % (Le Jeannic, 1997)6. Cette concentration attire la population active dans les aires urbaines, celle-ci tendant à choisir de résider en périphérie des centres. La localisation de la population active croît de plus de 75 % dans les communes périphériques entre 1962 et 1990 alors qu’elle n’augmente que de 40 % dans les pôles urbains (voir Tableau 2). Sur la même période (voir Tableau 3), le nombre d’emplois dans les communes périurbaines ne croît que de 7 % alors qu’il progresse de près de 35 % dans les pôles urbains (Le Jeannic, 1997). De fait, 56 % des emplois des aires urbaines sont localisés dans les villes-centres, occupés à moitié seulement par des actifs des villes-centres. En revanche, 9 % des emplois des aires urbaines sont localisés dans les communes périurbaines (Le Jeannic, 1997). Le mouvement général est donc une concentration des emplois dans le centre des aires urbaines et une dispersion de la résidence des actifs dans le périurbain. Le phénomène de périurbanisation est donc plus rapide concernant la localisation des ménages que celui concernant la localisation des emplois. Le rapport entre le nombre d’emplois et le nombre d’actifs résidents s’est accru entre 1975 et 1990 dans les villes-centres alors qu’il s’est, dans le même temps, dégradé dans les périphéries (Massot, 1995).

Tableau 2. Population active par catégorie de communes
Population active (en millions) Population active (en %)
Pôles urbains Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine Pôles urbains Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine
1962 11,300 2,246 5,588 19,134 59,1 11,7 29,2 100,0
1968 12,691 2,305 5,402 20,398 62,2 11,3 26,5 100,0
1975 14,169 2,542 5,017 21,728 65,2 11,7 23,0 100,0
1982 14,815 3,296 5,440 23,551 62,9 14,0 23,1 100,0
1990 15,635 3,937 5,483 25,055 62,4 15,7 21,9 100,0
Source : INSEE – recensements de population (SAPHIR), à partir de Le Jeannic, T. 1997. « Trente ans de périurbanisation : extension et dilution des villes », Economie et Statistiques, 307, 7, 35.
Tableau 3. Emploi par catégorie de communes
Emplois (en millions) Emplois (en %)
Pôles urbains Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine Pôles urbains Communes périurbaines Espace à dominante rurale France métropolitaine
1962 11,713 1,806 5,385 18,904 62,0 9,5 28,5 100,0
1968 13,042 1,764 5,113 18,919 65,5 8,8 25,6 100,0
1975 14,478 1,727 4,598 20,804 69,6 8,2 22,1 100,0
1982 14,964 1,816 4,587 21,367 70,1 8,4 21,4 100,0
1990 15,781 1,938 4,351 22,070 71,5 8,8 19,7 100,0
Source : INSEE – recensements de population (SAPHIR), à partir de Le Jeannic, T. 1997. « Trente ans de périurbanisation : extension et dilution des villes », Economie et Statistiques, 307, 7, 35.

Ce phénomène conjoint d’attraction des emplois pour le centre des aires urbaines, d’une part, et de propagation des populations dans les espaces périurbains, d’autre part, annonce un bilan de la mobilité quotidienne des citadins pour lequel seule la voiture particulière semble pouvoir assurer la demande de déplacements des individus.

Notes
4.

A titre de comparaison, la population de la France métropolitaine s’est accrue de 0,37 % par an de 1990 à 1999 (INSEE, 2000).

5.

La densité moyenne est de 104 km2 pour l’ensemble du territoire français métropolitain.

6.

Ce constat reste valable même s’il convient de noter que la CEMT et l’OCDE constatent un récent desserrement de la localisation des emplois dans les banlieues et périphéries de pôles urbains européens (CEMT, OCDE, 1995).