2.3 : mobilité urbaine sur les traces de l’évolution du contexte urbain

En 1994, 30 % des déplacements concernent des migrations alternantes – i. e. des déplacements reliant le domicile au travail ou le domicile à l’école (Girault, Lebrun, Simon, 1998). Entre 1975 et 1990, la distance moyenne du domicile au travail a cru de plus de 60 % dans les grandes villes françaises et de 27 % en région parisienne12 (Orfeuil, 1994). Le trajet entre lieu de travail et lieu de résidence est de l’ordre de 14 kilomètres environ en 1990 (Genay, 1992). Le nombre d’actifs se rendant dans la ville-centre par jour est multiplié par 2,3 entre 1962 et 1990 (Le Jeannic, 1997). En 1990, 56 % des actifs quittent leur commune pour aller travailler contre 47 % en 1982 (Genay, 1992). En outre, 52 % des actifs périurbains travaillent dans les pôles urbains, dont 34 % travaillent dans les villes-centres (Le Jeannic, 1997). Dès lors, 4,5 millions de personnes en 1990 en France font le trajet périphérie – ville-centre pour occuper au global la moitié des emplois offerts dans les pôles urbains. Inversement, 1,5 millions d’actifs vont de la ville-centre à la périphérie pour se rendre au travail. Ainsi, de 2,5 millions en 1962, le nombre de mouvements journaliers entre les espaces périurbains et les centres des aires urbaines est passé à 6 millions en 1990.

Le contexte urbain, qui se manifeste par un débordement des lieux de résidence sur les espaces périphériques et de concentration des emplois dans les centres urbains, marque donc l’évolution de la mobilité urbaine au profit évident de l’usage de la voiture particulière. Le périmètre des villes sur lequel se joue la mobilité quotidienne a en effet changé. De quelques kilomètres jadis, profitables aux déplacements en transports collectifs ou au mode pédestre, le rayon des agglomérations s’étend aujourd’hui sur plusieurs dizaines de kilomètres favorisant la domination modale de l’automobile (Wiel, Rollier, 1993). La croissance de la mobilité urbaine semble à présent ralentie, mais le type de liaison se modifie vers une plus grande distance des déplacements, reliant des espaces concentrés à des espaces plus diffus. Elle est grandement modelée par les déplacements des habitants des communes périphériques des pôles urbains. En 1991, en Ile-de-France, les distances quotidiennes parcourues par les résidents des communes de forte densité humaine nette, plutôt localisées au centre des aires urbaines, sont 2,6 fois moins longues que celles effectuées par les habitants des communes de plus faible densité humaine nette, plutôt situées en périphérie (Foucher, 1999).

Tableau 4 1982-1994 – Evolution de la mobilité locale en semainePrincipaux indicateurs en fonction des zones de résidence
1982 1994 1982 1994
Population concernée Vitesse moyenne (en km/h) 18,9 25,3
(en millions) 48,5 (100,0%) 53,1 (100,0%) Centre 15,9 19,3
Centre 15,1 (31,1%) 15,2 (28,7%) Banlieue 17,3 22,1
Banlieue 15,3 (31,6%) 17,2 (32,4%) Périphérie 23,2 33,7
Périphérie 16,0 (33,0%) 18,8 (35,2%) Rural 26,6 38,7
Rural 2,1 (4,3%) 1,9 (3,7%) Distance totale
Nombre de déplacements (en millions de km par jour) 854 (100,0%) 1217 (100,0%)
(en millions) 164,6 167,7 Centre 234 (27,4%) 278 (22,9%)
Centre 54,5 52,2 Banlieue 271 (31,7%) 377 (30,9%)
Banlieue 52,0 55,5 Périphérie 304 (35,6%) 508 (41,8%)
Périphérie 52,1 55,3 Rural 45 (5,3%) 54 (4,4%)
Rural 6,0 4,7 Modes de déplacement (en %)
Nombre de déplacements Marche à pied 34,1 23,3
(par personne et par jour) 3,4 3,2 Deux-roues 8,7 4,2
Centre 3,6 3,4 Véhicules 4 roues 48,7 63,5
Banlieue 3,4 3,2 Transports en commun 8,5 9,0
Périphérie 3,3 3,0 Centre
Rural 2,9 2,4 Marche à pied 39,8 31,1
Proportion de déplacements Deux-roues 8,5 3,6
Multimodaux (en %) 1,7 2,0 Véhicules 4 roues 42,7 54,1
Centre 1,0 1,1 Transports en commun 9,0 11,2
Banlieue 3,1 3,7 Banlieue
Périphérie 1,1 1,3 Marche à pied 34,0 22,9
Rural 0,6 0,3 Deux-roues 7,0 4,6
Durée des déplacements Véhicules 4 roues 48,0 61,8
(en minutes) 16,4 17,2 Transports en commun 11,0 10,7
Centre 16,2 16,5 Périphérie
Banlieue 18,0 18,5 Marche à pied 29,8 17,2
Périphérie 15,0 16,4 Deux-roues 10,7 4,6
Rural 16,7 17,5 Véhicules 4 roues 53,4 72,6
Distance moyenne Transports en commun 6,1 5,6
Par déplacement (en km) 5,2 7,3 Rural
Centre 4,3 5,3 Marche à pied 20,5 11,9
Banlieue 5,2 6,8 Deux-roues 7,0 3,1
Périphérie 5,8 9,2 Véhicules 4 roues 69,0 80,0
Rural 7,5 11,5 Transports en commun 3,5 5,0
Source : Madre, J.-L., Maffre, J. 1995. « Toujours plus loin... mais en voiture », INSEE Première, 417, 4., d’après INSEE, Enquêtes transports 1982 et 1994.
Tableau 5 :. Part des différents moyens de locomotion selon les trajets (en %)1
Origine/Destination Deux-roues Voiture Transports en commun Ensemble
1982 1994 Ecart 1982 1994 Ecart 1982 1994 Ecart 1982 1994
Centre-Centre 15 6 -9 70 75 +5 15 19 +4 100 100
Centre-Banlieue 11 4 -7 60 74 +14 29 22 -7 100 100
Centre-Périphérie 4 2 -2 84 88 +4 12 10 -2 100 100
Banlieue-Banlieue 12 7 -5 77 83 +6 11 10 -1 100 100
Banlieue-Périphérie 11 2 -9 78 90 +12 11 8 -3 100 100
Périphérie-Périphérie 20 9 -11 72 87 +15 8 4 -4 100 100
Rural-Rural 12 8 -4 86 89 +3 2 3 +1 100 100
Sortant du bassin 2 1 -1 86 91 +5 12 8 -4 100 100
Ensemble 13 6 -7 74 82 +8 13 12 -1 100 100
1. Déplacements courants mécanisés en jour de semaine, à moins de 80 kilomètres du domicile à vol d’oiseau.
Source : Madre, J.-L., Maffre, J. 1995. « Toujours plus loin... mais en voiture », INSEE Première, 417, 1., d’après INSEE, Enquêtes transports 1982 et 1994.

La voiture particulière semble donc être le mode de transport idéal permettant d’assumer ce besoin de mobilité. Elle répond mieux aux penchants des résidents périurbains qui fuient le poids du foncier au centre mais qui désirent conserver les avantages de la concentration en termes d’emploi et d’accès aux services (Madre, Maffre, 1995). Les transports collectifs demeurent manifestement non compétitifs pour suivre cette évolution tant la faible densité des populations à desservir dans les espaces périurbains occasionne un coût d’exploitation exorbitant (Bonnafous, 1993). De plus, ils ne peuvent offrir le même service que celui qu’apporte l’automobile pour les habitants des espaces périurbains tant l’étendue spatiale de leurs activités quotidiennes borne leur sphère d’influence. Dans une étude sur l’agglomération lyonnaise (Andan, Faivre d’Arcier, 1992), il apparaît que seuls 22 % des actifs résidents des communes périurbaines ne sont pas captifs de la voiture particulière. En outre, en moyenne, un déplacement en transport collectif prend 1,5 fois plus de temps que le même déplacement effectué en voiture particulière (CGP, 1992). Dès lors, même s’ils se déplacent sur des distances plus longues, les habitants des communes de faible densité humaine nette situées en Ile-de-France ont des temps de transport en 1991 plus faibles que ceux des habitants des communes denses (voir Figure 3). Ce constat s’accompagne de fait d’un plus fort recours à la voiture particulière, voire d’une dépendance à la voiture, dans les communes de forte densité (Foucher, 1999).

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Figure 3 :. Distance et temps de déplacement par individu et par jour selon la densité humaine nette en 1990, en Île-de-France

L’évolution de la mobilité urbaine est donc largement marquée par l’usage de la voiture particulière. Pour Orfeuil (1994), la voiture particulière est, en définitive, plus qu’un simple mode de transport, c’est également un moyen de remodeler l’espace. Elle est en quelque sorte le vecteur le plus commode pour susciter le déplacement des lieux de résidence. En termes de mobilité quotidienne, elle permet ainsi d’opter plus volontiers pour une localisation dans des espaces éloignés des centres, c’est-à-dire des lieux d’emplois, tout en bénéficiant des avantages de la concentration. L’importance de l’usage de l’automobile dans les déplacements quotidiens procède donc de la dualité entre la localisation des emplois en milieu dense et celle de l’habitat en milieu diffus éloigné du centre. Ce mouvement génère un fort besoin de mobilité quotidienne que seule la voiture, rapide et flexible, permet de combler. Pour reprendre Bonnafous et Puel (1983), la mobilité, a fortiori les formes de la mobilité urbaine, est « une rançon de la croissance urbaine ». En facilitant l’éclatement des activités liées à la mobilité quotidienne sur le territoire urbain (Raux, 1993), l’automobile participe, en retour, du fait de ses caractéristiques propres, à la pérennisation de ce mouvement qui donne au contexte urbain sa forme dispersée (Kaufmann, 2000).

Cette mobilité quotidienne, largement dominée par l’usage de la voiture particulière, suscitée par l’évolution de la forme de l’urbanisation, a des conséquences notables sur l’environnement des citadins et sur la circulation des flux de transports en ville qu’il convient à présent d’exposer.

Notes
12.

Le cas de Paris et de la région parisienne est atypique. En raison de sa grande taille et d’une plus forte densité, les déplacements en transports collectifs résistent à la voiture particulière et représentent 30 % des déplacements.