1.2 : Un point de vue historique sur la politique des déplacements urbains : de la politique de l’offre à la politique de la régulation de la demande

D’un point de vue chronologique, les formes de la politique des déplacements urbains ont connu trois phases marquées (Giuliano, 1992 ; Bovy, Salomon, 1999).

Dans le contexte politique des années 60, propice à toute action permettant d’adapter la ville à la voiture, et encore relativement éloigné des préoccupations environnementales, la lutte contre la congestion routière urbaine s’exprime par l’accroissement de l’offre en infrastructures de sorte à faire face au trafic existant. L’idée d’alors est de suivre strictement les préceptes de la loi fondamentale de l’écoulement du trafic. Elle se conforme scrupuleusement aux enseignements de la relation débit-vitesse (voir Encadré 2). Lorsque le système se trouve au point où le nombre de véhicules est maximum par rapport aux capacités de l’infrastructure, c’est-à-dire au moment où le débit et la vitesse tendent à s’infléchir, glissant vers un état qui pourrait constituer une menace de sclérose du système d’écoulement des flux, les prescriptions sont d’augmenter les capacités de l’infrastructure. C’est la solution quasi « naturelle », d’après Goodwin (1989), qui consiste à construire de manière systématique des routes quand il y a trop de trafic.

Cependant, outre le fait que cette politique est véritablement coûteuse, la mécanique s’enraye du simple fait que le trafic préalablement rencontré sur l’infrastructure ne rend pas compte de la demande réelle de transport. S’ajoutant à une demande directement induite, la demande latente, jadis contrainte, profite de cette offre nouvelle pour s’exprimer. Le mécanisme conduit le système à retourner en un point critique de la courbe débit-vitesse qui, logiquement, réclame un nouvel investissement dans l’offre routière.

Ce type de politique des déplacements urbains s’inscrit dans une ère de grands investissements routiers pour désengorger les accès entre banlieues et centres-villes, rapidement congestionnés. Il accompagne de surcroît le soutien des politiques publiques à l’industrie automobile, l’émergence des lobbies automobiles (Dupuy, 1995) ou la croyance quasi aveugle dans les vertus du « cercle magique de l’asphalte »13 (Dupuy, 1978) ayant en grande partie permis de démocratiser la voiture particulière et de fait, ayant contribué à favoriser l’expansion de son usage.

Fort de ce constat patent d’échec de la politique d’accroissement de l’offre au regard de l’évolution de la mobilité urbaine, dans les années 70, la politique des transports urbains se focalise alors sur l’amélioration de la gestion des infrastructures existantes (Transportation System Management ou TSM) (USEPA, 1974 ; Rosenbloom, 1978 ; Gakenheimer, Meyer, 1979).

L’étau de la double crise des encombrements et des financements des transports publics ne se desserrant cependant pas du fait de la dynamique auto cumulative de la congestion, la politique des transports urbains s’oriente dans les années 80 vers une action directe sur le comportement des usagers, c’est-à-dire, vers une logique de gestion de la demande de déplacements (Transportation Demand Management ou TDM). L’objectif est alors de susciter une rupture de la dépendance des citadins à la voiture particulière en jouant sur les déterminants du choix modal (Domencich, McFadden, 1975 ; Ferguson, 1991 ; Horowitz, Sheth, 1978 ; Teal, 1987), sur la réorganisation des schémas d’activité des agents, notamment en adaptant les heures de travail (Wegmann, Stokey, 1983), sur les incitations au covoiturage pour les déplacements domicile-travail (Ferguson, 1990) ou sur la politique du stationnement (Higgins, 1985 ; Willson, Shoup, 1990). Traditionnellement, l’objectif principal de la TDM est de restreindre l’usage de la voiture au profit de celui d’autres modes de transport de sorte à restaurer l’efficacité du marché des transports urbains en contenant, d’une part, la congestion, d’autre part, les effets environnementaux (Bradshaw, Jones, 1998).

Une lecture chronologique de la politique des déplacements urbains dénote le glissement progressif de ses objectifs. Elle passe ainsi d’un effort de l’intervention centré sur l’offre, contribuant ainsi à prolonger les tendances à l’encombrement croissant, à une action sur la demande visant, en revanche, à imposer une contrainte à l’usager de sorte à le pousser à reconsidérer ses choix de transport (Bovy, Salomon, 1999). Cette dernière logique sous-tend la politique de régulation de la demande de déplacements urbains.

Notes
13.

Le « cercle magique de l’asphalte » décrit le raisonnement suivant. Les routes induisent des déplacements qui génèrent des rentrées fiscales, qui elles-mêmes permettent de construire de nouvelles routes, et ainsi de suite.