2.2 : Une typologie des outils de la régulation de la demande transport

En partant de la définition de l’analyse de la demande de déplacements, une typologie des outils de la régulation de la demande de transports urbains peut être présentée (Dupuy, 1999). La régulation de la demande de déplacements peut prendre trois formes : le laisser-faire, le volontarisme et l’économisme.

Le laisser-faire consiste à laisser seul le marché révéler les préférences des agents et les prix. Le marché régule alors de lui-même la demande, par la file d’attente. La thèse du laisser-faire, entrevue par Pigou (1920), soutient donc que lorsque la congestion atteint un seuil insoutenable pour les usagers, les automobilistes doivent en toute logique renoncer d’eux-mêmes à l’usage de leur voiture particulière (conjecture de Mogridge, 1990). Pour Dupuy, le laisser-faire ne semble cependant pas être une bonne solution. En effet, si elle devrait permettre, sur une longue période, une baisse des avantages de la voiture particulière jusqu’à une saturation de la motorisation, elle devrait en même temps conduire à une dégradation du service offert par les autres services de transport, ce qui revient à reparler des conséquences du mécanisme pervers de la congestion mis en exergue par Bonnafous (1996). De plus, cette saturation devant conduire à la réduction de la dépendance automobile ne pourrait se produire qu’à l’issue d’une croissance économique forte et longue (Madre, Pirotte, 1997), scénario qui semble peu probable à court terme. Enfin, d’un point de vue économique, si le marché concurrentiel permet la réalisation d’une allocation optimale des ressources, la présence d’effets externes, nombreux sur le marché des transports urbains – pollution atmosphérique, bruit, insécurité routière, congestion – remet en cause la possibilité d’atteindre cette allocation optimale. Le laisser-faire ne peut donc résolument pas permettre d’atteindre une efficacité du marché des transports urbains (voir Encadré 3).

Le volontarisme consiste à agir directement sur la dépendance à l’automobile. L’action publique a alors pour objectif de modifier en profondeur les choix des individus en jouant sur la relation entre la qualité de l’accessibilité et la demande de transport en voiture particulière. Zuckermann (1991) propose par exemple d’agir sur le stationnement en le taxant fortement de sorte à dissuader les usagers du choix modal pour la voiture particulière. Cependant, les analyses en termes d’accessibilité montrent que les résultats attendus d’une telle action dégraderaient fortement la position des automobilistes sans vraiment augmenter de façon notable celle des usagers des autres modes de transport. Ce résultat est contraire avec la recherche d’une allocation Pareto optimale des ressources.

Il est notable toutefois que l’exemple pris par Zuckermann, même s’il ne constitue qu’un exemple de l’intervention de type volontariste, porte sur le stationnement. Sans aller plus avant dans l’analyse, l’exemple suppose que le stationnement est un levier particulièrement sensible pour jouer sur le choix modal des usagers.

L’économisme consiste enfin à mettre en oeuvre un certain nombre de dispositions permettant de rendre plus coûteux, ou du moins à en faire percevoir le véritable coût à l’usager, l’usage de la voiture particulière, au moyen notamment de sa tarification. Certains travaux relativisent l’effet massif de l’augmentation du coût du transport sur la modification du partage modal. Schéou (1997) a par exemple mené des simulations qui montrent que sur l’agglomération lyonnaise, si le prix du carburant et celui des péages autoroutiers sont doublés, si le coût quotidien du stationnement est augmenté de 70 %, si la part de migrants alternants devant stationner en payant passe de 7,4 % à 50 %, et enfin, si est instauré un péage d’entrée dans l’agglomération de l’ordre de 10 francs, moins de 1 % des migrants alternants renoncerait à la voiture particulière entre 1990 et 2010. Si ce scénario semble produire des résultats extrêmes, Van Wee et Van den Brink (1999), se reposant sur les résultats d’une simulation aux Pays-Bas, montrent de même que si la congestion est tarifée uniquement aux heures de pointe et sur les régions les plus congestionnées, l’usage de la voiture particulière ne serait réduit que de 1 %. En revanche, cette étude montre que si des plages horaires plus vastes et une aire plus étendue sont tarifées, l’utilisation de l’automobile serait réduite de 13 %. Si rien ne permet de conclure que la réduction de 13 % est efficace en termes économiques et que celle de 1 % ne l’est pas, l’exemple montre simplement que l’augmentation du coût du transport demeure bien un moyen réel de réduction de l’usage de la voiture particulière.

En termes d’application donc, les issues de l’économisme sont grandement soumises à discussion. Néanmoins, si l’objectif est d’aller plus loin que l’unique réduction du trafic effectué en voiture particulière, mais est de répondre à la fois à la crise de l’encombrement et à la crise de financement de transports publics urbains, alors les résultats des modèles stratégiques de simulation du besoin de financement des transports publics, modèles Quin-Quin (QUalités INtroduites, QUantités INsolvables), présentées par Bonnafous (1985), Bouf et Gargaillo (1985), Bouf (1989) et Tabourin (1989) avancent des conclusions intéressantes. Ils montrent en effet que le desserrement de cette double crise ne peut venir que d’une politique qui à la fois soulage la circulation et apporte des recettes pour le financement du système de transports urbains. Le type d’outils de régulation permettant d’atteindre ce double objectif est bien la tarification ou la taxation de la mobilité, notamment, la forte tarification du stationnement, ou encore, le péage urbain (Bonnafous, 1996)14.

Ainsi, le point de vue économique de la régulation de la demande de transport paraît être l’outil le plus adapté eu égard à la situation du système des transports urbains menacé, d’un côté, par l’encombrement croissant, et de l’autre, par le déficit des transports publics.

Notes
14.

Les simulations du modèle évaluées sur la base de 1991 prévoyaient pour 2000 sur l’agglomération lyonnaise, dans un scénario au fil de l’eau, que la croissance économique entraînerait un accroissement de l’encombrement de la voirie et du besoin de financement, donc que la congestion contribuerait à dégrader le déficit de gestion des transports collectifs. Dans un scénario d’investissements relativement lourds en transports collectifs, la part de l’usage de la voiture particulière ne serait guère compromise alors que le besoin de financement serait fortement augmenté, accentuant du même coup la pression fiscale.