2 : Pourquoi une analyse de la fraude au stationnement

Selon Ross (1961), dans le cadre d’une analyse sociologique de la fraude dans les transports, la fraude pour non-paiement du stationnement peut être taxée de « folk crime ». Une photographie de l’état du stationnement urbain donne en effet une idée de l’importance de la fraude. Elle permet de conclure dans quelle mesure la fraude au stationnement, quelle que soit sa forme, est un acte de délinquance routière largement répandu. Une illustration sommaire sur Paris permet de s’en convaincre. Barbero (1988) estime ainsi à environ 100 000 le nombre de véhicules stationnant illégalement sur la voie publique en tout moment de la journée à Paris. Peu ou prou, un huitième des véhicules en stationnement à Paris sont en situation de fraude. D’après l’auteur, une voiture mal garée représente environ 30 % de trafic en moins. Plutôt que de trafic en moins, il est sans doute préférable de penser qu’il s’agit en fait d’un trafic gêné. Si la conclusion de l’auteur est peut-être mal formulée, il n’en demeure pas moins que cet argument met bien en relief l’intérêt de s’intéresser à la question de la fraude au stationnement ainsi qu’au lien entre la fraude au stationnement et l’état de la mobilité urbaine.

Ce dernier point de cette première partie du raisonnement a pour objectif de montrer en quoi l’existence et l’importance de la fraude au stationnement posent dans les faits des problèmes pour la politique de régulation de la demande de déplacements. La fraude au stationnement s’impose en effet aux moyens mis en oeuvre pour réguler le stationnement, que ce soit à la réglementation du stationnement ou que ce soit à la tarification. Elle nécessite d’être considérée sachant qu’elle peut interférer dans les résultats attendus de la mise en oeuvre de la politique de régulation de la demande de stationnement.

Formellement, il n’y a pas de raison de traiter la fraude à la tarification plutôt que la fraude à la réglementation. Néanmoins, ici, le choix est fait de s’arrêter sur la fraude au paiement du tarif de stationnement. La raison, en termes économiques, est qu’elle conduit particulièrement bien à mettre en relief l’existence du rapport entre le niveau de tarification nécessaire pour réguler efficacement la demande de stationnement, et le niveau de répression nécessaire pour juguler la fraude de sorte à ne pas entraver la politique de régulation de la demande de déplacements urbains. De plus, il semble plus pertinent de s’intéresser à la fraude au paiement du stationnement au regard des conclusions généralement avancées qui tendent à donner plus de crédit en termes d’efficacité à la tarification plutôt qu’à la réglementation (Buchanan, Tullock, 1975 ; Delache, Gastaldo, 1992).

L’enjeu se situe donc dans l’interdépendance entre le niveau de tarification, le niveau de fraude et le niveau de répression33. De fait, l’existence de cette interdépendance fait du niveau de répression un instrument à part entière de la politique de régulation de la demande de déplacements. Le couple constitué du niveau de tarification et du niveau de répression joue sur l’efficacité de la politique du stationnement, et au-delà, sur le degré de réussite de la politique de régulation de la demande de déplacements urbains.

D’une part, il semble donc pertinent de s’interroger tout d’abord sur le niveau réel de la fraude et sur son impact sur la politique des déplacements urbains. D’autre part, il s’agit de montrer en quoi la remise en cause des objectifs poursuivis par la politique de régulation de la demande de stationnement implique que soit conduite une analyse économique du comportement de fraude au stationnement.

Une fois l’importance de la fraude mise en évidence, l’enjeu du manque de connaissances concernant les déterminants du comportement de fraude va être maintenant souligné. Cette limite entraîne une réflexion sur la pertinence des actions publiques traditionnellement mises en oeuvre qui visent à réduire, voire à supprimer la fraude au paiement du stationnement urbain. Il est alors montré en quoi ce type d’intervention publique est inadapté lorsque la question de la fraude est envisagée dans une perspective plus globale de régulation de la demande de déplacements urbains. Partant, il est donc proposé d’apporter ici sur la question du traitement de la fraude au stationnement un regard différent. Fondé sur les principes de l’économie publique, il consiste à prendre appui sur une analyse du comportement individuel.

Notes
33.

Par niveau de répression, il faut entendre ici à la fois niveau du montant de l’amende et niveau du contrôle, c’est-à-dire, la fréquence de passage des agents chargés de la surveillance du stationnement et de la répression.