2.1 : Principe général et hypothèses

Pour poser simplement le problème, au moment de stationner, l’agent a un choix à effectuer parmi deux actions possibles, à savoir ‘’ne pas frauder, c’est-à-dire payer le tarif de stationnement’ et ’frauder, c’est-à-dire ne pas payer le tarif de stationnement’’. Dès lors, l’agent qui décide de frauder ou de ne pas frauder opère un choix en fonction de la probabilité d’être contrôlé et de devoir payer une amende s’il est détecté comme fraudeur, et son complémentaire, la probabilité de ne pas être contrôlé, c’est-à-dire de ne pas être contraint de payer une amende s’il n’a pas payé son stationnement. Cette hypothèse a déjà été posée dans le modèle d’Elliott et Wright (1982) dont l’objectif était d’évaluer la réaction des agents à une variation du niveau de répression. Du point de vue de l’agent, elle traduit le fait que le stationnement frauduleux est une opportunité de choix au même titre que le stationnement non frauduleux. Un classique calcul coûts-avantages entre le paiement du tarif de stationnement et la fraude au paiement du tarif de stationnement commande le choix de l’agent. L’agent choisit de manière rationnelle l’option qui lui procure le maximum de satisfaction, relativement à l’avantage de l’issue espérée que lui procure la fraude par rapport à l’avantage de l’issue certaine que lui procure le respect du tarif de stationnement. En outre, il choisit l’option qui lui permet de minimiser l’ensemble des coûts liés au stationnement et au déplacement. En ce sens, il évalue, dans chaque situation, le gain que lui procure sa décision en termes de temps de transport et de temps de marche à pied.

Par hypothèse, et par souci de simplification, la fraude ici ne considère que le non-paiement du tarif de stationnement. Les comportements délictueux du type stationnement interdit relevant plutôt d’un stationnement illégal, ils ne sont pas abordés. Ici, le stationnement est légal, mais la fraude de l’agent porte sur le paiement du stationnement. Le choix de ne s’intéresser qu’au non-paiement du tarif de stationnement vient de la conclusion tirée de l’analyse de la fraude portant sur le stationnement abordée dans le cadre du Chapitre 2. En effet, le non-paiement du stationnement remet directement en cause la capacité de la politique de régulation de la demande de stationnement par les prix d’atteindre ses objectifs de modération de la mobilité en voiture particulière. En outre, bien que le modèle de base d’Arnott et Rowse fasse l’hypothèse de non-congestion sur les déplacements, il montre que la tarification du stationnement, quand elle a pour objectif d’internaliser la congestion du stationnement, a un impact sur le partage modal d’une part, sur la mobilité d’autre part. Dès lors, il semble intéressant de voir dans quelle mesure la fraude portant précisément sur le non-paiement du tarif de stationnement perturbe également le partage modal et le niveau de mobilité. En ce sens donc, l’amende que doit acquitter le fraudeur s’il est détecté doit jouer le même rôle que le tarif de stationnement s’il ne fraude pas. Enfin, le modèle de base introduisant une tarification du stationnement comme moyen d’internaliser l’externalité de congestion du stationnement, il paraît judicieux de se focaliser sur un comportement de fraude compatible et cohérent avec le modèle de base. La fraude considérée dans le modèle est donc strictement relative au paiement du tarif de stationnement.

Les états de la nature portant sur le risque d’être contrôlé et d’être verbalisé, l’hypothèse retenue ici est que la détection en tant que fraudeur par les forces de contrôle implique automatiquement la verbalisation. Il pourrait être évidemment considéré le cas où l’agent peut être contrôlé, mais pas forcément automatiquement verbalisé. Il pourrait être simplement averti que son comportement a été constaté. Il pourrait être éventuellement verbalisé à l’issue d’un certain nombre de passages des forces de contrôle ayant constaté la fraude. Par souci de simplification donc, dans le modèle proposé, la détection implique automatiquement la sanction donc, la probabilité d’être contrôlé en tant que fraudeur et la probabilité d’être sanctionné et de devoir acquitter une amende se confondent.

En posant l’hypothèse que le temps de stationnement frauduleux est précisément identique au temps de stationnement nécessaire pour réaliser l’activité à destination, les situations pour lesquelles la fraude porte sur un temps de stationnement qui diffère du temps de stationnement nécessaire pour réaliser l’activité à destination sont exclues. Elle s’avère faire l’objet d’une deuxième séquence de décision. Le dépassement du temps de stationnement effectivement payé n’est donc pas considéré. Cette hypothèse rend compte de la conclusion déjà mise en évidence que la fraude au stationnement est en majeure partie la fraude au non-paiement du tarif de stationnement. Le dépassement du temps de stationnement reste un type de fraude relativement marginal ce qui permet de l’exclure de l’analyse.

Partant, lorsque l’agent se propose de stationner, il n’envisage qu’un temps de stationnement fini et limité au temps nécessaire pour réaliser son activité à destination. A priori donc, du point de vue de l’agent, le choix entre la fraude et le paiement du stationnement s’effectue au regard d’une probabilité d’être contrôlé et sanctionné uniquement relative au temps de stationnement requis pour effectuer son activité. Si, effectivement, l’agent peut être amené à dépasser ce temps, la probabilité d’être contrôlé et sanctionné, sur l’intervalle de temps allant du terme de la durée de stationnement pour laquelle l’agent stationne jusqu’au moment réel où l’agent quitte son emplacement de stationnement, n’est pas considérée dans le modèle. Cette hypothèse permet de simplifier l’analyse d’une part, et de conserver un certain réalisme quant au processus de décision de l’agent. Pourtant, en termes théoriques, pour rester cohérent avec les principes de l’analyse économique de la décision dans l’incertain, le raisonnement à rebours devrait conduire à considérer une densité de probabilité portant sur le temps espéré de stationnement dépassant la durée de stationnement nécessaire pour réaliser l’activité. L’agent serait alors capable d’évaluer le temps espéré réel de stationnement en fonction du niveau de congestion espéré. Néanmoins, pour être conforme avec l’analyse du comportement de stationnement menée dans le modèle de base, par hypothèse, le temps de stationnement considéré par l’agent au moment de faire son choix est fixé à hauteur du temps nécessaire pour réaliser l’activité à destination. La probabilité de détection ne porte donc que sur cet intervalle de temps. De plus, il est convenable d’envisager que le dépassement du temps nécessaire pour réaliser l’activité peut être considéré comme une deuxième phase de décision individuelle venant à la suite d’une première phase décisionnelle concernant le paiement du tarif ou la fraude sur l’intervalle de temps nécessaire pour réaliser l’activité. En effet, dans ce cas de figure, l’agent a le choix de revenir à son véhicule au bout du temps nécessaire pour réaliser son activité et, en cas de dépassement, effectuer un nouveau calcul coûts-avantages lui permettant de choisir entre le paiement du tarif de stationnement ou la fraude pour le temps de dépassement espéré. Donc, dans le modèle proposé, la décision porte uniquement sur l’intervalle de temps nécessaire pour réaliser l’activité qui est certain. Le dépassement fait l’objet d’une deuxième décision qui n’est pas analysée ici. L’intégration de cette question du dépassement pourrait en revanche faire l’objet d’une analyse de la décision en termes séquentiels ce qui permettrait par ailleurs d’intégrer le rôle d’une information entre les deux séquences de décision. Cette éventualité d’analyser la question de la décision individuelle de fraude en termes séquentiels n’est pas envisagée dans le modèle.

Sur l’intervalle de temps nécessaire pour réaliser l’activité à destination, la probabilité d’être détecté et sanctionné est fixe. Elle ne varie pas en fonction du temps de stationnement dans la mesure où l’agent stationne sur l’intégralité de cet intervalle et uniquement sur cet intervalle. Lorsqu’il stationne et effectue son choix entre frauder et payer le tarif de stationnement, l’agent effectue donc son calcul en fonction du temps de stationnement nécessaire pour réaliser son activité. La probabilité de détection est donc traitée de manière discrète sur ce temps. Elle est supposée parfaitement connue par l’agent au moment d’effectuer son choix.

Par souci évident de réalisme, l’amende que l’agent doit acquitter s’il est détecté est de type forfaitaire. Le cas d’une amende fonction du temps de stationnement frauduleux est exclu. Il aurait pourtant l’avantage d’être cohérent avec le modèle de base qui considère un paiement du stationnement fonction du temps de stationnement. Néanmoins, cette hypothèse qui pose une amende forfaitaire permet de simplifier grandement les calculs. Elle retrace de plus la réalité puisque de manière générale, le montant de l’amende est défini de manière forfaitaire. Pourtant, il a été supposé plus haut que l’amende joue dans l’analyse le même rôle que celui joué par le tarif de stationnement, à savoir, réguler la demande de stationnement. Il paraît alors évident en première approche que l’amende forfaitaire, qui n’est pas fonction du temps de stationnement, c’est-à-dire, qui ne tient pas compte des externalités de congestion du stationnement liées au temps de marche à pied pour effectuer la liaison entre la destination finale et le lieu de stationnement, ne peut correspondre avec l’optimum. Partant de cette intuition, l’analyse a alors pour objectif de montrer en quoi l’amende forfaitaire n’est pas un outil efficace de régulation de la demande en cas de présence de comportement frauduleux. L’issue probable de l’analyse sera de recommander un niveau d’amende variable en fonction du niveau de fraude, c’est-à-dire en fonction des effets sur la congestion que génère chaque minute de stationnement frauduleux.

Le coût du contrôle n’est pas considéré dans le modèle. Il est bien évident qu’une analyse exhaustive portant sur la question de la fraude au stationnement devrait en toute logique appréhender le coût du contrôle nécessaire pour détecter la fraude. Cette analyse serait en outre cohérente avec l’analyse économique du crime telle qu’elle est formalisée dans le modèle de Becker (1968). Elle permettrait dès lors de calculer un niveau socialement optimal de répression. Néanmoins, l’objet du modèle n’est pas de mener une telle analyse sur la question de la fraude bien que des développements futurs dans ce sens seront nécessaires. Il s’agit ici plus modestement de se contraindre uniquement à comprendre le comportement du fraudeur. L’intérêt d’aborder cette manière quelque peu restreinte de considérer la question de la fraude au stationnement se justifie cependant dans la mesure où la littérature n’a pas encore proposé d’analyse sur la question. Donc, s’il est naturel de penser que le comportement individuel de fraude au stationnement est fonction du niveau de répression, lui-même relatif au coût de contrôle, en restreignant l’analyse au comportement de l’agent qui stationne, il n’est abordé ici qu’un pan de l’analyse. Ainsi, dans le modèle, l’agent effectue son calcul entre frauder et payer le tarif de stationnement sans que soit considéré un quelconque coût de contrôle. En dépit de cette hypothèse, il peut être néanmoins noté que la question de l’introduction du coût du contrôle réclame nécessairement d’analyser la question de la fraude au stationnement du point de vue des interactions stratégiques. Le raisonnement suivi ne s’intéresse cependant qu’au comportement de l’agent face à un contrôle donné, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire sans envisager de réactions de la part de l’agent chargé d’élaborer le niveau de contrôle relativement au comportement du fraudeur. Ce choix peut se justifier en considérant que l’agent qui stationne, au moment de prendre sa décision de frauder ou de payer, considère la verbalisation comme un état de la nature et non comme le résultat d’un comportement stratégique de l’agent qui contrôle. Du reste, cette hypothèse tient aisément lorsque l’analyse est conduite en termes statiques ce qui est conforme au modèle de base d’Arnott et Rowse. En revanche, si le modèle considère la question de la fraude en termes dynamiques, considérant plusieurs périodes de stationnement, donc plusieurs phases de choix entre frauder ou payer le tarif de stationnement, une analyse en termes d’interactions stratégiques deviendrait pertinente.

Ainsi, en faisant l’hypothèse que le coût du contrôle est nul, l’objectif de l’analyse est de comprendre le comportement économique de l’individu qui le conduit à frauder ou à respecter le paiement du tarif de stationnement. En termes de choix collectif, l’issue de cette analyse est d’évaluer le niveau d’équilibre de répression du point de vue de l’agent qui stationne.

Dans l’analyse, la question de la redistribution du revenu de l’amende n’est pas considérée. Par hypothèse, le montant de l’amende est neutre du point de vue de la redistribution du produit de la répression aux agents. L’impact d’une éventuelle redistribution du produit de la politique du stationnement aurait pour conséquence de modifier le système de prix d’équilibre ce qui impliquerait d’analyser la question du choix de fraude en termes dynamiques. L’analyse proposée n’étant centrée que sur la question du processus de décision de l’agent, il est supposé ici que le produit de l’amende n’est pas redistribué aux agents.

Avant de passer à la phase de formalisation, il doit être noté que traditionnellement, la question du choix individuel en transport mobilise la théorie des modèles de choix discrets. Il importe ici de bien distinguer cette dernière approche de la logique présidant à la démarche modélisatrice qui suit.

Le principe qui sous-tend les modèles de choix discrets (McFadden, 1974b) est d’admettre que les consommateurs sont influencés par différents facteurs au moment de leur choix (Thisse, 1991). L’importance relative de ces facteurs peut varier. Ainsi, un choix peut être rationnel au moment où il est effectué mais peut ne pas être reproductible lors de situations de choix similaires en raison des fluctuations qui affectent l’individu dans son processus d’évaluation. Pour l’observateur cependant, le choix ne semble plus rationnel. La raison essentielle est que l’observateur est incapable de faire l’inventaire complet des facteurs de choix et d’en évaluer l’importance relative. L’observateur peut quand même décrire le comportement de l’agent de manière probabiliste. L’individu se comporte alors comme s’il effectuait ses choix selon une loterie. Un terme aléatoire résume alors les variations de choix intra et interindividuelles (de Palma, Thisse, 1989).

En réalité, il convient bien de noter que le problème analysé n’est pas abordé par un modèle de choix discrets. Ces derniers concernent en effet la dimension probabiliste portant sur le choix de telle ou telle variable. En ce sens, la question qui serait posée, si elle était appliquée à la question de la fraude au stationnement, serait de savoir quelle est la probabilité que l’agent fraude ou celle que l’agent ne fraude pas. L’analyse proposée est fondamentalement différente. Elle est de savoir dans quelle mesure l’agent fraude avec certitude ou ne fraude pas avec certitude, toutes choses égales par ailleurs. Il n’est pas question d’ajouter une dimension traitant de l’incertitude sur une partie de la fonction d’utilité. Seule l’issue du choix est aléatoire. La fonction d’utilité est déterministe et l’agent est capable par hypothèse de classer les options de manière cohérente et non ambiguë (respect de l’axiomatique VNM).

En résumé, la logique empruntée pour aborder le problème de la fraude dans l’analyse qui suit s’écarte de la démarche traditionnellement mobilisée en économie des transports qui use des modèles de choix discrets de sorte à déterminer de manière économétrique une demande agrégée. L’analyse de la fraude proposée ici suppose que l’agent opère son choix de manière déterministe, toutes choses égales par ailleurs. En décrivant ainsi le processus de choix, un certain nombre d’hypothèses ont été posées qui permettent à présent d’aborder une formalisation du problème.