Chapitre 4 : Des simulations théoriques du modèle de comportement de fraude au stationnement à la question de sa validation

« ...l’économie est une science de l’action et, qu’en tant que telle, la contribution de la théorie économique à l’économie devrait être mesurée par les contributions que la théorie économique apporte à la compréhension et à la conduite d’une politique économique. »
(H.R. Varian, « A quoi sert la théorie économique ? »)

Muni des outils théoriques issus de l’analyse économique du crime fondée sur la théorie de la décision en environnement risqué, le chapitre précédent s’est clos sur une formalisation du comportement de fraude au stationnement urbain sur voirie. Sur la base d’un modèle de comportement de stationnement, la représentation proposée envisage la possibilité pour un agent de ne pas s’acquitter du paiement du tarif de stationnement. Dans le modèle de base, le tarif de stationnement internalise l’externalité de congestion du stationnement. Pour être cohérent, le tarif de stationnement est fonction de l’externalité de congestion, il varie donc en fonction du temps de stationnement. Il permet de décentraliser l’optimum social sur le marché du stationnement.

Par souci de réalisme, la représentation de la fraude considère en revanche une amende forfaitaire. Le principal résultat théorique est que le niveau d’équilibre de répression n’est pas socialement optimal du point de vue du critère du décideur public qui est de minimiser le temps moyen des déplacements. Ce résultat est logique puisqu’en fraudant, l’agent refuse de payer le stationnement, c’est-à-dire d’assumer le coût social issu de son stationnement. En payant l’amende forfaitaire d’équilibre s’il est détecté comme fraudeur, il n’assume qu’une partie du coût social. L’amende ne prend pas en compte le niveau d’externalité issu du temps de stationnement. Il convient alors de chercher un niveau de répression qui permette de réaliser un optimum de second rang sur le marché du stationnement.

De sorte à envisager des développements théoriques sur la représentation proposée, la pertinence du modèle doit être tout d’abord validée. En outre, une application des prescriptions théoriques du modèle n’aura de sens que si le modèle franchit l’épreuve de la confrontation aux faits. La question reste donc globalement de savoir dans quelle mesure le modèle théorique de comportement de fraude au stationnement urbain sur voirie, tout d’abord, rend compte d’une certaine réalité, ensuite, peut être validé empiriquement de sorte que le développement de raffinements théoriques de la représentation théorique s’avère opportun.

Dans un premier temps, le modèle est simulé sur la base, tout d’abord, de paramètres relatant un environnement urbain caractéristique des villes nord-américaines. L’idée est simplement de reprendre les simulations réalisées par Arnott et Rowse et, dans ce cadre, de proposer quelques résultats théoriques de l’introduction de la fraude. Ensuite, le modèle est simulé sur la base de paramètres rendant compte du contexte de la mobilité urbaine en France. L’objectif de cette deuxième série de simulations est d’apporter une réponse à la recommandations traditionnelle qui envisage l’augmentation du niveau de l’amende comme l’unique outil de dissuasion de la fraude compatible avec les objectifs de la politique de régulation de la demande de déplacements urbains. Plusieurs scénarios sont ainsi testés. De l’ensemble de ces simulations, plusieurs conclusions peuvent être tirées. Tout d’abord, lorsque le niveau de congestion du stationnement est très faible, le tarif optimal décentralise l’optimum social sur le marché du stationnement. L’amende d’équilibre n’est pas socialement optimale, mais, elle est suffisamment forte pour que l’agent soit dissuadé de frauder. Donc, en situation de très faible congestion, le niveau de répression, aussi faible et inefficace soit-il, contribue à réaliser un optimum social du point de vue des agents qui stationnent. En revanche, dans une situation de congestion très forte sur le marché du stationnement, le tarif optimal ne décentralise l’optimum social que dans certaines configurations du déplacement, en fonction de la durée d’activité à destination. De fait, le niveau d’équilibre de l’amende forfaitaire n’est pas optimal mais contribue, en dissuadant de frauder, à permettre à l’intervention publique de réaliser un état efficace du marché du stationnement. Dans le cas où il ne décentralise pas l’optimum, il convient de chercher un niveau de tarif du stationnement et un niveau de l’amende qui réalisent un optimum de second rang. La difficulté pour le décideur public vient du fait que l’augmentation du tarif de stationnement, d’une part, du niveau de la répression, d’autre part, favorisent, pour un agent neutre au risque, le partage modal au profit de la voiture particulière et renforcent la congestion. Quant à la répression précisément, les simulations montrent que l’augmentation de l’amende dans une situation de très forte congestion renforce l’attrait pour la voiture particulière de telle sorte que l’agent neutre au risque éprouve un avantage croissant pour la fraude. D’où la nécessité de bien choisir la contrainte de détermination de l’optimum de second rang.

Au global, les simulations menées sur un paramétrage rendant compte d’un contexte français montrent que la politique répressive du stationnement doit tout d’abord être différenciée en fonction de la demande de stationnement. Ensuite, elle doit s’adapter au niveau de congestion sur le marché du stationnement. Enfin, elle réclame une analyse rigoureuse du comportement de fraude au stationnement.

Dans un deuxième temps, sur la base des limites et perspectives du modèle, un certain nombre de développements théoriques est proposé. Les hypothèses qui fondent la représentation du comportement de fraude au stationnement sont en effet trop restrictives pour que les résultats théoriques puissent être considérés comme des éléments suffisamment solides, susceptibles d’être fournis directement au décideur public. Il devient alors nécessaire d’examiner les limites du modèle et de discuter de raffinements possibles.

En substance, le modèle ne considérant, à la fois, qu’un seul type de comportement face au risque et qu’un seul critère de décision dans un environnement risqué, conformément aux raffinements que propose la théorie de la décision, les développements avancés ici considèrent l’hétérogénéité du comportement des agents face au risque et envisagent d’appréhender des critères de choix alternatifs. En effet, il serait maladroit de laisser l’analyse du comportement de fraude au stationnement exclusivement fondée sur le comportement représentant la neutralité au risque. Il est bien évident que, pour tenir compte de la diversité des comportements dans un environnement risqué, il convient d’aborder, d’une part, la représentation du comportement d’aversion pour le risque et la représentation du comportement de préférence pour le risque, d’autre part, le degré d’aversion au risque relatif au niveau de richesse de l’agent. De même, le doute reposant sur la capacité réelle du critère de l’espérance d’utilité à représenter fidèlement le critère de choix des agents économiques dans l’incertain, des critères alternatifs sont proposés.

En outre, le modèle ne s’intéressant qu’au comportement de fraude, il est proposé d’étendre l’analyse à la question du coût de la répression ressenti par l’agent chargé du contrôle du stationnement. L’analyse économique du crime traditionnelle ne s’arrête en effet pas à la représentation de la décision de commettre un fait délictueux. Elle propose d’évaluer un niveau de contrôle optimal, relatif au coût de contrôle et de répression, et justifie, d’un point de vue économique, l’existence d’un volume d’actes criminels optimal. Des pistes de réflexion en la matière sont abordées qui vont jusqu’à proposer une analyse de la question de la fraude au stationnement, non plus comme un unique comportement individuel, mais comme le résultat de comportements stratégiques.

Par ailleurs, le modèle proposé étant statique, l’examen des développements théoriques projette d’aborder une analyse dynamique de la question du comportement de fraude. Au global, toujours dans le souci de produire un modèle de comportement de fraude au stationnement qui soit riche d’enseignements pour la politique des déplacements urbains, les hypothèses sont discutées afin de proposer une intégration de la question de la fraude au stationnement dans l’analyse plus globale de la congestion routière urbaine.

Les développements théoriques n’ont cependant de sens que dans la mesure où le modèle est statistiquement validé dans sa confrontation aux données. Or, les perspectives de validation du modèle montrent que les méthodes traditionnelles ne sont pas toujours satisfaisantes eu égard à la spécificité de la question de la fraude. Pour cette raison, la convocation d’une méthode originale en économie des transports, qui consiste à produire des données par le biais d’expérimentation en laboratoire, est proposée.