3 : Conclusion de la section

Un premier usage du modèle de comportement de fraude au stationnement sur la base de la formalisation d’Arnott et Rowse (1999) consiste à produire des résultats théoriques afin de fournir des pistes de réflexion sur les orientations normatives que suscite le modèle. Les simulations sont menées en deux temps. Tout d’abord, elles suivent les simulations présentées par Arnott et Rowse dont le paramétrage relate un contexte de mobilité urbaine propre aux espaces urbains nord-américains. L’idée est simplement de donner une certaine cohérence au modèle de fraude lorsqu’il est confronté aux résultats du modèle de base. Ensuite, les simulations retracent un contexte français de mobilité urbaine dont l’enjeu est de voir dans quelle mesure le modèle peut donner des résultats pertinents quant à la politique répressive du stationnement en France, d’une part, quant aux propositions traditionnellement présentées dans la littérature, d’autre part.

Sur la base des enseignements de l’analyse de la demande de stationnement, pour les simulations sur le contexte urbain français, deux types de scénarios sont proposés. D’un côté, un stationnement de courte ou moyenne durée concernant des déplacements pour achats-visites ou les déplacements professionnels, de l’autre un stationnement de longue durée pour un déplacement domicile-travail. Le stationnement résidentiel n’est pas abordé tant il relève d’une politique de stationnement particulière.

Les simulations théoriques laissent envisager des conclusions normatives pour la prise en compte de la fraude dans la politique du stationnement, sous l’hypothèse que les agents sont neutres au risque.

Tout d’abord, la première série de simulations montre que l’introduction de la fraude s’insère relativement bien dans les résultats des simulations du modèle de base. Elles indiquent, de la même manière que l’indiquent les simulations portant sur la tarification du stationnement, que le rôle de l’amende dans le partage modal est différent selon le niveau de congestion. Globalement, l’amende forfaitaire n’est jamais efficace, mais dans le cas d’une congestion très faible ou d’une congestion très forte, elle est suffisante pour dissuader la fraude. La recherche d’un niveau d’amende de second rang amène à se poser la question de l’augmentation du niveau de l’amende. Dans ce cas, les simulations exhibent que, si dans le cas d’une très faible congestion, l’agent n’a jamais intérêt à frauder et l’accroissement de l’amende dégrade l’avantage pour la voiture particulière, dans le cas d’une très forte congestion, le résultat est très différent. En effet, l’augmentation de l’amende contribue à libérer de l’espace de stationnement de telle sorte qu’elle renforce l’attrait pour l’usage de la voiture particulière. L’effet est d’autant plus fort qu’à partir d’un certain seuil, il devient avantageux pour l’agent de frauder. Ce résultat apparemment paradoxal s’explique par l’effet de substitution entre l’amende et le temps de déplacement, qui, pour un agent neutre au risque, joue largement en faveur du temps de déplacement en cas de très forte congestion du stationnement. La conclusion fondamentale est qu’en fonction du niveau de congestion du stationnement, la manipulation du niveau de répression doit s’effectuer avec toutes les précautions nécessaires sur l’impact qu’elle peut avoir sur le partage modal, donc sur la congestion, et par contrecoup, sur le niveau de fraude.

La deuxième série de simulations permet d’avancer les conclusions suivantes. Tout d’abord, les cas d’espèce envisagés décrivent tous un état de très forte congestion sur le marché du stationnement. Le niveau de tarif optimal décentralise l’optimum, alors que l’amende forfaitaire est inefficace. Elle est cependant efficace quant à la dissuasion de frauder, donc, indirectement, elle contribue à réaliser l’optimum social. Néanmoins, la recherche d’un optimum second pose de lourds problèmes. En effet, si l’objectif du décideur public est de minimiser le temps total de déplacement moyen, il doit alors augmenter le niveau de l’amende. Une partie des déplacements est supprimée, ce qui renforce en fait l’intérêt pour la voiture particulière et, in fine, contribue à renforcer la congestion. De plus, l’avantage pour la voiture particulière devient tel que l’augmentation du niveau de l’amende conduit à inciter à la fraude. Si l’objectif est de détériorer l’avantage de l’usage de la voiture particulière, alors l’amende doit être augmentée au-delà du niveau d’équilibre, ou baissée. Toutes choses égales par ailleurs, cette conclusion plaide une nouvelle fois en faveur d’une manipulation rigoureuse du niveau de répression sur la base de la compréhension du comportement individuel de la fraude et de son impact sur le partage modal. Elle récuse définitivement la proposition traditionnelle d’augmenter l’amende pour dissuader la fraude puisque son impact sur le choix de fraude et le choix modal n’est pas systématiquement identifié.

Ensuite, l’amende forfaitaire peut sembler à première vue inadaptée au problème de la fraude. Elle ne permet pas, en effet, de réaliser un optimum dans la mesure où elle ne considère pas l’intégralité de l’externalité de congestion. Mais, dans un état de très forte congestion, son inefficacité peut présenter l’avantage d’être moins avantageuse pour l’agent, en termes de gains en satisfaction issus de la réduction de la congestion qu’elle occasionne, qu’une amende fonction du temps de stationnement. En effet, l’augmentation de l’amende rendant l’usage de la voiture particulière progressivement plus avantageux, à tarif optimal fixé, l’amende forfaitaire sera logiquement plus faible qu’une amende relative au temps de stationnement. Donc, en cas de très forte congestion, l’augmentation de l’amende forfaitaire est relativement moins avantageuse pour l’agent que l’amende relative au temps de stationnement, donc éventuellement plus avantageuse collectivement dans le cadre d’une politique de modération de l’usage de la voiture particulière. Ce point milite, d’une part, pour l’introduction des effets externes liés au stationnement autres que la seule externalité de congestion, d’autre part, pour une révision de la fonction objectif du planificateur prise dans le cadre du modèle. En outre, les simulations montrent que l’amende forfaitaire d’équilibre, même si elle est inefficace socialement, permet de réaliser l’optimum social du fait qu’elle est suffisamment dissuasive de la fraude. L’agent éprouve donc un avantage plus grand à payer le tarif de stationnement qui est efficace.

Enfin, les simulations soulignent la richesse de la définition conceptuelle du stationnement comme élément du déplacement. Elles indiquent que la politique du stationnement doit s’inspirer des différents comportements de la demande de stationnement. Dès lors, le niveau de l’amende doit être variable selon le type de demande considéré. Ainsi, de même que la politique tarifaire du stationnement doit être différenciée en fonction des motifs de stationnement, la politique répressive du stationnement doit également être différenciée en fonction du type de demande de stationnement.

Au final, les simulations apportent des pistes de réflexions sur la politique répressive du stationnement payant urbain. Si toutes les précautions d’usage doivent accompagner ces réflexions, notamment eu égard aux hypothèses du modèle et aux paramétrages des simulations théoriques, l’exercice permet de mettre en évidence le soin particulier qu’il est nécessaire d’apporter à la prise en compte des comportements individuels de fraude dans le cadre d’une politique du stationnement. Cette rigueur du raisonnement est d’autant plus fondamentale que la politique du stationnement, et donc le traitement de la question de la fraude, participent de la politique de régulation de la demande de déplacements urbains.

Au regard des limites du modèle imposées par les hypothèses nécessaires à cette première approche formalisée sur la question, quelques perspectives de développements doivent être à présent proposées. Dans un but de réfutation du modèle, des pistes de confrontation aux données sont par ailleurs déclinées.