1.4 : L’introduction du modèle de comportement de fraude dans un modèle de congestion

Dans le modèle énoncé, un certain nombre d’hypothèses sur le contexte de mobilité urbaine limite le degré de réalisme de la formalisation proposée. Si les résultats théoriques du modèle montrent déjà que la question du comportement de fraude a un impact sur la demande de déplacements, en modifiant ces hypothèses, il devient évident que l’analyse du comportement de fraude au stationnement doit être intégrée dans un modèle plus global de congestion des déplacements urbains. Cela paraît d’autant plus important que le but ultime de l’intervention est de participer à l’objectif de modération de l’usage de la voiture en ville. Les hypothèses sont rappelées et discutées succinctement.

Premièrement, il n’existe que deux modes alternatifs pour réaliser le déplacement. Or, les résultats des simulations montrent que lorsque la congestion sur le stationnement dissuade le recours à la voiture particulière, les agents se reportent sur la marche à pied pour des distances de déplacements qui peuvent devenir, le cas échéant, conséquentes. Dès lors, il paraît pertinent ici d’introduire les transports en commun comme troisième mode alternatif. Il possède ses caractéristiques propres de vitesse et de capacité en offre de transport. Tout d’abord, l’introduction d’une offre de transport en commun donne plus de crédit au modèle quant à ses résultats concernant l’impact de la congestion du stationnement sur le partage modal et sur le niveau de mobilité. A priori, toutes choses égales par ailleurs, une offre de transport public, dans une situation d’hypercongestion du marché du stationnement, devrait conduire au même constat qui consiste à conclure que l’augmentation du coût du stationnement, soit par le tarif de stationnement, soit par le niveau de répression, favorise l’usage de la voiture particulière et contribue à rendre la fraude plus intéressante pour l’agent que le paiement du tarif de stationnement. Il convient bien entendu de vérifier ce type de conclusions en introduisant dans le modèle un mode de transport collectif. En outre, considérer les transports publics dans le modèle permet d’évaluer l’impact de la régulation de la demande de stationnement sur le partage modal, donc sur l’objectif de desserrer le système des transports urbains de la contrainte de l’encombrement croissant et de la contrainte de financement. Notamment si la redistribution du revenu de la tarification et de la répression est, par exemple, affectée à l’augmentation, en quantité ou en qualité, de l’offre de transports publics.

Secondement, dans le modèle, l’opportunité de déplacement proposée à l’agent suppose la réalisation d’une seule activité. Il n’est pas tenu compte de la possibilité d’une chaîne de déplacements qui, nécessairement, pèse sur le choix modal, donc sur le choix de stationnement. Un certain nombre de travaux montrent que la prise en compte du schéma d’activités quotidien (Lenntorp, 1978, Raux, 1990) de l’agent influe fortement sur le choix modal. De fait, il convient alors, si l’hypothèse d’une activité unique par déplacement est levée, d’analyser la question de la fraude au stationnement et de son influence sur le choix modal en fonction des contraintes pesant sur la réalisation du schéma d’activité. Il s’agit alors d’aborder le comportement de fraude au stationnement en fonction de chacun des motifs de stationnement dictés par le schéma d’activité, et en fonction du résultat sur le niveau de richesse de l’agent issue du stationnement ayant permis de réaliser l’activité précédant l’activité à l’origine du stationnement étudié.

Troisièmement, le modèle de base fait l’hypothèse qu’il n’existe pas d’interactions entre agents sur les déplacements. Autrement dit, il ne peut y avoir de congestion sur les déplacements. Dans la mesure où l’enjeu de l’analyse est de mesurer l’impact du comportement de fraude, qui est fonction du temps de déplacement, sur le niveau de congestion du stationnement, donc sur le partage modal et le niveau de mobilité, il paraît nécessaire d’introduire dans le modèle une interaction entre agents dans leur déplacement. En effet, la congestion sur le stationnement participe à la congestion des déplacements, ce qui modifie le temps de déplacement, donc, joue sur la décision de frauder ou de ne pas frauder. La décision de frauder ou de ne pas frauder joue sur le temps de stationnement, donc sur la congestion du stationnement, ce qui allonge le temps de recherche d’une place, donc accroît la congestion sur les déplacements. Nécessairement, il convient d’introduire une congestion possible sur les déplacements qui modifie le contexte de choix de fraude, lui-même modifiant le niveau de congestion sur les déplacements. Ainsi, en introduisant la congestion sur les déplacements, la portée du modèle de comportement de fraude au stationnement s’élargit à une problématique plus globale de régulation de la demande de déplacements par les prix, et notamment, dans le rôle de la complémentarité de la tarification du stationnement et de la répression de la fraude dans une perspective de tarification des déplacements, c’est-à-dire dans une réflexion sur la mise en place d’un péage urbain (il s’agit d’introduire les arguments pour la détermination complémentaire de la tarification des déplacement et de la tarification du stationnement avancés par Calthrop, Proost, van Dender, 2000).

Dès lors, quatrièmement, si la possibilité de considérer un niveau de congestion sur les déplacements est offerte, alors la question du comportement de fraude au stationnement interroge l’hypothèse de proposer dans le modèle deux itinéraires différents offrant les mêmes qualités d’offre de transport. Dans le modèle, l’agent choisit l’itinéraire le plus court en distance entre son lieu d’origine et son lieu de destination. Quel que soit le sens emprunté par agent sur la circonférence du cercle représentant l’offre de transport, la vitesse de transport est identique. En introduisant une différence de vitesse de déplacement entre l’un et l’autre des itinéraires, le modèle propose de lier la question du comportement de fraude au stationnement avec un classique choix d’itinéraire.

Enfin, cinquièmement, il a largement été montré à l’occasion des simulations théoriques qu’il existe un conflit réel entre la fonction objectif qui est donnée au décideur public dans le modèle et l’objectif de réduction de la mobilité en voiture particulière tel que semble le réclamer l’étude de la mobilité urbaine et le poids des conséquences de l’usage de la voiture particulière tant d’un point de vue environnemental que d’un point de la circulation des flux de transport en ville. Dans le modèle, la fonction objectif du décideur public est logique puisqu’elle est l’émanation des comportements individuels dont l’objectif est de minimiser le temps total de déplacement moyen. Cependant, l’analyse ainsi réduite néglige l’impact de la congestion du stationnement sur le niveau des conséquences environnementales. Dès lors, tout en ayant bien conscience que la tarification du stationnement ne peut prétendre internaliser les effets externes provoqués par la congestion des déplacements, il semble néanmoins possible de définir une fonction objectif du décideur public dont l’objectif n’est plus de satisfaire les seuls usagers du stationnement mais l’ensemble des agents dont la fonction d’utilité ou la fonction de profit est modifiée par l’existence de la congestion sur le stationnement. Dès lors, si la somme de leur préférences montre que le décideur public doit avant tout viser la modération de l’usage de la voiture particulière, la fonction objectif du décideur public chargé de la régulation de la demande de stationnement n’a plus comme objectif de minimiser le temps de déplacement, mais peut être de maximiser ce temps de déplacement, de sorte à réduire l’avantage pour la voiture particulière et favoriser des modes de transport compatibles avec l’objectif d’assurer à l’ensemble des agents économiques des conditions de déplacements aux moindres coûts économiques et sociaux.

Enfin, il a déjà été fait référence à la nécessité de modéliser le comportement de fraude au stationnement pour une amende fonction du temps de stationnement frauduleux. L’amende de type forfaitaire n’internalise pas l’externalité de congestion puisqu’elle ne couvre pas le temps de stationnement frauduleux. Dès lors, l’agent stationne plus longtemps que le temps de stationnement optimal. Une amende fonction du temps de stationnement, bien que son application pose de réels problèmes techniques, internalise l’externalité de congestion provoquée par la fraude au paiement du stationnement. Néanmoins, les résultats de simulations théoriques montrent que l’amende forfaitaire semble plus efficace quant à l’objectif de modérer l’usage de la voiture particulière en cas de très forte congestion du stationnement. La modélisation du comportement de fraude au stationnement relatif à une amende fonction du temps de stationnement doit permettre de fournir une réponse rigoureuse à cette assertion.

La nécessaire réduction du phénomène pour produire un outil de compréhension du comportement de fraude au stationnement a commandé d’élaborer des hypothèses. Nécessairement, ces hypothèses éloignent la représentation théorique du phénomène réel qu’elle prétend décrire. L’étape qui doit suivre l’effort premier de modélisation consiste à reconsidérer ces hypothèses pour améliorer le degré de représentation du phénomène. Une deuxième étape cruciale touche à la question de la réfutation du modèle. Pour donner un certain crédit au pouvoir normatif fourni par le modèle, il convient de confronter les résultats théoriques au réel.