2.1 : L’inadaptation des méthodes de préférences révélées et de préférences déclarées pour tester le modèle de fraude au stationnement

La production de données sur la question du comportement de fraude au stationnement urbain se heurte à un certain nombre de problèmes d’ordre méthodologique. En effet, une traditionnelle réfutation du modèle à l’aide de données prélevées sur le terrain semble inadaptée à la structure du modèle. La raison est assez simple. Les seules données disponibles sur la fraude au stationnement fournissent une évaluation du nombre de procès-verbaux effectivement dressés. A partir de ces données, il n’est possible de produire qu’un niveau de répression relatif au taux de verbalisation sur le nombre de voitures particulières stationnées élaboré sur la base d’un taux de remplissage de l’offre de stationnement et d’un taux de rotation. Ce taux de verbalisation rend compte éventuellement du niveau de productivité de la répression, mais en aucun cas du taux de fraude réel. A la vue des données disponibles, il ne peut être évalué de taux de verbalisation portant sur le nombre de véhicules réellement en fraude. Or, une sortie du modèle est de pouvoir évaluer le comportement de fraude au regard de la variation du niveau de répression, et non la variation du nombre de fraudeurs verbalisés en fonction du niveau de la répression. En posant cependant quelques hypothèses, une estimation statistique de la variation du nombre de fraudeurs peut être tirée de la variation du nombre de procès-verbaux. Mais le doute persiste sur la précision de l’estimation de la variation du taux de fraude tirée du nombre de procès-verbaux dressés. En outre, ces données n’apprennent rien sur le comportement de fraude relatif au motif de déplacement ce qui va à l’encontre des résultats des simulations théoriques qui montrent en quoi l’analyse de la fraude au stationnement doit être différenciée selon les motifs de déplacements. Ainsi, il n’est pas possible de conclure radicalement sur la question de savoir si l’origine de la variation du taux de fraude provient de la variation du nombre de fraudeurs ou si elle provient de la variation de l’efficacité du contrôle. Dès lors, produire des données de terrain pertinentes relatives au comportement de fraude au stationnement réclame nécessairement l’élaboration du comptage et d’une enquête auprès des individus qui stationnent.

Le comptage doit pouvoir fournir une estimation du nombre de fraudeurs et de non-fraudeurs sur une période donnée pour un niveau de congestion constaté. L’enquête auprès des individus qui stationnent doit permettre de relever pour chaque véhicule stationné, le temps d’activité à l’origine du stationnement estimé avant la réalisation de l’activité, le temps de déplacement total, le temps de recherche d’une place de stationnement, le temps de marche à pied du lieu de stationnement au lieu de destination finale et le type d’activité. Après avoir isolé les déplacements motivés par un motif unique, pour chaque stationnement, les données de l’enquête doivent permettre d’estimer les variables de décision, à savoir, la distance maximale de marche à pied, la distance maximale de déplacement et la distance de recherche d’une place de stationnement que se donne l’individu. La confrontation de ces données et du comportement réel de fraude avec les résultats théoriques du modèle permet d’estimer statistiquement, à l’aide d’un test non paramétrique, la pertinence du modèle. Pour le niveau de congestion constaté dans le cadre de l’enquête, si l’estimation de la distance maximale de déplacement, de la distance maximale de marche à pied, de la distance de recherche d’une place de stationnement, et si le nombre de fraudeurs effectifs sont statistiquement significativement différents des résultats théoriques tirés du modèle, ce dernier peut être réfuté. La difficulté d’évaluer la valeur des variables de décision remet en cause la possibilité de pouvoir tester la réaction des agents à une modification du niveau de répression et de tirer des estimations de l’impact de cette modification sur le niveau de mobilité et sur le partage modal. Si une estimation économétrique est toujours possible, il subsistera toujours une marge statistique d’erreur fatale pour la décision de réfuter ou de ne pas réfuter le modèle (voir Lalonde, 1986).

Une deuxième possibilité, pour produire des données permettant d’estimer plus sûrement la valeur des variables de décision, est de procéder à une enquête de préférences déclarées. Ce type d’enquêtes est maintenant largement répandu en économie des transports. Il permet de tester la réaction comportementale des enquêtés aux modifications du contexte décisionnel dans le cadre d’un scénario de choix de transport fictif contrôlé par l’enquêteur (Kroes, Sheldon, 1988, Polak, Jones, 1997). Dans ce cas, la méthode consiste à élaborer un scénario de choix de transport rendant compte des hypothèses du modèle. Il est demandé au sujet enquêté de déclarer son choix de transport dans le cadre de ce scénario. Ici, l’enquête consiste à demander au sujet, pour un niveau de congestion donné, de choisir de se déplacer ou de renoncer au déplacement ce qui permet, au regard des paramètres du modèle caractérisant le scénario, d’estimer la valeur de la variable de décision consistant à choisir une distance maximale de déplacement (éventuellement de la comparer avec la déclaration de cette valeur par le sujet). Ensuite, s’il accepte le déplacement, il s’agit de lui demander de se prononcer sur le mode qu’il choisit ce qui conduit à estimer la valeur de la variable de décision consistant à choisir une distance maximale de marche à pied (qui peut là encore être comparée avec la déclaration de cette valeur par le sujet). Enfin, il s’agit de demander au sujet de se prononcer sur le choix de frauder ou de payer le tarif de stationnement au regard d’un niveau de répression qui lui est annoncé. Pour un niveau de congestion donné, les données issues de la déclaration des préférences effectuée dans le cadre du scénario permettent de tester statistiquement la pertinence des résultats avancés par le modèle, et de prononcer un jugement sur la validité du modèle. L’usage de ce type de méthode est pratique pour tester la robustesse du modèle de comportement de choix de fraude au stationnement dans la mesure où il permet de modifier l’environnement de production des données au gré des questions qui doivent être abordées. Notamment, s’il convient par exemple, d’évaluer la différence de réaction sur la décision de frauder entre une variation de la probabilité de détection ou une variation du niveau de l’amende, l’enquêteur modifie les paramètres ’probabilité de détection’ et ’niveau d’amende’ du scénario tout en contrôlant les autres paramètres. De même, s’il s’agit de tester les résultats théoriques du modèle sur le comportement de fraude relatif au niveau de congestion, il suffit de modifier le niveau de congestion fixé dans le scénario. Cependant, si ce type de méthode semble adapté à la question de la production de données pour tester le modèle proposé ici, une limite laisse la méthode inopérante.

Le biais a trait à l’incertitude quant à l’implication des sujets dans leur réponse. La question est en effet de savoir dans quelle mesure les réponses déclarées par les sujets sont compatibles avec le comportement effectif des sujets (Wardman, 1988). Formulée autrement, la critique porte sur l’évidence que les agents ne font pas toujours dans un environnement économique réel ce qu’ils disent qu’ils feraient à la vue d’un scénario fictif. Les raisons principales de ce comportement des sujets enquêtés sont de deux ordres. Tout d’abord, le comportement dans le cadre d’un scénario se heurte à une absence d’éléments d’apprentissage sur des situations hypothétiques non vécues. Ensuite, les réponses sont influencées par un effet de présentation de la situation fictive. Enfin, et c’est là le principal reproche qu’il convient de faire concernant la méthode de déclaration des préférences pour le comportement de fraude au stationnement, les réponses des sujets peuvent relever d’un comportement stratégique. La réponse déclarée peut en effet être volontairement biaisée dans la mesure où, tout d’abord, elle peut être conçue comme un moyen d’influencer les résultats quant à la politique évaluée par l’enquête. Le sujet enquêté se comporte alors en véritable passager clandestin dans le cadre du scénario proposé sans que l’enquêteur puisse déceler ce comportement. Ensuite, elle peut résulter d’un comportement de sympathie vis-à-vis de l’enquêteur. Ce dernier point condamne définitivement l’usage de la méthode des préférences déclarées pour la production de données sur le comportement de fraude au stationnement. En effet, concernant un scénario dans lequel le sujet doit déclarer s’il fraude ou non, le risque est que le sujet désire montrer à l’enquêteur qu’il sait que la fraude est un acte répréhensible et qu’il ne pratique jamais ce type de comportement. Le sujet peut éventuellement ressentir une crainte que l’enquêteur porte sur lui un jugement négatif s’il déclare frauder. La fraude touche là un comportement économique sensible, voire tabou, qui remet en cause l’usage de la méthode des préférences déclarées pour produire des données. La question reste alors de déterminer une méthode production de données permettant de tester la robustesse du modèle de comportement de fraude au stationnement. Il est alors proposé de voir en quoi l’économie expérimentale peut constituer une méthode adaptée.