Conclusion générale

Le sentiment des citadins sur leur vécu des déplacements urbains confère au stationnement la caractéristique d’être le principal problème de transport en ville, avant la pollution, la congestion ou l’insécurité routière. De manière générale donc, le stationnement se trouve au même niveau que d’autres effets négatifs de la mobilité urbaine. En termes économiques, en première instance, le stationnement pourrait être alors abordé comme une externalité des déplacements effectués en voiture particulière. Il est pourtant le moment du déplacement sans lequel l’existence même de ce déplacement est remise en question. S’il ne peut pas être remis en cause que l’immobilité pose bien un problème majeur à la mobilité des citadins, pour autant, le stationnement ne peut être ainsi considéré comme un effet externe négatif des déplacements. Dès lors, un premier niveau de la thèse montre qu’en s’interrogeant sur l’efficacité d’une politique des déplacements urbains, la puissance publique se pose la question de savoir comment considérer les perturbations provoquées par le stationnement pourtant nécessaire à la réalisation des déplacements. A l’idée naturelle de considérer le stationnement comme une externalité négative du marché des déplacements, la thèse oppose que ce sont les conditions du marché du stationnement, notamment la congestion du stationnement, qui perturbent la réalisation des déplacements. Autrement dit, une externalité sur le marché du stationnement perturbe le marché des déplacements urbains.

Du point de vue de l’économie publique, la présence d’une externalité sur un marché remet en cause la capacité du marché à réaliser, de manière décentralisée, un état socialement optimal de l’économie. Dès lors, l’existence d’une externalité sur le marché du stationnement fournit une justification de l’intervention de la puissance publique pour réguler le marché. Elle consiste à appliquer les outils réglementaires ou tarifaires qui contraignent la demande de stationnement et amènent les usagers à assumer la totalité des coûts qu’ils génèrent. L’intervention publique met donc en oeuvre une procédure d’internalisation de l’externalité du stationnement visant à retrouver les conditions économiques du marché satisfaisantes pour la collectivité.

Cependant, si les agents fraudent, la régulation du marché du stationnement n’est plus efficace. Elle ne conduit plus à réaliser un état optimal. Par conséquent, l’existence de la fraude éloigne de l’optimum du marché du stationnement et perturbe par contrecoup l’équilibre sur le marché des déplacements. Dès lors, une deuxième dimension de la thèse explique en quoi la fraude au stationnement influence les résultats de la politique de régulation des déplacements urbains. Il existe là encore des enjeux pour le décideur public de prendre en considération l’existence de la fraude au stationnement dans le cadre de l’élaboration d’une politique de régulation de la demande de déplacements.

Pour appréhender la fraude au stationnement dans la politique des déplacements, le décideur public a besoin de comprendre le comportement individuel qui guide le choix économique de l’agent entre le respect des contraintes imposées et le non-respect de ces contraintes, c’est-à-dire la fraude. Dès lors, une troisième dimension de la thèse montre en quoi une analyse économique du comportement de fraude permet d’éclairer le décideur public dans son choix d’une politique répressive assurant le meilleur rendement social.

Au global, la problématique de la thèse était de montrer dans quelle mesure une analyse économique du comportement de fraude au paiement du stationnement permet d’avancer des conclusions pertinentes pour une politique de régulation de la demande de déplacements urbains tenant compte de la fraude.

Pour apporter une réponse à cette problématique, le raisonnement s’est déroulé en deux temps. Tout d’abord, une première partie a permis de mettre en évidence que la question apparemment anodine de la fraude au stationnement constitue en réalité une question vive pour l’économie des transports urbains. Cette question réclame de mobiliser les outils de l’analyse économique. Notamment, elle a permis de conclure que l’analyse économique de la fraude au stationnement repose sur l’analyse économique du comportement. Une deuxième partie a consisté en l’élaboration de cette analyse économique. Les résultats illustrent la richesse de doter l’outil d’aide à la décision de la politique répressive du stationnement, dans une perspective de régulation de la demande de déplacements, d’une représentation économique du comportement de fraude au stationnement.

La première partie de la thèse a eu comme objectif de mettre en lumière les enjeux de considérer la fraude au stationnement dans une logique de régulation de la demande de déplacements urbains. Un premier chapitre a montré comment l’évolution de la mobilité urbaine est liée à l’évolution du contexte urbain de telle sorte que la part de l’usage de la voiture particulière est prépondérante dans la mobilité quotidienne. Cette domination a des conséquences, à la fois sur l’environnement et sur l’écoulement des flux de transports, coûteuses pour la collectivité. De surcroît, les usagers de la voiture particulière appréciant mal les coûts réels de leur déplacement, la congestion urbaine relève d’une dynamique auto cumulative. Elle implique que la puissance publique, pour assurer les conditions optimales de déplacements urbains, régule la demande de déplacements afin que les usagers assument l’intégralité des coûts de leur déplacement.

Dans un deuxième chapitre, une conceptualisation du stationnement, en tant qu’élément du déplacement, a montré que la politique du stationnement, dans le cadre de la politique des déplacements, s’oriente à son tour vers une régulation de la demande. Une première conclusion est que la régulation de la demande de stationnement permet d’atteindre un optimum sur le marché du stationnement. En revanche, elle ne contribue pas à réaliser un optimum sur le marché des déplacements ce qui souligne l’enjeu de faire reposer la politique des déplacements urbains sur deux niveaux de régulation, à la fois la régulation de la demande sur le marché des déplacements et la régulation de la demande sur le marché du stationnement. Cette première conclusion montre l’importance de définir précisément la fonction objectif du décideur public, notamment pour réaliser un état satisfaisant sur le marché des déplacements.

Dans ce cadre, la discussion de la présence de comportements frauduleux a conduit à réfléchir sur l’application de mesures répressives. Sur ce point, un consensus se dégage pour proposer d’augmenter le niveau de répression. La thèse montre que, fondée sur des hypothèses discutables en termes économiques, dans le cadre de la politique de modération de l’usage de la voiture particulière, aucun élément solide ne permet de conclure sur le pouvoir dissuasif de cette politique et sur l’efficacité socio-économique de sa contribution à la résorption de la congestion des déplacements. Une relecture de la question à la lumière des principes de l’économie publique a montré alors que le manque de connaissances sur le comportement individuel explique qu’il ne soit pas possible de conclure positivement sur l’efficacité de cette proposition. Une justification a donc été avancée pour mettre en exergue la nécessité, pour l’aide à la décision, de se doter d’une analyse économique du comportement de fraude au stationnement.

Le propos de la deuxième partie du raisonnement a donc été de discuter de l’élaboration d’une représentation microéconomique du comportement de fraude au stationnement urbain payant sur voirie. La discussion s’est alors portée sur la pertinence de cette analyse pour une réflexion portant sur le choix d’une politique répressive cohérente avec les objectifs de régulation de la demande de déplacements.

A la faveur d’un troisième chapitre, la démarche générale de formalisation économique du comportement de fraude au stationnement a été abordée. Le stationnement urbain étant un élément du déplacement urbain, il a été montré que cette formalisation repose sur les principes théoriques intégrant l’espace urbain dans l’analyse microéconomique. Cela a permis de se donner une représentation de l’espace pour le modèle de comportement de fraude. En outre, la fraude au stationnement décrit une décision individuelle dans un environnement risqué résultant d’un choix économique rationnel entre le respect des règles instituées par la puissance publique et le non-respect de ces règles. A cet égard, les principes théoriques de l’analyse économique du crime ont été convoqués. Enfin, la modélisation du comportement de fraude proposée a pris appui sur une représentation théorique du comportement de stationnement. Cette dernière avance des résultats qui montrent comment la tarification de la congestion du stationnement influe sur le niveau de mobilité et sur le partage modal.

Les résultats du modèle de comportement de fraude indiquent que le niveau de répression influence le niveau de la demande de déplacements et le partage modal. Ils mettent en évidence qu’une amende de type forfaitaire n’est pas efficace quant à l’objectif de minimiser le temps total de déplacement moyen. La question est alors de chercher une amende de second rang. Sur ce point, la thèse a apporté les résultats théoriques suivants. L’effet de la répression sur le choix de fraude et, par contrecoup, sur la demande de déplacements, varie en fonction du niveau de congestion sur le marché du stationnement. En particulier, il existe des situations de congestion pour lesquelles, toutes choses égales par ailleurs, l’augmentation du niveau de l’amende procure un avantage pour l’agent, d’une part, à frauder, d’autre part, à utiliser la voiture particulière. Ce résultat contre-intuitif conduit à rejeter la proposition d’augmenter le niveau de l’amende comme action efficace de dissuasion de la fraude dans une perspective de régulation de la demande de déplacements. Cette conclusion confirme en revanche la pertinence d’une analyse économique rigoureuse fondée sur la représentation du comportement de fraude.

Un quatrième chapitre a consisté à discuter de la pertinence des résultats du modèle. Les résultats des simulations théoriques permettent d’avancer des conclusions sur l’application d’une politique répressive du stationnement frauduleux, dans le cadre d’une politique de régulation de la demande de déplacements. Ils justifient que le niveau de l’amende forfaitaire soit, d’une part, fonction du niveau de congestion du stationnement, d’autre part, fonction du type de demande caractérisant le marché du stationnement. Concernant une application au cas français, les simulations montrent que le niveau de l’amende en vigueur est inférieur au niveau d’amende d’équilibre que prescrit le modèle. Cela ne conduit pas pour autant à conclure que l’amende doit être augmentée sans évaluer les effets de cette augmentation sur le niveau de mobilité et sur le partage modal. Si l’objectif social est de dissuader la fraude et de minimiser le temps total de déplacement moyen, alors l’amende doit être augmentée et fixée à son niveau d’équilibre. Sous ce niveau d’équilibre, l’augmentation de l’amende réduit le niveau de congestion dans une telle mesure qu’elle renforce l’attrait pour la voiture particulière et rend la décision de frauder plus intéressante pour l’agent que la décision de s’acquitter du tarif de stationnement. En revanche, si l’objectif n’est plus de minimiser le temps total de déplacement moyen mais est, dans le but de détériorer l’avantage pour la voiture particulière, de maximiser le temps de déplacement total en voiture particulière moyen, alors la baisse du niveau de l’amende est l’option la meilleure. Ces résultats montrent bien qu’il existe des situations de congestion pour lesquelles la proposition d’augmenter l’amende comme moyen de dissuasion de la fraude n’est pas efficace au regard de l’objectif de réguler la demande de déplacements. Ils mettent également en évidence l’effet de la variation du niveau de répression du stationnnement frauduleux sur la demande de déplacements.

Cette analyse a le mérite d’avancer des premiers résultats théoriques en la matière. Néanmoins, il est bien évident que ces résultats doivent être considérés avec les réserves qui s’imposent eu égard aux hypothèses retenues. Pour cette raison, afin d’intégrer in fine cette représentation dans un modèle plus global de congestion, de nombreux raffinements théoriques méritent d’être à présent explorés, notamment en ce qui concerne le comportement de l’agent face au risque, le critère de choix retenu ou le coût de la répression. Enfin, la validation de la pertinence théorique de ces résultats réclament une confrontation aux données réelles. A la conclusion que les méthodes de préférences révélées ou de préférences déclarées ne semblent pas pouvoir offrir de données adaptées à la structure du modèle et au type de comportements modélisés, il semble que l’économie expérimentale puisse fournir un cadre de production de données contrôlées approprié.

Ainsi, en partant d’une question vive, cette thèse aura tenté de mettre à jour le lien économique entre la fraude au stationnement et la régulation de la demande de déplacements urbains. Ayant mis en évidence cette relation, loin d’apporter des prescriptions directement applicables, elle aura néanmoins posé de premières orientations pour l’aide à la décision.