Le seul ouvrage entièrement consacré à la Verrerie de Portieux (Vosges), gobeleterie à la main, a été publié en 1886 par le docteur Alban Fournier 1 .
La majeure partie de ce fascicule de 80 pages retrace, principalement, la naissance (1705) et les grandes étapes de la vie de l'entreprise avant la période révolutionnaire. L'auteur a concentré l'histoire de l'usine de 1802 à 1886, dans trois courtes pages seulement. De mémoire d'homme, on devait se souvenir, à la Verrerie et dans les environs, de ce passé relativement proche pour l'auteur au moment de la publication de ses écrits. Toutefois, notons que le docteur Fournier ne dit rien au sujet des cinq années troublées de la vie de l'usine, 1835-1840.
A. Fournier, lié au directeur Mougin par des rapports d'amitié et de travail, se comporte en historien. Il s'appuie sur la lecture de différentes archives. Il a compulsé celles de l'usine. Pour cette dernière source, les documents cités par l'auteur sont désormais introuvables. Cette disparition résulte, certainement, des périodes difficiles que toute entreprise traverse, inévitablement, tout au long d'une existence fort longue et parfois troublée. Les diverses modalités de gestion de l'usine qui multiplient le nombre de gérants, de propriétaires, d'associés peuvent aussi expliquer la disparition de documents fondateurs, indispensables à la connaissance approfondie de la société verrière. D'autres éléments doivent être pris en compte que sont les remaniements fréquents du bâti industriel, surtout à partir de la création de la société anonyme Vallérysthal et Portieux en 1871. Par conséquent, à plus d'un titre, on mesure combien les écrits de A. Fournier sont irremplaçables et fondamentaux à étudier 2 .
L'usine de la Verrerie de Portieux fut, longtemps, la première entreprise vosgienne par sa taille et l'ampleur de son commerce. Pourquoi donc, hormis le travail de A. Fournier, cette usine qui compte 875 ouvriers en 1881, 1280 (et 150 apprentis) en 1912, 1025 en 1925, n'a jamais fait jusqu'ici l'objet d'une étude particulière 3 . Notons que la plus importante entreprise textile vosgienne, la Blanchisserie et Teinturerie Thaonnaise, n'en compte que 733 en 1880. Pour répondre à cette interrogation, nous devons avancer quelques éléments d'ordre local et national.
Sur le plan local, et plus généralement vosgien, c'est bien l'industrie textile qui, au cours des ans, descendant de la montagne pour occuper les vallées, fait l'objet d'études particulièrement savantes. Même si l'usine de la Verrerie de Portieux est importante, elle n'en demeure pas moins marginale par rapport à l'ampleur du phénomène industriel que représente le textile dans le département. Plus largement encore, n'est-ce pas toute l'industrie verrière qui apparaît marginale parce que disséminée sur le territoire vosgien et parce qu'en cours de régression formidable après 1850 4 . Une autre raison du peu d'attention marquée pour l'usine de la Verrerie de Portieux résulte de sa position géographique 5 . En effet, l'usine se situe en dehors des grands axes de communication vosgiens et surtout en dehors du bassin industriel d'Epinal (fig. 1). Actuellement, les vosgiens ne connaissent de l'entreprise et n'en retiennent que les crises économiques et structurelles qui l'ont marquée au cours des 20 dernières années.
Il faut également souligner qu'une importante partie des archives de l'usine de la Verrerie de Portieux n'a été déposée à Epinal, lieu de centralisation et d'accessibilité, qu'en 1987 6 . Cette impossibilité à compulser les archives jusqu'en 1993 peut également expliquer l'absence d'intérêt profond porté envers cette usine verrière, unique survivante des verreries forestières de jadis.
Sur le plan national, remarquons que l'industrie du verre n'a, jusqu'ici, que peu été observée. Certes, des travaux existent mais, souvent, ils n'ont trait ni à la période considérée, ni à la gobeleterie.
Force est de constater l'extrême indigence des sources imprimées. Notre travail repose donc essentiellement sur l'exploitation des sources manuscrites 7 . En fonction des sources disponibles, nous avons opté pour une étude à dominante sociale, sans pour autant négliger les aspects économique et politique de cette belle et grande usine que fut la verrerie de Portieux, inscrivant ce travail dans la période 1850-1950. Nous ne souhaitions pas aller au-delà de cette borne temporelle car nous serions alors rentré dans une période où les difficultés de l'entreprise ont exacerbé bien des passions, ont fait naître bien des espoirs régulièrement déçus.
Cent années de la vie d'une entreprise, cent années chevauchant les XIXe et XXe siècles révèlent une vie intense, une vie qui marque, aujourd'hui encore, de manière indélébile, les mentalités. Bien des faits devront d'abord être considérés avec les yeux des contemporains pour éviter le piège des apriorismes qui existe, immanquablement pour l'histoire sociale. Le travail d'archives procure des données incontestables. C'est à une démarche d'objectivité que nous nous sommes astreints.
Une longue familiarité avec le terrain par le biais en particulier d'études dans les archives communales de Portieux, dans les archives départementales des Vosges à Epinal, de la Moselle à Metz mais aussi de la Meurthe-et-Moselle à Nancy, nous a permis de posséder une connaissance profonde et globale de l'unité verrière.
Si l'usine vosgienne jouit d'un bon degré d'autonomie au sein de la société anonyme des verreries réunies Vallérysthal (Moselle) et Portieux (Vosges), bien des aspects présentés dans ce travail : relance de l'usine en 1871, direction, main-d'oeuvre, carrière des verriers, aspects techniques et innovations, politique sociale, grèves, mouvement du commerce, ne se comprennent qu'en liaison avec un suivi attentif de l'évolution de la verrerie de Vallérysthal (Moselle). En effet, c'est en quelque sorte le repli des capitaux mosellans et d'une partie du "capital" humain après la défaite de 1870 qui entraîne la relance et le développement de Portieux par la création, en 1871, de la société anonyme des verreries réunies de Vallérysthal et Portieux.
Fournier (Charles Alban), docteur en médecine, écrivain (La Salle, 9 novembre 1842 - Rambervillers, 22 novembre 1904).
Fils unique d'Edouard Fournier, conducteur de travaux puis ingénieur des Ponts et chaussées, et de Catherine Aline Simon, Alban Fournier est mis en pension au collège de Perpignan lorsque son père est détaché dans le Nord de l'Espagne pour y construire des voies ferrées. Il débute ensuite à Strasbourg ses études de médecine, achevées à Paris en 1867 par un doctorat sur la paralysie du nerf facial. Il s'établit alors à Rambervillers dans le "château" -ancien couvent des Capucins - mais exerce peu la médecine. Passionné par les longues courses en montagne, il adhère en 1878 à la section des Vosges dont il devient président en 1881 et à la section de Nancy du Club Alpin Français. Il fait tracer et baliser des sentiers, poser des tables d'orientation. Il publie l'inventaire des itinéraires dans l'ouvrage encyclopédique paru sous la direction de Léon Louis : Le département des Vosges t. 1, p. 326-353. Il obtient l'installation d'une station météorologique au Ballon de Servance en 1881. Grâce à son action, un comité de défense des sites vosgiens convainc Jules Méline, alors président du Conseil des ministres, de refuser à la Ville de Paris de faire exploiter des carrières de granit dans la vallée de la Vologne pour en paver ses rues. Ainsi fut sauvée la moraine glaciaire du Kertoff.
Epris de la nature vosgienne, il l'est aussi des moeurs et de l'histoire des hommes et il donne de nombreuses études sur la géographie, l'histoire, l'hydrographie, le folklore, sur Gérardmer, La Bresse, Remiremont et surtout Rambervillers, aux revues régionales ; 73 recensées dans les périodiques publiés par les sociétés savantes d'Epinal, Saint-Dié, Nancy, les bulletins du Club Alpin. Républicain modéré, il écrit aussi dans le Progrès de l'Est de Nancy et dans le Mémorial des Vosges d'Epinal.
Ses deux principaux ouvrages sont la Topographie ancienne du département des Vosges, parue dans Annales de la Société d'Emulation des Vosges de 1892 à 1903 (en 11 fascicules formant plus de 1000 pages) et Les Vosges du Donon au Ballon d'Alsace, Paris, Ollendorf 1901 (impr. L. Geisler à Raon l'Etape), 685 p., ill.
Conseiller municipal de Rambervillers, il en est élu maire en 1870 mais refuse le poste, se contentant de son mandat de conseiller. Par contre, il reste jusqu'à son décès président de la Société de Secours Mutuels de la ville.
De son mariage avec Caroline Hugo il aura deux filles ; Thérèse, religieuse de Saint-Vincent de Paul à Saint-Dié et Adeline, qui épousera un médecin puis, en secondes noces, Henri Onimus, médecin de la marine. Leur fils est Jean Onimus, professeur d'université à Aix puis à Nice, auteur de nombreux ouvrages sur le mysticisme, la philosophie du bonheur, la culture, Teilhard de Chardin, et des études sur les poètes contemporains.
A. Ronsin - dictionnaire des "Vosgiens célèbres".
Le père du docteur Fournier : (Edouard), directeur des chemins de fer des Vosges, ingénieur des Ponts et chaussées (Saint-Gorgon, 21 février 1819 - Epinal, 3 mai 1881).
Conducteur des Ponts et chaussées puis ingénieur, Edouard Fournier construit des lignes de chemin de fer en France et en Espagne, puis revient dans les Vosges et travaille aux lignes d'intérêt local : Charmes - Rambervillers, Arches - Bruyères, Bruyères - Saint-Dié, Laveline - Gérardmer, Saint-Léonard - Fraize, Remiremont - Cornimont. Il devient directeur de la Compagnie des Chemins de fer des Vosges.
Il reçoit la croix de chevalier de la Légion d'honneur en janvier 1877.
Son frère, né à Rambervillers en 1822, décédé à Chamalières (Puy-de-Dôme) en 1886, inspecteur général des Ponts et chaussées, a également réalisé de nombreuses lignes de chemin de fer en France et en Espagne.
A. Ronsin - dictionnaire des "Vosgiens célèbres".
A ces éléments bibliographiques, il convient d'ajouter que le docteur Fournier est donc l'auteur du seul ouvrage historique paru sur l'usine vosgienne : "La Verrerie de Portieux - origine-histoire" - Paris Berger-Levrault et Cie, Editeurs, 1886. Comme son père Edouard, Alban Fournier fut administrateur délégué de la Compagnie du chemin de fer d'intérêt local de Rambervillers à Charmes tandis que Xavier Mougin, directeur de l'usine, occupait diverses fonctions au sein de cette même compagnie dont celle de président (A.D.V. 1000 S 147).
Alban Fournier cite parmi les archives de l'usine des documents concernant :
le transfert de la verrerie de Tonnoy (Meurthe) à Portieux (Vosges),
une liste nominative des ouvriers qui travaillaient à la verrerie de Portieux en 1778,
la chronologie des différents fermiers de l'usine,
la permission de créer un nouveau four en 1840. A cette occasion, on apprend que les fermiers ont fait venir des ouvriers de "Bohême et d'autres pays étrangers",
le renouvellement du bail (1775-1784) passé en qualité de directeur par Serva assisté de Claude Royer,
l'arrivée à la tête de l'usine de Jacques Bour qui obtient le renouvellement du bail pour 18 années (1784-1802),
l'approvisionnement en sable à Rugney et plus exactement "au Pâquis de la tranchée du bois de Rugney" près de la route de Charmes à Mirecourt,
les difficultés rencontrées par les verreries en 1746 lorsque "le gouvernement français frappa les verres lorrains d'un droit de 20 francs par quintal sur les ouvrages de la verrerie et de 10 livres sur les bouteilles",
la liste nominative des verreries vosgiennes en 1759-1760 d'après le procès-verbal d'une réunion rassemblant les "gentilshommes propriétaires des verreries répandues dans la forêt de Darney, Dompaire, ... travailleurs en bouteilles, verres en table, etc ... (...) convoqués au prieuré de Droiteval, au domicile de Jacques Robert, cabaretier... afin de donner pour chacun, les bureaux par lesquels ils feront entrer en France leurs produits...",
une réclamation à propos de la crise du salin en 1776,
le problème de la vente du bois aux enchères en 1801. Fournier décrit l'anxiété des verriers face aux enchères en donnant des extraits pris dans les archives de la Verrerie de Portieux. Pour la période 1802-1886, l'auteur ne cite plus de documents d'archives.
Répondant au questionnaire particulier pour l'exposition de 1881, le directeur Xavier Mougin explique que l'usine a pris une extension considérable "surtout depuis 1872". Il donne le chiffre de 875 ouvriers à Portieux et 1080 à Vallérysthal. A quelques kilomètres de Portieux, en amont sur la Moselle, la plus grosse unité textile des Vosges, la Blanchisserie et Teinturerie Thaonnaise comptait 733 ouvriers en 1880. 3 F, ACE.
Le dictionnaire de Charton (voir bibliographie) fournit quelques références.
La verrerie compte 1280 ouvriers et 150 apprentis en 1912 ; 1054 ouvriers et 116 apprentis en 1914. En 1917, l'usine accueille 439 ouvriers. Après avoir atteint 654 ouvriers en 1922, les effectifs remontent à 1025 en 1925.
53 J 626 ; A.D.V.
Seule demeure active durant la période concernée la verrerie de Clairey située dans la forêt de Darney. Elle est éteinte en 1955.
Voir passage relatif à la position géographique.
Les Archives départementales des Vosges n'accueillent que le fonds d'archives de l'usine de Portieux. Les Archives départementales de la Moselle possèdent des documents concernant la société de Vallérysthal et Portieux à partir de 1871.
De nombreuses archives restées à l'usine ont disparu dans un incendie en 1994.
J. MERLEY, Histoire d'une entreprise Forézienne - La verrerie de Veauche, université de Saint-Etienne, 1983.L'auteur qui constate également l'absence de sources imprimées a rédigé son ouvrage sur la base de sources manuscrites.