"La verrerie est une industrie portative" 11 . En effet, longtemps, les bâtiments et le matériel se résumaient à peu d'éléments et il était par conséquent plus aisé de déplacer la verrerie plutôt que le combustible à une époque où les infrastructures facilitant les transports étaient quasiment inexistantes dans la région concernée. Si la verrerie a pu se sédentariser, ceci s'explique par son implantation au coeur d'un important massif forestier sur un cours d'eau où elle pouvait puiser sa force motrice. Si la verrerie a traversé le temps, c'est parce qu'elle a fait un effort continu pour se désenclaver afin de recevoir différents produits et matériaux et d'expédier sa production avec davantage de facilité.
La possession de forêts a longtemps été une forte préoccupation pour les maîtres de verrerie. A. Fournier, qui a pu à la fin du XIXe siècle consulter les archives relatives aux toutes premières installations de la verrerie, explique que le Duc Léopold "donne le droit de faire construire et renouveler les halliers
(...) et de les transférer de forêt en forêt dans les lieux les moins dommageables qui lui seront indiqués par le commissaire général réformateur des eaux et forêts (...)". Léopold, qui demande à Magnien de créer une troisième verrerie pour la fabrication de miroirs et carrosses ainsi que des verres ronds pour vitres, lui accorde en 1714 "400 arpents de bois à prendre dans nos forêts les plus à portée que faire se pourra des dites verreries pour y être employés annuellement". Cette troisième verrerie avant de s'appeler Magnienville puis Verrerie de Portieux fut dénommée "Fraize" ou "des 400 arpents". On ne peut mieux exprimer que l'usine et la forêt ne font qu'un seul corps. En 1722, le Duc accorde 47 arpents de bois supplémentaires. "(...) l'emplacement était bien choisi : on trouvait à discrétion et pour rien le combustible dans ces immenses forêts, à peu près inexploitées à cette époque ; le salin 12 était fourni par les herbes, les fougères de ces mêmes forêts (...)". La Révolution mit fin à ces affectations de combustible.
Les propriétaires de la verrerie furent alors, malgré leurs protestations, obligés d'acheter le bois avec enchères. A. Fournier cite plusieurs échanges épistolaires qui prouvent à quel point "ces adjudications étaient le cauchemar, la terreur des verriers et en particulier des propriétaires de Portieux". F. Lamy, un des propriétaires de la verrerie, s'adressant au préfet en 1806 13 , s'insurge contre le fait que depuis 4 ou 5 ans, l'affectation de 50 arpents de bois par année a été retirée. Les propriétaires, ajoute-t-il, qui se sont adressés au ministre des finances ont essuyé un refus quant à leur proposition qui consistait à payer cette quantité de bois à son prix de vente, sans risquer les aléas des enchères lors des adjudications. F. Lamy dit, par conséquent, se plier à cette démarche nouvelle et risquée pour la verrerie. Ainsi, par exemple, le 15 février 1815, aux enchères publiques, à Epinal, le propriétaire de la verrerie acquiert, dans la forêt de Fraize, le canton dit des "quarante arpents" provenant de l'ancien domaine de l'Etat. Ce bois, situé sur la commune de Moriville contient 35 hectares et 19 ares. "Il forme une masse isolée à peu près carrée ayant au nord le chemin de la verrerie de Magnienville qui le sépare de la voie Mauljean, à l'est la route de Rambervillers à Charmes, au midi les terres de Portieux et au couchant le ruisseau et les prés de la verrerie. Enfin, il est traversé au couchant par un ruisseau par lequel aboutissent en pente les eaux, parties de la forêt à droite et à gauche" 14 . Ce canton de la forêt de Fraize est peuplé de hêtres, chênes, charmes et trembles. La possession de la forêt est vitale dans la mesure où le bois demeure pour de longues années encore l'élément nourricier de la verrerie. Une délibération du conseil municipal de Portieux nous apprend qu'en 1867, la verrerie utilise 10 à 11 mille stères par an. L'exploitation de la forêt procure du travail, pour le compte de l'usine, à un grand nombre de personnes : bûcherons, manoeuvriers, voituriers...
La situation géographique de la verrerie, au coeur d'un vaste massif forestier lui permet cependant de ne pas trop souffrir de la suppression de l'affectation gratuite de coupes de bois et par la suite de l'obligation à soumettre aux enchères. La situation, plus tard dans le siècle, devient plus difficile lorsque la verrerie de Portieux doit subir la concurrence d'usines "bâties sur la houille", telles celles du Nord de la France ou de la Belgique.
Ouvrage de Rose Villequey (Germane), Verre et verriers de Lorraine au début des temps modernes (de la fin du XVe siècle au début du XVIe siècle), Paris, PUF., 1971, p. 134.
Salin : matière première qui entre dans la composition du verre et provient des cendres d'herbes et de bois. De la qualité du salin dépend la qualité du verre.
Lettre de F. Lamy adressée au préfet : A.D.V. 38 M 23.
Vente aux enchères du 15 février 1815 - A.P.