Si la position géographique de la verrerie est un avantage pour l'exploitation du combustible et de quelques matières premières, il n'en va pas de même pour ce qui concerne ses relations avec l'extérieur et la vie de ses habitants.
Les registres des délibérations du conseil municipal de Portieux expriment au fil du temps les préoccupations 15 . Relevons par exemple, que le clocher doit être équipé de deux cloches supplémentaires "attendu que la verrerie qui fait partie de la commune en est éloignée de 3/4 de lieue, ne peut entendre l'annonce des offices que très difficilement et souvent pas du tout lorsque l'air ne s'y dirige pas". Les deux cloches doivent être "rendues, posées au clocher, les cordes à la main" pour le 22 juin 1822 16 . C'est le Sieur Thouvenot qui est chargé de fournir tous les matériaux nécessaires de première qualité.
Remarquant que les habitants ne peuvent prendre connaissance des informations préfectorales, la verrerie étant éloignée de 4 kilomètres, le conseil demande au préfet d'envoyer les informations en double aux frais de la commune par une délibération du 6 mai 1851.
Quelque 50 années plus tard, alors que le directeur de la verrerie A. Richard est maire de Portieux, le conseil municipal délibère le 16 août 1900 à propos du courrier qui circule trop lentement entre Portieux et la verrerie. Ce conseil municipal remarque que la Verrerie de Portieux qui compte plus de 1 500 habitants et possède une des plus importantes usines de la région n'est pas suffisamment desservie par la seule distribution postale qui y est faite chaque jour dans la matinée. De surcroît, les habitants reçoivent souvent trop tardivement les invitations qui leur sont adressées. En conséquence, il est demandé la création d'un bureau de facteur receveur dans le plus bref délai ou qu'une seconde distribution ait lieu l'après-midi. La création d'un bureau étant contraire aux règlements, une demande pour une deuxième distribution est réitérée par le conseil en 1901. Le problème n'a pas trouvé de solution en 1902. Le conseil municipal reformule le souhait d'obtenir la création d'un emploi de facteur auxiliaire ou d'une deuxième distribution. Les années passent et les difficultés demeurent. En décembre 1926, le conseil municipal "considérant que la boîte aux lettres à la gare de la Verrerie de Portieux est d'une grande utilité pour cette localité importante, si peu favorisée du point de vue postal", vote un crédit supplémentaire de 66 francs pour l'année 1927.
De tout temps, l'isolement de la Verrerie de Portieux a été ressenti par ses habitants qui souhaitent posséder les mêmes avantages que ceux obtenus pour le centre de la commune 17 , (fig. 5). Le tracé de la voie de chemin de fer Nancy-Epinal, celui de la ligne secondaire Rambervillers-Charmes, l'amélioration des axes de circulation routière, la création d'ouvrages d'art sur la Moselle, voilà autant de préoccupations pour un conseil municipal soucieux des intérêts de sa grande industrie locale : la verrerie.Lorsque les élus de Portieux apprennent que le tracé de la ligne Nancy-Epinal suivrait la vallée de la Mortagne au lieu de courir le long de la vallée de la Moselle, d'actives démarches sont entreprises auprès du gouvernement pour tenter de modifier les perspectives de tracé. Le conseil municipal s'émeut, dans sa séance du 8 septembre 1853, puis se rassure considérant le nombre de localités se trouvant dans la vallée de la Moselle et la distance plus courte de 15 kilomètres. En outre, le chemin de fer ne rencontrerait vers Rambervillers qu'une papeterie et deux forges sans importance ; suivant la vallée de la Moselle, il rencontrerait à Portieux "une verrerie considérable qui est dans l'intention de doubler prochainement sa fabrication, que cette verrerie tirerait par année de la Champagne et par le chemin de fer, cinq cent mille kilogrammes de sable et réexpédierait pareille quantité de marchandises fabriquées". Question de bon sens et d'intérêts bien compris, la ligne construite longe la vallée de la Moselle. En 1865 le conseil municipal demande que soit
établie une halte au passage à niveau de Portieux et en 1867, Xavier Mougin, directeur de la verrerie qui est le maire de Portieux fait transformer la halte en gare après accord de la Compagnie des Chemins de Fer de l'Est, du supérieur du couvent de Portieux, et de la commune. Il est également prévu de remettre en état le chemin d'accès à la gare et d'empierrer la cour de cette dernière. En 1901, le conseil municipal, sous la direction de son maire A. Richard, émet le voeu que la halte de Vincey porte à l'avenir le nom de "Vincey-Portieux".
Lorsque s'élabore l'idée d'une voie secondaire reliant Rambervillers à Charmes, le conseil municipal accepte en mai 1870 les emplacements pour les gares de Portieux et de la Verrerie. Il est vrai qu'en janvier 1865, le maire Barbey De Beaumont présentant plan, devis et résumé de l'exposé des explications verbales données par le Baron de Ravinel, député au corps législatif et par le préfet sur "l'importance et le bien-être qui résulteront pour les communes dont le territoire serait traversé par le chemin de fer", avait essuyé un refus pour l'octroi d'une subvention. A cela, deux raisons : d'une part la station se ferait à Langley et d'autre part la commune s'était endettée pour ses fontaines. Cinq années plus tard, les données et par conséquent les motivations avaient changé. L'ouverture de la ligne Rambervillers-Charmes, avec sa gare à la Verrerie, le 20 septembre 1871 envoie comme une bouffée d'oxygène à l'industrie verrière locale sur le plan du flux des matériaux et des hommes. La mise en circulation de la ligne intervient à un tournant historique de la vie de l'entreprise.
Le conseil municipal se montre vigilant vis-à-vis de tout projet qui pourrait concurrencer la ligne Charmes-Rambervillers. En 1894, il demande l'ajournement du projet de création d'une ligne de chemin de fer Gerbeviller-Bruyères qui nuirait à la ligne existante qui "rend de grands services à la population".
L'amélioration et la création de structures routières préoccupent également les élus de Portieux. Ainsi, en mai 1861, le conseil municipal demande que la route de Charmes à Rambervillers soit conservée à l'état de chemin de grande communication "(...) en ce qu'elle est la seule voie de communication (...) pour transporter les produits de son territoire au marché de Charmes et les produits manufacturés de la Verrerie de Portieux, dépendance de la commune, à la gare de cette ville, par où elle reçoit aussi ses approvisionnements".
Jusqu'en 1912, cette route est la seule que l'on puisse emprunter pour se rendre au niveau de la verrerie. Pour pénétrer dans le coeur des habitations et parvenir à l'usine, il faut utiliser un accès fort pentu et par conséquent dangereux pour les voyageurs et les voituriers. L'accident rapporté par le journal Le Mémorial des Vosges en 1903, témoigne de cette difficulté d'accès 18 . Des briquetiers de Domptail conduisaient des briques à la verrerie sur quatre voitures portant chacune 2 à 3 000 kilogrammes. Au bas de la pente, se trouve le ruisseau sur lequel, à 8 mètres environ de hauteur, est jeté un pont. A mi-chemin de la côte, un patin de la mécanique de la dernière voiture vint à casser alors que les trois autres voitures avaient déjà tourné le coin de la rue conduisant à la verrerie. Le véhicule, n'étant plus retenu, prit une allure vertigineuse et rasa la maison du boulanger Monsieur Varrier. Le timonier se détela, les deux chevaux attelés en flèche buttèrent contre le parapet du pont, le défoncèrent et restèrent suspendus au-dessus du vide. Il fallut couper le harnais et les laisser tomber. Le journal conclut en disant que "les chevaux ne sont pas trop endommagés mais que l'un d'eux a cependant une assez forte blessure à un jarret...". Ce n'est qu'en 1912 que le conseil municipal, par délibération du 15 février, projette la création du chemin vicinal n° 6 compris entre Portieux et la Verrerie et suivant à flanc de coteau la rive gauche du ruisseau, le Rochon, sur une longueur de 3700 mètres.
La dépense totale est estimée à 66.000 francs dont 55.000 francs sont portés à la charge de la commune. Bien qu'étroit, ce chemin permet une circulation plus aisée en direction de la vallée de la Moselle.
Le problème de l'édification des ouvrages d'art doit également être ici considéré. Déjà, le 27 germinal an 13, Jean Nepomucain Fettre propriétaire des moulins de Portieux ; Jean-Charles Mougin, François Lamy propriétaires de la verrerie de Magnienville ; Charles Hugueney propriétaire de la tuilerie de Charmes et Bernard Godchand receveur des barrières à Charmes, dans un courrier adressé au préfet des Vosges, expliquent que le pont construit entre Langley et Portieux "est tout à fait tombé ce qui empêche les voitures d'avoir leur cours (...). Le Sieur Jean Nepomucain Fettre en fit construire un sur la même ligne dans les champs plus haut, en planches. Depuis ce moment l'a entretenu et l'a rétabli différentes fois, ce pont menace dans ce moment une ruine totale. Sa chute fera que les exposants souffriront dans leurs commerces (...). Les exposants vous prient Monsieur dans les travaux que vous aurez à ordonner d'y comprendre le pont dont il s'agit vu le pressant besoin et l'urgente nécessité afin de faire cesser la perte des exposants et sera justice" 19 .
Un siècle plus tard, les problèmes de circulation engendrés par le manque d'infrastructures se font toujours sentir ; c'est pourquoi, le conseil municipal dans sa séance du 16 juillet 1899 décide la création d'un pont à deux voies sur la Moselle. Cette décision vient conclure un travail de réflexion entrepris depuis plusieurs années. La commune souscrit un emprunt de 42.000 francs comprenant 84 obligations de 500 francs nettes de tous frais et impôts. X. Mougin, directeur de la verrerie, par intérêt professionnel et personnel achète des obligations pour un montant de 10.000 francs 20 .
Au mois de novembre 1899, le journal Le Mémorial des Vosges informe ses lecteurs quant à la construction du pont qui est "poussée activement" entre la gare de Vincey et Portieux. Les principaux piliers sont déjà édifiés et le centre de la première arche a été posé. Le pont qui est destiné à desservir une partie de la vallée de la Moselle doit faciliter les communications notamment entre Vincey et Portieux et éviter le passage par Charmes qui occasionne un détour d'une douzaine de kilomètres entre les deux localités qui ne sont pourtant distantes que d'environ 1500 mètres. C'est un dimanche de fin août 1901 que l'on inaugure le pont sous la présidence du député X. Mougin, directeur de la verrerie qui a à ses côtés A. Richard, maire de Portieux et ingénieur à la verrerie. Le journal Le Mémorial des Vosges daté du 30 août 1901 21 décrit la cérémonie : "le nouveau pont, inauguré dimanche, a été élégamment décoré par les ouvriers, sous la surveillance de Monsieur Thomas, chef de chantier ; des arbres, surmontés de drapeaux tricolores, plantés de distance en distance, étaient reliés entre eux par des guirlandes auxquelles avaient travaillé des soeurs de la Providence. Le parapet avait été également orné par leurs soins. Le café Jacquot s'était mis en frais, lui aussi, et l'on pouvait voir, dans l'encadrement d'une fenêtre un tableau représentant un soldat français serrant la main à un soldat russe. Est-ce pour dire aux deux communes riveraines, Portieux et Vincey, reliées aujourd'hui par le nouveau pont : <<donnez-vous la main ?>> (...)". Peu après 16 heures, Monsieur Mougin livre le pont à la circulation.
Les divers engagements du conseil municipal de Portieux montrent la volonté de la commune de faire bénéficier l'écart de la Verrerie d'un réseau de voies de circulation favorable au développement de la cité et de l'industrie. La double responsabilité que portent X. Mougin et A. Richard, directeurs, mais aussi maires, conseillers généraux, député pour le premier et sénateur pour le second explique en partie la position du conseil municipal. Nous étudierons ultérieurement l'influence profonde exercée par ces deux personnalités tant au niveau du village que de la Verrerie village et usine.
Les registres des délibérations ont été consultés de 1838 à 1954. Le dépouillement systématique nous a permis de rédiger ce passage "enclavement-désenclavement".
A.D.V. 355-04. Cloches.
Les avantages en équipement seront l'objet de discorde entre les deux pôles de la commune. Ce sera le cas pour l'adduction d'eau, par exemple.
Mémorial des Vosges du 13 mars 1903. B.M. Epinal.
Courrier du 27 germinal an 13. A.D.V. 355-0 Portieux.
Mougin est le plus important souscripteur. Le maire souscrit pour 8000 francs.
Mémorial des Vosges du 30 août 1901. B.M. Epinal.