2.4 La période Régnier 1835-1840 28

En novembre 1835, en l'étude de Maître Bastide, notaire à Epinal 29 , Marie Antoinette Louise Lamy 30 , demeurant en cette même ville, déclare vendre en toute propriété des biens qui lui appartiennent sur le territoire de la commune de Portieux et bans voisins.

Les acheteurs se nomment François Xavier Régnier 31 , entrepreneur de diligences publiques et son épouse, Thérèse Laurent ; tous deux demeurant à Epinal.

Les biens consistent "en une verrerie (fig. 6 et 7) avec tout ce qui la constitue, maisons de maître, auberge, écuries, chapelle, bâtiments où demeurent les ouvriers, halles, hangars, magasins, greniers à foin ou engrangements, enfin tout ce qui est attaché ou peut être une dépendance de la verrerie ensemble, les prés, champs, chènevières, jardins, friches le tout d'une contenance environ de huit hectares quatre vingts ares ou quarante quatre jours." Marie Antoinette Lamy cède également "les terres de la tranchée" venant du prieuré de Belval, d'une contenance de deux hectares soixante quatorze ares quarante centiares. Seul le bois dit des "quarante arpents" ne fait pas partie de l'acquisition et "pour la démarcation duquel il sera très incessamment planté des limites". Tous les biens, en nature de terres et de bâtiments proviennent de l'héritage que Marie Antoinette Louise Lamy a fait à la suite du décès de son père François Lamy, l'un des propriétaires de la Verrerie de Portieux. Ce dernier en a fait l'acquisition "sur l'Etat par contrat passé devant Messieurs les administrateurs du département des Vosges pour et au nom de la République en vertu de la loi du 25 ventôse sous la date du 3 messidor An 4 et par autre contrat que Mademoiselle Lamy n'a pu exhiber encore fait sur la nation à peu près à la même époque que le précédent (...)".

François Xavier Régnier paie 44.400 francs à Marie Antoinette Lamy. Cette somme est répartie sur trois ans, avec intérêts de cinq pour cent par an, exigible par semestre. L'acheteur s'acquitte définitivement de sa dette en 1840.

Figure 6 :Verrerie de Portieux vers 1850-gravure
Figure 6 :Verrerie de Portieux vers 1850-gravure
Figure 7 : Verrerie de Portieux ; verriers au travail vers 1840-gravure
Figure 7 : Verrerie de Portieux ; verriers au travail vers 1840-gravure

Jacques Sigisbert Edouard Mougin et Anne Marguerite Victoire Mougin, veuve Martin, propriétaires à Pont-à-Mousson et héritiers de Jean Charles Mougin et de sa femme Françoise Bour 32 vendent également leur part en la verrerie de Portieux à François Xavier Régnier, le 15 octobre 1835 33 .

Quelque cinq années plus tard, Régnier rétrocède les biens acquis sur les successions Lamy et Bour à la famille Mougin qui demeure propriétaire de la verrerie jusqu'au moment de la constitution de la société anonyme des verreries réunies de Portieux et Vallérysthal.

Le retour de l'essentiel des biens au sein de la famille Mougin s'explique par la mauvaise gestion de l'usine sous la direction de Joseph Régnier Fils 34 ; même si la "Revue des Vosges" écrit à l'époque au sujet de la verrerie : "dirigée plus habilement que jamais par son nouveau propriétaire, Monsieur Régnier Fils, elle prend chaque année plus d'extension, et on peut, à juste titre, la regarder aujourd'hui comme la verrerie la plus importante de celles du département des Vosges." L'annuaire des Vosges signale Régnier Fils directeur de la verrerie en 1837 et 1838. L'ère Régnier ne dure pas longtemps. Dans une lettre datée du 25 novembre 1839, la justice de paix du canton de Charmes indique au maire de Portieux que "d'après la rumeur publique, le Sieur Régnier, propriétaire de la verrerie de Portieux, aurait disparu depuis quelques jours, et entièrement abandonné son établissement" 35 . Des informations sont demandées au maire avant que le juge de paix ne soit autorisé à apposer les scellés, comme la loi le lui permet en pareil cas. En l'absence de documents, nous ne savons pas quel suivi fut donné à cette affaire. En revanche, nous pouvons constater que la famille Régnier, pour honorer la dette envers Marie Antoinette Lamy, commence à revendre "des terres de la tranchée située à droite et à gauche de la route de Portieux à Moriville (...)". Ce sont des verriers qui deviennent propriétaires. En janvier 1840, Monsieur et Madame Régnier "cèdent en toute propriété à Monsieur Joseph Maurice Grandjean, tous les prés sans exception qui leur appartiennent sur le territoire de Portieux qui proviennent d'acquêt sur Demoiselle Marie Antoinette Louise Lamy rentière demeurant à Epinal (...)". Le contrat 36 stipule que Monsieur Régnier conserve quelques parcelles cultivées, situées "à la suite seulement du jardin existant au derrière des maisons (...)" et qu'il ne pourra "jamais être établi d'usine à feu sur aucune des propriétés cédées".

En échange, Monsieur et Madame Régnier reçoivent de Monsieur Grandjean trois ares pour chaque deux ares qu'il vient de recevoir à prendre dans une ferme, qui appartient au notaire, située sur le territoire d'Hergugney. L'acte se termine par d'autres menus échanges de terres et spécifie à nouveau dans sa conclusion que Monsieur Grandjean ne pourra établir aucune usine à feu. Ainsi, même si Régnier craint la concurrence et même s'il manifeste, en conservant le bâti industriel, l'intention de poursuivre l'exploitation de la verrerie, le bouleversement constaté prouve le désengagement progressif du propriétaire et bientôt sa faillite.

Notes
28.

Curieusement Alban Fournier ne donne aucun éclairage sur cette période particulièrement trouble de la vie de l'usine. A-t-il sciemment fait l'impasse de manière à ne pas heurter la sensibilité de son ami Mougin par le rappel d'un événement négatif pour la famille du directeur ? Nous penchons pour cette hypothèse car il est difficile de croire que Fournier ignorait à ce point l'histoire de l'usine datant d'une cinquantaine d'années au moment où il rédige son mémoire.

29.

Acte de vente des biens de M.A. Lamy. A.P.

30.

M.A. Lamy est la seule héritière de son père F.Lamy. Elle est mariée à Edouard Fortuné de Chinot, chevalier de Fromessant, chevalier de l'ordre de Malte, ex officier du 5e régiment de cuirassiers, demeurant à Boulogne-sur-Mer.

31.

François Xavier Régnier est né à Epinal le 2 juin 1791 de Simon François Régnier, entrepreneur de diligences à Epinal et de Anne Joignon. Il épouse le 7 novembre 1811 Thérèse Laurent née à Epinal, le 19 ventôse an 4 de la République de Joseph Laurent, marchand de planches et de Catherine Bourdon.

32.

Le 26 brumaire an 6 un partage intervient entre F. Lamy et J. Bour. La part de F.Lamy passa à sa fille M.Antoinette et la part de J. Bour à sa fille Françoise.

33.

La vente du 15 octobre 1835 est connue par le dossier d'acquêt de la verrerie du 16 novembre 1871 lorsque celle-ci devient propriété de Vallérysthal.

34.

Joseph Régnier fils est né à Epinal le 2 mai 1812 de François Xavier Régnier et de Thérèse Laurent. D'après un passeport, A.C.P., il se rend à Strasbourg en 1839. Détail pittoresque, on mentionne sur la souche de ce passeport qu'il a perdu l'oeil droit. C'est en novembre 1839 que Régnier aurait disparu.

35.

Lettre du 25 novembre 1839 concernant Joseph Régnier. A.C.P.

36.

Acte de vente du 20 janvier 1840. A.P. Quelques verriers achètent des terrains.