2 - Evolution des statuts 58

La fusion définitive entre la société en commandite Mougin frères qui exploite l'usine de Portieux en France et la société qui exploite la verrerie de Vallérysthal dans la province annexée intervient le 14 septembre 1872. La société nouvelle prend le nom de société anonyme des verreries réunies de Vallérysthal et Portieux. Les statuts sont établis par Me Jules Lévy, notaire à Sarrebourg, le 22 septembre 1872. Ces statuts s'inspirent de la loi de 1867. Ils ne sont pas conformes à la loi allemande. Le siège est à Vallérysthal. La durée de la société est fixée à cinquante ans, à partir de l'approbation administrative des statuts 59 . Le nombre d'actions est porté à trois mille pour la totalité ; deux cents actions nouvelles sont réparties entre les vendeurs ; huit cents restent à la souche pour être émises en vertu d'une délibération de l'assemblée générale. Pour devenir administrateur, il faut posséder au moins dix actions. La société est confiée à un conseil d'administration composé de cinq membres, nombre qui peut être porté à six ou sept par délibération de l'assemblée générale. L'article 16 mérite d'être relevé dans son intégralité dans la mesure où il subit par la suite une évolution importante, source d'affrontements lors d'assemblées générales : "les fonctions des administrateurs sont gratuites ; ils reçoivent des jetons de présence dont la valeur est fixée en assemblée générale. L'administrateur qui voyage pour les affaires de la société reçoit un jeton de présence pour chaque jour d'absence en outre du remboursement de tous ses frais de voyage". L'assemblée générale se compose de tous les propriétaires de cinq actions au moins ; les propriétaires de moins de cinq actions pouvant se regrouper et charger l'un d'entre-eux de les représenter à l'assemblée générale. L'article 21 recense les vastes pouvoirs du conseil :

Par conséquent, nous mesurons combien la société est entre les mains du conseil d'administration, groupe omnipotent, d'autant plus que le président et le vice-président peuvent être indéfiniment réélus. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater, comme nous l'avons fait précédemment lors du rachat de Portieux, que les assemblées générales sont des rites vides et que les actionnaires se montrent par avance consentants.

Il convient également de s'arrêter sur les modalités de distribution des dividendes aux actionnaires. Avant de procéder à cette distribution on effectue un prélèvement, dans tous les cas supérieur à 5 % sur les bénéfices. Les sommes ainsi recueillies doivent servir à la formation et au maintien d'un fonds de réserves destiné à "faire face aux dépenses imprévues et à couvrir au besoin les pertes du fonds social". Cette pratique, nous le verrons, permet de traverser les périodes de crises mais elle est aussi à l'origine de l'autofinancement de l'entreprise, réinvestissement immédiat d'une partie du profit.

Le revenu provenant de la souscription des 300 actions est porté à l'augmentation du capital de Portieux en 1874 dans un moment où le conseil d'administration veut donner un développement important aux affaires et surtout à celles de l'usine vosgienne. Le 17 mars 1885, le conseil nomme une commission dont le rapporteur est Germain pour l'examen de la loi allemande promulguée le 18 juillet 1884 sur les sociétés commerciales. Germain donne lecture, le 30 août 1885, du rapport fait au nom de la commission au conseil. D'après les statuts, la société de Vallérysthal et Portieux est représentée par un conseil d'administration et un conseil de surveillance, nommés par l'assemblée générale et tous deux légalement responsables de l'exécution de leur mandat vis-à-vis de la société. Au-dessous du conseil d'administration, et nommés par lui, se trouvent les directeurs responsables de la marche des usines. Les directeurs remplissent une fonction bien définie dont ils ne doivent compte qu'au conseil d'administration duquel ils dépendent uniquement. Ne tenant pas directement leur mandat de la société, ils n'encourent par conséquent aucune sorte de responsabilité vis-à-vis de celle-ci. D'après la loi du 18 juillet 1884, une société anonyme est représentée par un Vorstand et un conseil de surveillance. Le Vorstand n'est autre que le conseil d'administration des statuts. Il en a toutes les attributions, il encoure les mêmes responsabilités. Le conseil de surveillance possède des pouvoirs limités par la loi. Ses attributions ne peuvent être étendues ou modifiées au gré des parties. Ces éléments qui structurent la société ne semblent pas pouvoir être contestés. Or, une note sur le projet de modification des statuts, fruit du travail de réflexion d'un actionnaire, interprète différemment les termes de la loi de 1884. D'après cette note, la représentation légale de la société se composerait :

L'assemblée générale des actionnaires ne se trouve pas mise en cause par la note. Ainsi, le conseil d'administration disparaîtrait totalement et ses attributions passeraient en entier au conseil de surveillance qui deviendrait légalement le seul administrateur de la société. La nomination et la révocation de la direction appartiendrait au conseil de surveillance qui aurait également le droit exclusif de convoquer les actionnaires en assemblée générale. Un pareil système désorganiserait toute la société. Germain s'emploie à démontrer que la note de l'actionnaire n'a rien de sérieux car elle repose sur l'interprétation erronée des mots employés dans la traduction du texte allemand de la loi. L'auteur de la note a pris le mot direction employé dans la traduction dans le sens donné habituellement et partant de là, il a fait des directeurs de la société des gérants responsables. Or, le mot Vorstand indique celui qui préside, celui qui est à la tête, qui détient l'autorité et en exerce les pouvoirs. Par le fait, il dirige tout, soit par lui-même, soit par ses délégués. C'est dans ce sens que le mot allemand Vorstand a pu être traduit par le mot français direction. Or, il résulte des articles de la loi qui énumèrent les attributions du Vorstand que ce mot ne peut s'appliquer à la direction, telle qu'elle est entendue habituellement puisque les directeurs des usines ne constituent pas l'autorité supérieure de la société et qu'ils ne sont, au contraire, que des employés dépendant du conseil d'administration. Ce dernier seul détient l'autorité et c'est lui qui représente le Vorstand de la loi. Si le Vorstand est légalement responsable vis-à-vis de la société c'est qu'il ne peut tenir ses pouvoirs que de la société même et non du conseil de surveillance qui se borne à surveiller, à contrôler les actes de l'administration, à examiner les écritures, les comptes de l'année et les bilans proposés à l'assemblée générale. Germain s'appuie sur les articles de la loi pour prouver que son analyse du mot Vorstand est seule valable. Passant en revue les différents titres et articles qui composent les statuts de la société, Germain conclut devant le conseil qu'aucun de ces articles n'est en contradiction avec les dispositions de la loi nouvelle de 1884 et qu'aucune modification importante n'est nécessaire. La loi de 1884 donne quelques prescriptions nouvelles auxquelles la société est tenue de se soumettre. En effet, ses statuts ne reconnaissent qu'au conseil d'administration le droit de convoquer les actionnaires en assemblée générale ; or, indépendamment des assemblées réglementaires fixées par les statuts et du droit absolu laissé au conseil de convoquer les actionnaires, quand il le juge utile aux intérêts de la société, le conseil est tenu d'après la loi nouvelle de réunir une assemblée générale si une requête lui est adressée par un groupe d'actionnaires représentant le vingtième de la totalité du capital social et formulant dans cette requête l'objet et les raisons qui peuvent motiver la réunion. L'article 227 de la loi de 1884 dispose que le Vorstand se compose d'une ou plusieurs personnes salariées ou non salariées. L'article 16 des statuts de la société dit que les fonctions des administrateurs sont gratuites. Le conseil pense qu'il est opportun à l'occasion de la promulgation de la loi de 1884 de profiter de la latitude laissée par son article 227 pour reformer l'article 16 en substituant le principe de l'indemnité à celui de la gratuité. Le président du conseil d'administration, dans une note insérée au registre des délibérations, a fait valoir les motifs d'une réforme jugée indispensable. Germain qui rapporte l'étude faite à ce sujet par la commission qu'il a présidée rappelle que "le conseil d'administration de Vallérysthal, par son intervention incessante dans toutes les affaires et à l'aide des excellentes auxiliaires qu'il s'était choisi, a du faire, d'une société précaire à l'origine et dont chacun se détournait avec empressement, la puissante et prospère société d'aujourd'hui. Or, fait unique et sans exemple dans aucune société, depuis l'organisation primitive c'est-à-dire depuis plus de 30 ans, le conseil d'administration de Vallérysthal a toujours rempli son mandat gratuitement. Un pareil état de choses peut-il durer indéfiniment ? Est-il admissible qu'une société qui en est arrivée à faire aujourd'hui plus de 3 millions 500 mille francs d'affaires et qui, pour une bonne part, doit sa prospérité actuelle au conseil d'administration, continue à ne tenir aucun compte à ce conseil des résultats acquis, du soin qu'il apporte à la sauvegarde des intérêts des actionnaires, de son travail et de la grande responsabilité qu'il court ?" questionne Germain qui affirme [qu']"il y a dans cette situation quelque chose de choquant, de peu équitable, d'absolument contraire, en tout cas, aux usages du commerce (...)". Argument suprême en faveur de l'indemnité, le conseil ne saura imposer le fonctionnement actuel sur le principe de gratuité à autrui ; "car personne ne consentira jamais à marcher sur vos traces et uniquement par dévouement aux intérêts des actionnaires, à administrer gratuitement une société aussi prospère que celle de Vallérysthal et aussi en état de rétribuer largement ceux qui s'occupent de ses affaires". En maintenant l'article 16, le conseil laisserait à ses successeurs "la lourde tâche du mandat gratuit, avec ses responsabilités et toutes ses conséquences...". Le conseil d'administration en décidant que le mandat d'administrateur serait rétribué et que l'article 16 des statuts de la société devait être modifié dans ce sens "a pris une résolution absolument conforme à l'équité". La loi de 1884 laissant le conseil libre d'indiquer le genre d'indemnité qu'il entend s'attribuer et d'en fixer le montant, il est décidé que cette indemnité se composerait d'un tantième à prélever sur les bénéfices de l'exercice, d'après le mode de répartition en usage pour la fixation du tantième des directeurs. Le tantième du conseil d'administration, contrairement à celui des directeurs doit être soumis à l'assemblée générale. Germain s'interroge encore : "le tantième attribué au conseil d'administration doit-il être réparti également entre chacun de ses membres ? Au contraire, les administrateurs qui en vertu d'une délégation spéciale ou par la nature même des fonctions qui leur sont attribuées dans le conseil, sont astreints à un plus grand travail ou à des occupations exceptionnelles, doivent-ils recevoir, dans la répartition du tantième, une plus forte part que leurs collègues ?". La commission pense qu'il serait contraire aux usages des sociétés anonymes, d'instituer dans le même conseil, deux catégories d'administrateurs, alors que tous les membres de ce conseil participent également aux mêmes affaires. En outre, à partir du moment où l'on supprime les jetons de présence, il serait illégal de les rétablir indirectement, par décision du conseil, dans le but unique de former des parts inégales dans la répartition des tantièmes. En conclusion, la commission présidée par Germain pense que la totalité du tantième fixé et soumis à la ratification de l'assemblée générale des actionnaires est mis à la disposition du conseil d'administration mais que ce dernier ne peut en faire entre ses membres une répartition inégale. Il est toujours possible d'attribuer une indemnité spéciale, indépendamment de l'indemnité réglementaire, à un administrateur chargé d'un travail ou d'un service particulier. Dans ce cas, l'indemnité spéciale doit être prélevée non sur le tantième, mais sur les frais généraux de l'administration. Afin de fixer le chiffre du tantième à attribuer au conseil d'administration, la commission pense "convenable et suffisant" de prendre comme point de départ de la somme à fixer, un traitement d'environ 500 francs pour chaque administrateur, soit un total de 25.000 francs pour les cinq administrateurs. La moyenne étant établie sur les bénéfices des cinq dernières années -bénéfices bruts, déduction faite de 10 % pour le fonds de réserve, intérêts du capital et à Vallérysthal des intérêts produits par le fonds de réserve- la commission propose de fixer à 6 % le tantième de la somme à attribuer au conseil d'administration.

D'après l'article 17 des statuts, le conseil d'administration peut nommer un secrétaire pris en son sein ou en dehors. Si le secrétaire est pris dans le sein du conseil, c'est-à-dire s'il est lui-même administrateur, sa situation est réglée par les statuts. En qualité d'administrateur, il touche sa part du tantième attribué au conseil et, comme administrateur chargé d'un service spécial, il reçoit, sur les frais généraux et par application de l'article 17 des statuts, une indemnité annuelle fixée par le conseil. Si le secrétaire est pris en dehors du conseil, sa situation est alors différente. Il est un employé de la société chargé d'une mission spéciale près du conseil qui l'a choisi. Ses appointements sont fixés lors de son entrée en fonction. Comme tout autre employé, ses appointements sont susceptibles d'augmentation, selon ses aptitudes, son travail et l'ancienneté de ses états de service. Il peut également recevoir des gratifications, les dépenses étant, dans ce cas, portées au compte des frais généraux de l'administration. La modification de l'article 6 permet de régler pécuniairement la situation du secrétaire Vauthier. "Les grands services que M. Vauthier a rendu au conseil dont il a partagé tous les travaux et dont il est l'auxiliaire si utile depuis près de 20 ans, sont trop connus et trop justement appréciés pour que je crois nécessaire d'insister sur ce point", (...) plaide Germain qui propose en conséquence d'attribuer à Vauthier un traitement approchant celui des employés de bureau qui sont le plus convenablement rémunérés, soit une somme de deux mille francs. Le rapport de Germain se conclut par des suggestions concernant le comité de surveillance. Ce dernier bénéficie d'une indemnité annuelle composée de jetons de présence de 25 francs. Les attributions de ce comité étant limitées à des actes de vérification et de contrôle, ses réunions n'ont pas comme celles du conseil d'administration un caractère de permanence. Ses réunions sont au contraire peu nombreuses et limitées à la période des inventaires et de la vérification du bilan. Il est donc impossible de lui allouer une indemnité fixe qui ne se justifie que par la permanence des fonctions à remplir. Le mode d'indemnité en usage, jetons de présence, est maintenu pour le comité de surveillance. Cependant, eu égard à l'importance des affaires, il est décidé de porter à 100 francs le montant de jeton de présence.

En résumé et comme conclusion de son rapport, la commission propose donc :

  1. de modifier l'article 16 des statuts : les fonctions d'administrateurs cessent d'être gratuites et seront rétribuées ;
  2. de porter à 6 % le tantième à attribuer au conseil d'administration sur les bénéfices de chaque exercice ;
  3. de fixer à la somme de deux mille francs les appointements du secrétaire du conseil d'administration ;
  4. de maintenir la rémunération du comité de surveillance sous la forme de jetons de présence, mais en fixant à 100 francs le chiffre du jeton de présence à attribuer à chaque membre.

Mise à part l'interprétation du mot allemand Vorstand qui nécessite approfondissement et débat à propos de la loi allemande de 1884, les autres modifications ne sont proposées que par opportunisme. La société profite de la promulgation de la loi pour augmenter les propres revenus du conseil d'administration et du conseil de surveillance et régulariser la situation du secrétaire permanent Vauthier.

Dans une période de très forte croissance en 1887, il est à nouveau procédé à une augmentation du capital de Portieux de 10.000 francs. A l'issue de la guerre, en 1919, la société est placée sous l'empire de la loi française. Les statuts, étudiés en accord avec Me Houot notaire à Nancy, n'apportent aucune modification importante à la marche des usines. De manière à placer la société sous la loi française dont l'application en Lorraine est encore incertaine, le siège social est reporté de Vallérysthal à Portieux. Après modification des statuts, établis par l'assemblée le 10 septembre 1919, qui accusent un capital de 2.062.500 francs représentés par 2500 actions de 825 francs entièrement libérées, une assemblée générale de 1920 double le capital qui est porté à 4.125.000 francs divisés en 10000 actions de 412,50 francs entièrement libérées. Ce doublement est effectué par prélèvement sur les réserves et par distribution d'une action gratuite pour chaque action ancienne. Les assemblées générales extraordinaires du 7 novembre 1923 et du 4 mars 1924 décident par une première résolution le remboursement de chaque action des deux tiers du capital nominal de 412,50 francs ; par une seconde résolution, le capital est porté de 4.125.000 francs à 12.375.000 francs par l'émission de 20.000 actions libérées du tiers. Une assemblée générale du 4 septembre 1926 donne à chaque actionnaire la possibilité de se libérer entièrement de tout ou partie de ces actions, conformément à l'article 2 des statuts. Les augmentations de capital ont lieu dans les périodes où les bénéfices sont importants par rapport au capital nominal. C'est ainsi que le capital, en 1930, est notablement inférieur à l'actif de la société. En 1923, lorsque le capital est porté à 12.375.000 francs, la livre sterling valait 81 francs ; elle en vaut 124 en 1930. De même, le franc depuis 1923 jusqu'à sa stabilisation a perdu un peu plus de la moitié de sa valeur.

Les assemblées générales extraordinaires du 4 septembre 1930 et du 7 janvier 1931 portent de trente mille à quarante mille le nombre d'actions de la société et votent l'élévation du capital de 12.375.000 à 16.500.000 francs. Cette opération s'effectue par l'émission de 10.000 actions de 412,50 francs, libérées du tiers. Ces actions émises en vue de l'augmentation du capital sont réservées aux actionnaires anciens. Elles sont toutes acquises par ces actionnaires soit 9.934 à titre irréductible et 66 à titre réductible.

Notes
58.

Cette évolution a été retracée principalement à l'aide :
des comptes rendus du conseil d'administration et des assemblées générales,
du procès Lallemand, 53 J 770 ; A.D.V

59.

La fusion intervient définitivement le 14 septembre 1872, les statuts étant établis par Maître Jules Lévy, notaire à Sarrebourg, le 22 septembre 1872 : date extraite du procès Lallemand, 53 J 770 ; A.D.V.