DEUXIEME PARTIE : L'ORGANISATION DU TRAVAIL

CHAPITRE III : LA DIRECTION DE L'USINE DE PORTIEUX
LA DIRECTION DE L'USINE DE PORTIEUX

1 - La direction de Portieux en question

Dès les premiers exercices de la nouvelle société se pose la question du choix des hommes et de leurs capacités à diriger Portieux. A l'usine de la Verrerie, deux personnalités se trouvent placées au sommet de la hiérarchie : Xavier Mougin, ancien propriétaire (fig. 12), directeur et Jules Richard dont les fonctions lors du démarrage de Portieux en tandem avec Vallérysthal ne sont pas très bien précisées. Le conseil d'administration va s'efforcer d'y remédier dès 1873.

Le conseil se rend compte qu'avant l'acquisition de Portieux par Vallérysthal, X. Mougin ne se serait jamais occupé de la fabrication et que, par conséquent, il "n'a pas l'aptitude nécessaire pour mettre cette fabrication sur un bon pied et surtout pour y introduire toutes les transformations indispensables pour mettre Portieux en mesure de reprendre la clientèle française de Vallérysthal".

J. Richard après avoir oeuvré à Vallérysthal aux côtés d'Adrien Thouvenin entre à Portieux le 9 septembre 1871 76 . Vallérysthal le met donc, dès la fusion, au service de la "succursale" afin qu'il aide au développement rapide escompté de cette dernière. Le conseil le sent capable d'être un chef de fabrication très habile et bien au courant des besoins et des exigences des acheteurs. On le soupçonne cependant de vouloir accéder à la sous-direction ; or, pour le président du conseil d'administration, "un sous-directeur doit ambitionner de devenir directeur" et Richard "n'en a pas l'étoffe". Il devient donc, avec quelques avantages financiers, chef de fabrication avec comme champ d'action : la charge de tous les détails de la fabrication, halles et tailleries, personnel de ces ateliers, admissions et mutations dans ce personnel. Quant à X. Mougin, il a la responsabilité de toute l'administration et la "haute main" sur l'usine.

En mars 1873, le président G. Chevandier s'adressant à Raspiller du conseil d'administration lui explique que J. Richard a reçu les offres très avantageuses émanant d'une verrerie de Paris qui souhaite l'engager comme directeur. Bien entendu, le chef de fabrication fait pression sur le conseil pour obtenir des avantages de titre et de traitement, moyennant quoi il resterait à Portieux.

Le président pense que l'exigence de J. Richard provient du fait "qu'il sent bien l'insuffisance de son chef immédiat". Il convient donc de ne pas céder. Peut-être faut-il envisager de remettre la direction de Portieux, dans un avenir proche, à Paul Thouvenin 77 . Progressivement, la méfiance vis-à-vis du directeur X. Mougin va s'estomper en fonction de l'amélioration continue de la situation de l'usine. En 1875 encore, remarquant que Portieux fabrique des produits défectueux, G. Chevandier s'interroge sur l'origine du problème qui résulte soit des ouvriers "détestables" soit d'une grande négligence "de la part de ceux qui sont chargés de diriger et de surveiller la fabrication". "Il faut se méfier des questions de camaraderie", écrit-il à un administrateur. En fait, G. Chevandier souhaite que Portieux soit dirigée par une personne n'ayant pas de liens privilégiés avec la population, ce qui n'est pas le cas de X. Mougin dont la famille se trouve à l'usine depuis une centaine d'années. L'idée est en réalité de placer à Portieux "un homme actif, instruit, qui, avec l'intelligence nécessaire pour faire ait aussi la volonté de faire". Après 1875, les résultats positifs aidant, X. Mougin n'est plus contesté. J. Richard, quant à lui, parvient à ses fins. Dès le 22 mars 1873, il prend le titre ambigu, il est vrai, de sous-directeur de la fabrication 78 . Mais quelques années plus tard, ayant apporté son savoir-faire à la société, il est nommé sous-directeur le 28 mai 1877 pour entrer en fonction le 1er juillet. Aucune mise en doute des capacités des deux hommes ne vient après 1875 troubler le fonctionnement de l'équipe de direction jusqu'au moment où J. Richard accède à la retraite le 1er juillet 1904 et X. Mougin quitte son poste de directeur le 1er novembre 1905. J. Richard ne profite pas longtemps de son temps de cessation d'activité puisqu'il décède le 4 août 1906.

Un homme influence les destinées de l'usine de Portieux, il s'agit d'Adrien Thouvenin. Nous l'avons vu arriver de la Rochère pour prendre des fonctions de directeur à Vallérysthal où, très rapidement, il gagne la confiance de la société "Plaine-de-Walsch-Vallérysthal".

C'est un homme dont l'avis compte beaucoup pour le conseil d'administration. Ce dernier le suit lorsqu'il propose de racheter l'usine de Portieux et G. Chevandier lui écrit à de nombreuses reprises pour qu'il mène toutes les tractations. Il s'acquitte de sa tâche avec discrétion et efficacité. Lors de la constitution de la nouvelle société qui intègre Portieux, A. Thouvenin devient directeur général. Il a donc la haute main sur les deux usines car sa mission consiste à faire fonctionner Portieux dans la même voie que Vallérysthal. A la lecture des tâches que lui confie soit le conseil d'administration, soit directement le président Chevandier, nous avons le sentiment que le directeur de Portieux est placé sous tutelle. A. Thouvenin est un homme qui possède non seulement l'expérience professionnelle mais aussi une solide formation technique de base, acquise à l'Ecole centrale des Arts et Manufactures. C'est lui qui, par exemple, procède à une étude pour augmenter l'arrivée et le volume des eaux nécessaires au service des machines à vapeur de Portieux en 1874. L'année suivante, il examine le rendement des différents exercices de l'usine et il est chargé par le conseil d'administration d'en réorganiser le bureau, de telle façon que X. Mougin ait la presque totalité de son temps disponible pour la surveillance de la fabrication et des détails matériels de l'établissement. Toujours la même année, il s'occupe de l'achat de carrières de sable dans la Marne.

Les relations entre A. Thouvenin et le conseil d'administration s'assombrissent en 1877 lorsque le directeur général qui est aussi directeur spécial de Vallérysthal évoque le désir de quitter la direction de cette dernière et présente comme successeur son fils Paul qui assure déjà la sous-direction. Le père et le fils menacent de se retirer de la société si on n'accepte pas de modifier les statuts en ce qui concerne la nomination du personnel. A. Thouvenin souhaite faire accepter son fils par simple cooptation. P. Thouvenin partirait à Vannes-le-Châtel pour s'associer à son beau-frère. La menace est accompagnée d'une autre condition : que deux membres du conseil d'administration se retirent, Mathis de Grandseille et Raspiller, pour être remplacés l'un par Thouvenin Père, l'autre par un actionnaire Germain. X. Mougin se voit confier la mission de conciliateur. A. Thouvenin évolue dans ses prétentions et demande une modification des statuts qui porterait de cinq à sept le nombre des administrateurs afin qu'il puisse lui-même entrer au conseil d'administration en compagnie de C. Germain. Il maintient son désir de voir Mathis de Grandseille quitter le conseil d'administration. Ce dernier est décidé à accepter la démission des deux Thouvenin, père et fils. En fait le conseil, habituellement seul maître à bord, n'accepte pas les menaces proférées par P. Thouvenin dans un courrier que celui-ci lui a adressé. Dans la séance d'avril 1877, le sous-directeur est décrit comme ayant "un caractère difficile, un esprit entier, impatient d'un contrôle ou d'une autorité supérieure". Le conseil d'administration, malgré son désir de conserver la collaboration de Thouvenin Père, renonce à la pensée qu'il nourrissait depuis huit ans de confier la direction de Vallérysthal à Thouvenin Fils. En définitive, c'est le tandem Thouvenin qui l'emporte grâce à l'intervention de X. Mougin. Le père et le fils renoncent à leur décision mais le premier conserve la direction générale et le second, malgré les vues négatives portées sur lui par le conseil d'administration, devient directeur de Vallérysthal. La sous-direction de cet établissement est confiée à Verdelet 79 . Adrien et Paul Thouvenin sortent vainqueurs de l'affrontement parce qu'ils sont compétents dans la bonne marche des affaires et surtout parce que le conseil d'administration craint de les voir passer à la concurrence.

Le rôle de X. Mougin n'est pas négligeable dans cette affaire. S'il n'est pas un grand technicien de la verrerie, il possède néanmoins de bonnes capacités de négociateur ; c'est pourquoi sa tâche se situe à Portieux, dans l'organisation du réseau commercial, ainsi que dans les négociations pour l'achat de terrains, carrières de sable.

Si l'évolution positive de Portieux dépend de l'équipe de direction X. Mougin et J. Richard, un autre homme pèse sur les orientations de la verrerie : A. Thouvenin qui est un excellent technicien. Les deux verreries étant intimement liées, il est donc nécessaire de considérer la force des hommes d'un côté et de l'autre : à Portieux et à Vallérysthal concomitamment.

Notes
76.

Date du 9 septembre 1871 précisée dans le registre des employés, 53 J 628 ; A.D.V.

77.

Paul Thouvenin, fils de Adrien Thouvenin, deviendra directeur de Vallérysthal.

78.

Nominations de J. Richard, 53 J 628 ; A.D.V.

79.

René Verdelet : ingénieur de l'Ecole centrale, entré à l'usine en 1872 est sous-directeur puis directeur en 1887. Il abandonne la direction de Vallérysthal pour raison de santé en 1892.