Maire de Portieux en 1870, conseiller d'arrondissement de Mirecourt de 1871 à 1877, conseiller général du canton de Charmes de 1877 à 1895, Xavier Mougin directeur de la verrerie se présente aux élections législatives du 22 septembre 1889. Son concurrent est André Buffet, propriétaire, demeurant à Mirecourt, fils de l'ancien ministre Louis Joseph Buffet 99 . X. Mougin obtient le soutien d'Edouard Bresson 100 , député, qui après quatorze ans remet son mandat "à un homme digne à tous égards de vous représenter, écrit-il aux électeurs, et capable, lui aussi de soutenir le bon combat (...)". Le député sortant ajoute : "(...) M. Mougin est un travailleur modeste et persévérant, vosgien de la frontière, il est patriote. C'est la loyauté même. (...) Je vous en prie, je vous en supplie : concentrez toutes vos forces, tous vos moyens d'action pour soutenir la candidature de M. Mougin" 101 . Le postulant déclare que sa candidature est "franchement républicaine" et qu'elle signifie "sécurité au-dedans, paix au-dehors, maintien de la République sincère honnête, ouverte à tous les patriotes ; économie et bon ordre dans les finances de l'Etat ; protection et encouragement de l'agriculture ; suppression des traités de commerce à leur expiration ; respect absolu de toutes les croyances religieuses ; protection de l'ouvrier, établissement d'institutions de prévoyance ; règne de la liberté". X. Mougin affirme que son concurrent est un monarchiste convaincu qui n'ose avouer qu'il désire le renversement de la République 102 . Le directeur de la verrerie l'emporte avec 8.371 voix sur 15.232 votants contre 6.731 voix au candidat conservateur.
Il se présente à nouveau aux élections du 20 août 1893. S'adressant à ses électeurs, il explique qu'il a voté "les lois ouvrières qui [lui] ont paru pratiques et utiles" ; les tarifs de douane qui permettent à l'agriculteur français de lutter plus efficacement contre la concurrence de ses rivaux étrangers". 103 . Se tournant vers l'avenir, il estime "qu'un des grands problèmes à étudier par la prochaine Chambre sera la question des retraites [car] "on ne peut plus désirable de voir l'ouvrier de la ville et de la campagne jouir d'une pension viagère lui assurant l'existence sur ses vieux jours". Versant dans le lyrisme et s'exprimant en quelque sorte pour ses ouvriers, il fait l'apologie du travail : "dans une véritable démocratie le travail anoblit. Travailler donc, travailler sérieusement, travailler avec entrain ; ayez confiance dans l'avenir ; ne vous laissez ni guider, ni endoctriner par ces meneurs des grandes villes qui n'ont qu'un but : exploiter la crédulité humaine pour s'en faire un tremplin électoral. (...) Ce message est destiné à "messieurs les Ouvriers ; messieurs les Travailleurs des champs" 104 . Le directeur de la verrerie est réélu, sans opposition, avec 10.331 voix sur 10413 suffrages exprimés 105 .
Le Mémorial des Vosges du 30 août 1893 présente, de façon bien lyrique également, les gages de reconnaissance donnés par les ouvriers à leur directeur réélu député : "les ouvriers de la Verrerie de Portieux ont profité de la réélection de M. Mougin, leur directeur comme député de Mirecourt, pour lui donner un nouveau témoignage de leur affectueux dévouement. Déjà il y a quelques jours les tailleurs lui avaient offert un banquet. Hier, les verriers proprement dit sont venus, musique en tête, lui offrir un magnifique bronze, la Jeanne d'Arc à Cheval de Freminet. L'un d'entre-eux s'est fait l'interprète de leurs sentiments, dans une courte allocution dont chaque mot venait du coeur. Les vieux ouvriers étaient au premier rang avec leur médaille d'argent et d'or ; bien des yeux étaient humides. C'est que cette fête était une fête sincère entre toutes, où tous les coeurs battaient à l'unisson. Ah ! s'il en était ainsi dans toutes les usines, que la question sociale serait facile à résoudre". Ce n'est plus la République qui se trouve au coeur du débat en 1893, mais la question sociale. Si l'on prend au premier degré le climat de Portieux, il suffirait pour régler cette question de posséder un "bon" patron. Le climat national n'est pas à cette tendance. Le premier mai 1890 est chômé pour la première fois. Les trois huit sont réclamés (8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs). Le premier mai 1891, des heurts sanglants se produisent à Fourmies. En 1892 éclate la grande grève des verriers de Carmaux. Le retentissement national de cette grève vaut à Jaurès de conquérir son siège de député. On comprend, dès lors, l'empressement de Mougin à conseiller à son électorat ouvrier de "ne pas [se] laisser ni guider, ni endoctriner, par ces messieurs des grandes villes". Le député vise les socialistes dont les élus apportent leur soutien aux actions entreprises localement et permettent la diffusion des problèmes sociaux dans la presse et à l'Assemblée. Cependant, pour la première fois, les élections de 1893 font apparaître le socialisme comme une force parlementaire avec une cinquantaine de députés.
X. Mougin se présente à nouveau devant ses électeurs en 1898 et 1902. Son concurrent en 1898 est Louis Théobald Merklen, avocat et suppléant auprès du tribunal civil de Mirecourt, né le premier janvier 1849 à Thann (Alsace). Il est arrivé à Mirecourt, où il a été conseiller municipal de 1892 à 1896, un peu après la guerre. Merklen "qui se présente comme un républicain indépendant est un réactionnaire dont la candidature est patronnée par M. Buffet. Il réunira donc les voix réactionnaires de l'arrondissement et quelques suffrages républicains de Mirecourt, note le préfet 106 . S'affichant "républicain indépendant", Merklen déclare : "je veux que la France soit respectée, qu'on ne tolère pas plus longtemps les complots du Syndicat Dreyfus et les insultes qu'il dirige contre [l'] armée pour l'affaiblir (...). Les conspirateurs sont encore en liberté ; ils continuent au grand jour leur oeuvre scélérate ; ils nous menacent d'un chambardement général. Je demanderai que justice soit faite des coupables, dut-on les arrêter au Sénat, dans les Loges ou à la Synagogue. J'entends que chacun puisse prier Dieu à sa manière, même en Hébreu. Mais je ne suis pas le seul à m'étonner que les derniers venus dans la famille française jouissent de tous les prestiges, occupent trente-cinq préfectures et les plus hauts emplois. Il ne faut pas que soixante-quinze mille israélites fassent la loi à trente-huit millions de Français d'origine" 107 . Merklen qui a créé un journal "le drapeau national" fonde donc essentiellement sa campagne électorale sur des valeurs nationalistes et cléricales. Il sacrifie, comme la grande majorité des milieux catholiques à l'antisémitisme. Antidreyfusard, il voit dans le crime des dreyfusards l'affaiblissement du pays par l'ébranlement de la confiance de la France et des Français dans les chefs de leur armée. Or, mis à part quelques attaques contre Mougin, le candidat Merklen fait fausse route dans la mesure où l'affaire Dreyfus ne joue pratiquement aucun rôle dans la campagne, soit que les députés craignent de manier cette matière explosive, soit qu'elle ne les ait encore pas passionnés et encore moins les électeurs. Au contraire, c'est sur la base des besoins locaux que X. Mougin fait campagne. C'est ainsi qu'il a obtenu des avantages pour la ville de Mirecourt et qu'il espère en obtenir d'autres. Les ventes de bois de l'inspection de Darney qui se faisaient à Epinal se font à Mirecourt. Il a appuyé la demande présentée par la municipalité tendant à l'obtention sur les fonds du parimutuel d'une subvention de 130.000 francs pour les travaux à effectuer à l'hôpital. Il entreprend de nombreuses démarches auprès des ministères compétents pour hâter l'amenée des eaux à Mirecourt. Ces démarches sont couronnées de succès puisqu'un décret du président de la République en date du 19 avril 1898, après avis favorable du Conseil d'Etat du 12 avril, autorise la ville à contracter un emprunt et les travaux peuvent être mis en adjudication. Enfin, quelques jours avant les élections, le député sortant reçoit une lettre du général Billot, ministre de la guerre, qui permet de donner satisfaction à la municipalité à bref délai pour l'installation d'une garnison tant souhaitée. X. Mougin fait également campagne en faveur de l'agriculture dont il a voté toutes les lois protectrices et en faveur des ouvriers "dont il connaît les besoins". Il est réélu au premier tour de scrutin par 9.588 voix contre 4.337 à Merklen 108 .
A nouveau candidat aux élections législatives du 27 avril 1902, X. Mougin a pour adversaire Léon Gautier, industriel à Epinal, conseiller général du canton de Monthureux, gendre de l'ancien député Edouard Bresson qui soutient le directeur de Portieux aux élections de 1889 109 . Outre l'aide de son beau-père et de Boulomié, directeur des Eaux de Vittel, Gautier bénéficie de l'appui de l'éphémère Ligue de la Patrie Française à l'idéologie confuse et plutôt conservatrice, proche de celle des républicains modérés 110 . Un troisième candidat, délégué par le Parti Ouvrier Français, Faches verrier à la verrerie d'Aniche (Nord) entre dans la campagne. S'agit-il de tenter de désolidariser l'électorat verrier de son patron ? Peu politisés, les verriers ne sont pas prêts à se révolter contre l'autorité. Faches obtient des résultats quasi inexistants : six voix. Gautier et Mougin mènent une campagne électorale par le biais de banquets et par le truchement de la presse essentiellement "le Nouvelliste des Vosges" pour le premier ou "l'Avenir Républicain" pour le second 111 . Les termes les plus violents sont employés par la presse réactionnaire à l'égard du directeur de Portieux : "vendu, traître, dreyfusard, franc-maçon, sectaire, collectiviste, brigand cosmopolite...". Le 6 avril 1902, à Mirecourt, X. Mougin rend compte de son mandat et de ses principaux votes qui ont été critiqués, notamment la loi de dessaisissement de la Chambre criminelle de la Cour de cassation considérée comme trop favorable à Dreyfus, en faveur de la Cour toutes Chambres réunies 112 . X. Mougin ne vote pas la loi de dessaisissement, la considérant comme une marque de défiance vis-à-vis de l'autorité judiciaire supérieure du pays. Dans une lettre que publie le Républicain des Vosges le 12 mars 1899, le député explique son comportement vis-à-vis de l'affaire Dreyfus. Il a évité, précise-t-il, de se laisser "enrégimenter par les dreyfusards ou les antidreyfusards" ; il est resté "le fervent ami de l'armée, le fervent ami de la patrie". En conclusion, il livre son sentiment : "si Dreyfus de nouveau jugé est de nouveau coupable, j'en serai d'autant plus satisfait que cette solution sera de nature à ramener le calme dans notre malheureux pays. Si au contraire Dreyfus est reconnu innocent, je serai de ceux qui accepteraient le verdict de l'acquittement, heureux de penser que mon pays donnera, en lui ouvrant les portes du bagne, une preuve éclatante de son grand amour de la justice et de la vérité". Le député ne fait qu'emprunter une voie prudente, surtout après la découverte du "faux Henry" 113 . Outre sa position dans l'affaire Dreyfus, on reproche à X. Mougin de ne pas avoir respecté ses positions antérieures concernant les bouilleurs de cru, les viticulteurs, la liberté scolaire. Le député répond point par point à ce qu'il appelle des "calomnies". Son programme actif porte sur "la question des retraites ouvrières qui, dit-il, devra arriver en tête de l'ordre du jour de la future Chambre et que d'ailleurs il a déjà résolue à la Verrerie de Portieux où un certain nombre d'ouvriers reçoivent des pensions de retraites de 400 à 450 francs, sans compter diverses subventions faites au profit des ouvriers par l'administration de la Verrerie de Portieux" 114 . X. Mougin fait paraître dans le journal l'Avenir Républicain du 17 avril 1902 le texte qu'il a fait parvenir au président du conseil au sujet des retraites ouvrières soumises au parlement. Il s'autorise de vingt-six années consacrées en partie à la direction d'une caisse de secours et de retraite pour proposer plusieurs points à intégrer au nouveau projet. Le député qui appartient au groupe Sarrien, fraction la plus modérée du parti républicain du gouvernement, affirme que s'il est loin de partager les opinions des socialistes, il a néanmoins fait "du bon socialisme" 115 .
Malgré une campagne active menée grâce à l'appui de ses amis politiques qui l'encouragent à lutter car ils voient en lui le seul homme capable de faire obstacle à la réaction, X. Mougin est très largement battu par Gautier. Ce dernier obtient 9.407 voix et le directeur de la verrerie 4.813 voix sur 14.390 suffrages exprimés. C'en est désormais fini de la carrière politique de X. Mougin qui, malade, va également se retirer des affaires. L'Avenir Républicain du 4 mai 1902 parle "d'un vote de surprise, un vote incompréhensible". Le journaliste rappelle que X. Mougin avait obtenu 110.000 francs pour l'agrandissement de l'hospice de Mirecourt et une autre subvention pour celui de Dompaire.
Maire, conseiller général, député durant trois mandats, X. Mougin a eu "une influence réelle dans l'arrondissement. Très estimé de tous et aimé du parti républicain tout entier, très serviable comme directeur de la Verrerie de Portieux, [il] s'est toujours montré l'ami des ouvriers qui le tiennent en très haute estime et des agriculteurs dont il connaît les besoins". C'est du moins ce que prétend une note confidentielle rédigée par la préfecture des Vosges pour les élections de 1898.
Au cours de ces trois mandats, les ouvriers ont toujours été fidèles au patron de la verrerie, en témoigne le score fait lors des dernières élections de 1902 dans le canton de Charmes où il est battu mais beaucoup moins nettement que dans les autres cantons. A Portieux, X. Mougin obtient 424 voix et Gautier 54 voix seulement 116 .
Comme la plupart des maîtres de verreries, le patron occupe des fonctions de maire, de conseiller général, de député qui lui permettent de renforcer son autorité morale sur les ouvriers. Il est le bienfaiteur à qui tout un chacun peut s'adresser comme à un père qui règne sur sa famille.
Le père : Buffet (Louis Joseph), né à Mirecourt en 1818, a représenté les Vosges à l'assemblée nationale de 1871 à 1876. Il a été sénateur inamovible de 1876 à 1898, vice-président du conseil et ministre de l'intérieur de 1875 à 1876. Dictionnaire des parlementaires français sous la direction de Jean Jolly - PUF.
Bresson (Edouard, Victor, Stanislas) est né le 27 juin 1826 à Darney (Vosges). Il est mort le 12 mars 1911 à Monthureux-sur-Saône. Député des Vosges de 1876 à 1889, il reprend par la suite la direction de sa manufacture. Dictionnaire des parlementaires français.
13 M 45 : élections législatives du 22 septembre 1889 ; A.D.V.
Les élections de septembre - octobre 1889 se font pour ou contre la République parlementaire et laïque. Celle-ci l'emporte largement auprès de la masse des électeurs qui envoient à la Chambre 350 députés républicains (dont 7 socialistes, 162 conservateurs et 58 boulangistes).
Il s'agit du vote du tarif douanier protecteur, dit "loi Méline", le 11 janvier 1892, qui satisfait la plupart des producteurs français.
13 M 48 : élections législatives du 20 août 1893 ; A.D.V.
La droite conservatrice est la grande vaincue de ces élections d'août 1893 : avec 56 députés, elle perd la moitié de ses représentants. La République n'est plus en question, de nombreuses circonscriptions restent sans candidats ; les abstentions sont donc nombreuses. Les conseils d'apaisement de Rome ouvrent la République aux ralliés dont les voix vont au second tour à des républicains modérés. Ces derniers rassemblent 300 députés, ce qui fait une majorité, mais divisée entre partisans d'une concentration républicaine et partisans d'un rapprochement avec les ralliés.
13 M 50 : élections législatives de mai 1898 ; A.D.V.
13 M 50 : élections législatives de mai 1898 ; A.D.V.
A la suite des élections de mai 1898, les républicains modérés forment le groupe le plus important (environ 250) mais perdent la majorité absolue. La lutte a été plus âpre qu'en 1893. Des modérés ont trouvé devant eux un adversaire conservateur ou nationaliste.
Gautier (Léon Georges) né le 8 juillet 1848 à Paris est décédé à Epinal le 10 juin 1933. Député des Vosges de 1902 à 1906, inscrit au groupe des progressistes à la Chambre. Il fut également conseiller général. Au premier tour des élections générales de 1906, il est battu pour la députation par Mathis par 7.596 voix contre 7.238 voix.
Dictionnaire des parlementaires français sous la direction de Jean Jolly - PUF.
Boulomié écrit - 13 M 51 : élections du 27 avril 1902 ; A.D.V. - :
"Aux urnes donc pour M. Gautier !
Aux urnes pour le salut de la France !
Pour la sauvegarde de sa vaillante armée,
pour la sécurité des finances, pour le relèvement
de notre agriculture, pour la paix sociale et religieuse !
La journée du 27 avril sera (...) un jour de mort ou de résurrection".
La première réunion de la Ligue de la Patrie Française se tient en janvier 1899. Barrès apporte son appui. Les deux premiers présidents en sont François Coppée et Jules Lemaître. Elle périclite en 1902.
Voir en annexe pp 627-629 : refrains satiriques concernant Gautier publiés par l'Avenir Républicain du 27 avril 1902, JPL 1001 ; A.D.V.
Discours de Mougin du 6 avril 1902 à Mirecourt : Avenir Républicain du 13 avril 1902, JPL 1001 ; A.D.V.
Voir en annexe pp 630-638.
Le 3 juin 1899, la Cour de Cassation, à l'unanimité, casse le jugement condamnant Dreyfus ; une faible majorité, jugeant sur le fond, attribue le fameux bordereau à Esterhazy et refuse la légende des aveux. Le ministère demande alors la mise en accusation du général Mercier - ministre de la guerre depuis 1894 - pour forfaiture.
13 M 51 : élections du 27 avril 1902 ; A.D.V.
Les élections de 1902 se font, au niveau national, sur le thème de la lutte anticléricale.
A Portieux, Gautier obtient 54 voix et Mougin 424 - 13 M 51 ; A.D.V.
Il est vrai que ce n'est qu'en 1912 seulement que sont assurées les conditions d'un véritable vote secret : l'électeur doit désormais passer dans l'isoloir et placer son bulletin dans une enveloppe.
37 J 22 ; A.D.M.