4.4 - Le rapport aux ouvriers

Le directeur apporte aide aux ouvriers, les récompense, les encourage, les rappelle à l'ordre, les menace parfois, se montre indulgent, sanctionne. Illustrons ces divers comportements patronaux.

Pour sortir d'embarras le magasinier de l'usine, c'est en tant que maire de la commune que le directeur intervient en 1909. Ce magasinier est arrêté alors qu'il transporte quatre litres d'eau-de-vie. Les agents, prétendant que l'eau-de-vie ne répondant pas à un approvisionnement pour consommation personnelle, le verbalisent et lui passent les menottes. Dans la mesure où la réputation de l'usine pourrait en souffrir, A. Richard n'accepte pas qu'un ouvrier soit ainsi traité. Il s'adresse par conséquent au Procureur de la République pour argumenter en faveur du magasinier et se plaindre du comportement des agents qui pouvaient se dispenser de lui passer les menottes tel un délinquant. Ne trouvant pas l'aide escomptée auprès du Procureur, il prend contact avec la direction générale des contributions indirectes au ministère des finances par le biais du député Mathis. Le Conseiller d'Etat, directeur général, donne raison au maire. Le magasinier lavé de tout soupçon, les agents admonestés, il est décidé de supprimer l'amende exigée dont la somme, 220 francs, répondait bien à l'importance de la fraude. Cette suppression vient dédommager le contrevenant des épreuves successives auxquelles il a été soumis 138 .

Dans le but encore d'assurer à son personnel sa protection paternelle, le directeur écrit à son représentant à Paris J.B. Mansuy pour lui demander de régler un problème en faveur de l'ouvrier K. Ce dernier a avancé 265 francs à un office immobilier de façon à obtenir un prêt pour construire une étable destinée à abriter les cinq vaches qu'il possède. La somme du prêt lui est refusée mais K n'arrive pas à se faire rembourser l'avance. Le directeur envisage de porter plainte dans le cas où l'on obtiendrait pas satisfaction 139 .

Le directeur s'inquiète de la santé du personnel fidèle. En mars 1913, il écrit à Auguste Mermans hospitalisé à Nancy pour lui promettre un autre poste moins préjudiciable à sa santé. Le médecin qui soigne ce verrier atteint de chroïdite aux deux yeux estime que le travail au feu auquel il a été soumis n'est pas étranger à l'apparition de ses lésions oculaires. Mermans doit, selon l'avis médical, changer de travail, sinon il ne pourrait plus ni lire, ni écrire 140 . Le directeur confie alors à "son cher Auguste" un poste au magasin. Durant la guerre, Auguste Mermans reprend du travail à la halle quittant ce que le directeur appelle "son petit poste de repos au magasin". Une gratification de 1000 francs vient le récompenser 141 .

C'est au directeur de la compagnie des chemins de fer de l'Est que s'adresse le patron de la verrerie en décembre 1913. Il s'agit d'obtenir pour l'institutrice Chabot demi-tarif sur le trajet de Metz afin qu'elle bénéficie, une fois par mois, des soins d'un spécialiste. Tout en rendant service, le directeur souhaite obtenir pour le personnel de l'école privée les mêmes avantages que ceux consentis aux instituteurs publics.

En dehors du régime traditionnel de remise de décorations, le directeur se montre intéressé par toute création de prix ou de décorations afin de présenter ses ouvriers particulièrement méritants. Ayant lu dans le bulletin de la chambre syndicale des maîtres-verriers de 1912 une note intitulée "don à un vieil ouvrier", Adrien Richard s'adresse à Houdaille vice-président de cet organisme. Immédiatement, il présente la candidature d'Eusèbe Mansuy, né en 1843, entré à l'usine en 1855 et "qui a fait de ses deux fils des verriers comme lui" 142 .

Lors de l'assemblée générale de la chambre syndicale des maîtres-verriers du 5 avril 1913, Léon Appert (Clichy) rappelle que la cristallerie de Baccarat a créé un leg important destiné à recompenser les ouvriers méritants et demande qu'on lui fasse connaître les noms de ces ouvriers dignes d'un secours 143 . Adrien Richard, voulant mettre en exergue la fidélité à l'usine, utilise cette possibilité offerte par Baccarat pour poser la candidature d'Antoine Serrière auprès du président de la fondation. Ce verrier ouvreur de grand place né en 1864, entré à la verrerie en avril 1875, totalise ainsi lors de la demande 49 années de service et va accéder à la retraite le 1er avril 1925 144 ; de surcroît, le directeur explique que l'ouvrier a fait de son unique fils un verrier qui, après avoir réalisé toute la campagne comme sous-officier des chasseurs à pied, a refusé de prendre les galons d'adjudant préférant reprendre la canne des verriers 145 .

Des périodes de pénurie de main-d'oeuvre comme c'est le cas entre 1919 et 1930 nécessitent des initiatives nombreuses de la part du patron. Pour assurer la pérennité de l'entreprise, on ne saurait, par exemple, trop encourager les grandes familles. Le patron qui lit dans un numéro du Petit Parisien d'août 1919 que la famille Cognacq a créé 90 dotations intéressantes pour des familles d'au moins neuf enfants vivants et du même lit, pose la candidature de Ferdinand Hatton, tailleur sur verre 146 , né en 1903 et entré à l'usine en 1916.

Le directeur donne lui-même l'exemple de la générosité, conjuguée à la vigilance vis-à-vis du personnel en difficulté. L'Avenir Républicain du 19 août 1906 mentionne qu'à l'occasion de la mort de Jules Richard, Adrien Richard directeur de la verrerie de Portieux a fait les dons suivants : 250 francs aux pauvres de la commune ; 1000 francs à la caisse de secours et de retraite des ouvriers. Monsieur et Madame Richard instituent, en outre, une rente de 300 francs à partager chaque année entre l'ouvrier qui ayant eu des déboires dans l'année, sera désigné par ses camarades comme le plus méritant, et celle des ouvrières qui ayant également subi les atteintes de l'adversité sera désignée comme la plus méritante.

Lorsque les circonstances l'exigent, le directeur encourage par de bonnes paroles un ouvrier pour l'aider à tenir son poste. L'employé Folcher qui est compteur s'estime incapable de tenir son poste et demande qu'on le change d'affectation. Le directeur le persuade de renoncer à ce désir et l'encourage car "des agents infiniment moins intelligents et moins instruits" ont su remplir convenablement la tâche. Afin de l'aider, il propose de le décharger momentanément de la préparation des commandes des maisons de Toulouse Charlionnais et Panassier 147 . Toutes ces interventions en faveur du personnel sont connotées d'intérêts particuliers pour l'usine ; jouer sur les ressorts psycho-affectifs de l'individu ne peut que susciter l'émulation.

Les relations humaines sont bâties sur des contrastes. Le directeur profère des menaces et prononce également des sanctions. C'est au chef de fabrication qu'il s'adresse en 1912 à propos de ce qu'il nomme "le laisser-aller à la halle". Adrien Richard remarque que la production des fours diminue "d'une façon effrayante". Le service du chef de fabrication attribue cette diminution à la pénurie d'ouvriers, ce que conteste le directeur. Selon lui, le désordre constaté provient de l'absence du chef de fabrication dans la halle et d'un employé par four. Le chef de fabrication se replie dans son bureau et l'employé fait uniquement acte de présence. D'autres causes expliquent la baisse de production : les quantités de verre gâchées parce que les quatrièmes ou les cueilleurs ont au bout de leur canne ou de leurs ferrets de la matière en disproportion avec la pièce à produire ou le morceau de verre à présenter ; le verre mauvais sur tel ou tel pot alors qu'on continue l'article qui devient invendable ; les arches insurveillées qui rendent de la marchandise ou pettée ou pliée par ferrasses entières. Adrien Richard fait appel au sens du devoir de ses ouvriers en citant la qualité du travail d'autrefois, lorsque le service de la halle s'acharnait à faire produire à chaque four le maximum de ce qu'il pouvait rendre. Le chef de fabrication, regrette-t-il, poussait les jeunes verriers à apprendre leur métier alors qu'il constate désormais que la nonchalance est passée du personnel employé au personnel ouvrier. Il s'étonne d'autant plus que le chef de fabrication est intéressé aux bénéfices et que les gratifications distribuées aux employés ont décuplé. La prospérité de l'établissement, ajoute-t-il, se trouve sur le point de décroître et il poursuit par des conseils : il faut comme autrefois minutie et surveillance dans les détails et esprit de suite. Il invite le chef de fabrication à surveiller énergiquement l'exécution des ordres. En cas d'absence de redressement de la situation "l'affaire sera portée sur un autre terrain". En clair, la menace se précise, une sanction pourrait être appliquée par le conseil d'administration 148 .

Perdre la confiance du directeur pour un verrier à qui il s'adresse en le nommant "ami de vieille date" s'apparente à une sanction. C'est ce qui arrive à J.B. Bichet, né en avril 1866 et entré à l'usine en novembre 1875, qui se plaint de son salaire. Le directeur lui rétorque, après lui avoir prouvé qu'il gagne correctement sa vie, "[qu'il] est fondé à ne plus avoir confiance en lui à l'avenir" 149 .

La menace de renvoi pèse lourdement sur le fauteur de troubles. L'aventure survenue à Laurent Constantin alors qu'Adrien Richard est ingénieur révèle l'ambiance pouvant régner à l'usine 150 . "Malgré le réglement, cet ouvrier avait persisté à vouloir mettre son pot de camp sur la conduite du calorifère. En faisant sa ronde habituelle le matin, l'employé surveillant M. Rondeau aperçoit le récipient en question et demande aux ouvriers présents quel en était le propriétaire ; comme personne ne voulait rien dire, l'employé prend le pot de camp en disant : je vais l'emporter au bureau, celui à qui il appartient viendra le réclamer. Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Au bout de cinq minutes, Laurent arrive au bureau et, la menace à la bouche, s'adresse à Monsieur Rondeau : voulez-vous me donner mon pot de camp tout de suite !!! L'employé très calme lui répond : si j'ai pris ton pot de camp, c'était pour en connaître le propriétaire ; maintenant je vais te le donner. Monsieur Richard qui avait été averti de cette scène regrettable arrive le lendemain au bureau de la taillerie et fait venir Laurent ; celui-ci qui est toujours dans les mêmes dispositions ajoute même ces paroles en touchant le bras de Monsieur Richard, moi présent je vous aurais défié d'emporter mon pot de camp. Le mardi suivant, Monsieur Mougin fait appeler Laurent au bureau et lui dit qu'en présence de faits d'indiscipline dont il s'est déjà rendu coupable à plusieurs reprises, il est averti qu'à la première récidive il sera renvoyé impitoyablement de l'usine".

Se trouver privé de son emploi entraîne, par répercussion, des sanctions à l'égard de toute la famille qui perd le bénéfice du logement. Dès lors, on saisit pourquoi le personnel se montre relativement discipliné. Lorsque le mari rencontre des difficultés, il arrive que sa femme intervienne auprès du directeur afin de quémander une mesure de clémence. Le directeur répond à madame B dont le mari vient d'être congédié pour insolence envers l'autorité du patron. Adrien Richard surseoit à ce renvoi prétextant des services rendus par la famille. Congédié par le conseil d'administration, l'ouvrier T n'a pas la chance du précédent. Il perd le droit au logement. Sa femme qui intervient s'entend répondre qu'elle n'est effectivement pour rien dans les problèmes créés par son mari qui devrait retrouver du travail dans les environs. Le directeur se dit prêt à assurer à l'épouse un poste d'essuyeuse dès que possible. Dans un premier temps, le logement est conservé durant un mois puis, dans un deuxième temps, se ravisant, Adrien Richard propose toute la durée de la saison hivernale car madame T à la responsabilité d'un jeune enfant 151 .

Le directeur qui sanctionne le verrier agit également envers la personne privée dans la mesure où la vie de l'usine et celle de la cité se confondent. Cette quasi-absence de limites s'explique aussi par le fait que l'on ne sait jamais exactement si l'intervention du directeur ne se double pas de celle du maire puisqu'il cumule les deux fonctions. En témoigne la mésaventure survenue à l'ouvrier R. Nous sommes en 1910, le directeur demande à R, père de huit enfants, de quitter son logement pour le 15 du mois suivant et de rembourser une somme de 122,50 francs. Les éléments qui motivent l'exclusion de R de la verrerie et du logement sont ses différends avec les familles S et C. Pour sa défense, qu'il sait illusoire, R avance que S a déjà eu des problèmes de voisinage avec d'autres locataires et qu'il n'est pas honnête envers le patron : "(...) S a demandé de déloger de son dernier logement les preuves sont là qu'il était en désaccord avec tout le monde des bâtiments voisins et je peux vous dire qu'ils ont fait le signe de croix quand il sont partis. Monsieur Richard vous prenez les S pour de très braves gens et moi je peux vous donner la preuve qu'il n'est qu'un tricheur de sa besogne qu'il se fait payer 14 heures par jour et qu'il n'en fait même pas 12 et je ne suis pas le seul qui peut vous le dire (...)". Quant à C, il s'agit d'une vengeance : "(...) si monsieur C cherche à se venger ça ne m'étonne pas beaucoup c'est parce que je lui ai fait payer une poule que son chien m'a tuée dans le courant de l'année (...)". Ces décisions du directeur sont vécues comme une profonde injustice. R se sent comme écrasé, ne pouvant réellement argumenter. Dans une situation désespérée, il s'adresse alors au patron en termes directs : "comme j'ai été surpris de votre dernière lettre monsieur Richard que vous m'avez envoyée sans savoir pour quels motifs je suis forcé de vous écouter parce que c'est vous le patron et monsieur le maire de la commune" et R ajoute dans un second courrier : "monsieur il ne faut pas vous imaginer que vous resterez toujours directeur et maire de la commune il arrivera un jour que vous vous trouverez jugé par une autre justice ce sera celle là la plus juste et elle jugera pauvres comme riches et si jamais il vous arrive un malheur vous direz je le mérite (...)." Le fait d'être désavoué par le directeur le désigne comme coupable aux yeux de la population : "(...) moi je passe pour un assassin que je porte un révolver jour et nuit sur moi et que je les guette jour et nuit et mon fils on ne l'appelle pas autre qu'assassin. (...)." 152 . L'aventure de R éclaire également les relations qu'entretiennent entre eux les verriers soumis à un enfermement géographique et social.

Le directeur prive l'ouvrier de son travail et, conséquence directe, l'expulse de son logement. A la suite de conflits interpersonnels, il lui arrive parfois de prendre des mesures d'interdiction de séjour à la Verrerie ; c'est ce qui survient à la fille du couple T qui se trouve au centre d'un différend. Madame T écrit au directeur pour se plaindre avec vigueur : "(...) Monsieur Richard vous défendez à mon enfant de venir chez moi-même, au pays attendu qu'elle n'a pas fait de mal à l'usine ce n'est pas la peine d'être un enfant natif du pays l'on ne fait pas cela à un criminel". Cette mère qui n'accepte pas le lien que le directeur établit entre l'extérieur et le travail à l'usine écrit encore : "s'il y a eu scandale c'est V qui en est le promoteur et l'auteur en venant sur notre porte nous outrager, 400 personnes vous le témoigneront il faut que V ait un bien grand bras à l'usine pour savoir vanter qu'il lui ferait interdire l'entrée à l'usine il est presque autant que le directeur il n'y a que les voleurs et les menteurs qui sont bien vus." 153 . Cette interdiction de séjour de la fille T prouve combien la sphère du domaine public, du travail, et celle du domaine privé se recouvrent totalement. L'ouvrier se trouve ainsi constamment sous tutelle patronale.

Les anecdotes ne manquent pas qui décrivent le contexte de vie. Le Mémorial des Vosges rapporte dans son édition du 17 avril 1914 que Paul Charraux, jardinier du directeur, se rendait à la fontaine lorsque le nommé A.G., verrier, s'approche de lui et le renverse après l'avoir roué de coups de poing. S'agit-il d'un règlement de comptes personnel ou d'une vengeance envers le directeur par l'agression de son jardinier ? Point de rassemblement, la fontaine est le lieu où l'on règle ses différends par la parole mais également par la bagarre.

Si les relations entre ouvriers et directeur apparaissent conflictuelles, ce qui n'est pas anormal dans une usine qui accueille quelque mille ouvriers, c'est le plus souvent sur des bases de déférence et de reconnaissance que se construisent ces relations. Ainsi, selon une tradition établie de longue date, les ouvriers remettent aux directeur et sous-directeur une gerbe de fleurs à l'occasion de leur fête. Le Républicain des Vosges du 10 décembre 1899 présente la cérémonie qui s'est déroulée le 2 : "(...) C'était la fête de M. Mougin, et de nombreuses personnes avaient tenu à accompagner les trois sociétés musicales pour lui marquer leur vénération et lui dire merci de la sollicitude que journellement il met avec tact et bonté, au service de l'amélioration de la vie sociale de ses ouvriers. Après la remise des bouquets, les sociétés ont exécuté plusieurs choeurs très bien rendus (...). Ce n'était point un spectacle banal de considérer ce chef d'industrie, dominant de sa haute stature la masse de ses ouvriers, et écoutant l'âme heureuse du sentiment du devoir accompli : "Esclaves étaient nos pères !". A la Verrerie, l'on est encore sous l'impression de la satisfaction que laisse une bonne action et l'on se félicite des liens de solidarité qu'elle a permis de constater, une fois de plus, entre tous les citoyens qui, par la tête ou par le bras, collaborent à une industrie dont la renommée en France et à l'étranger est une véritable marque de la puissance de notre industrie nationale". Le même journal retrace la cérémonie qui a lieu en avril 1900 à l'accasion de la fête du sous-directeur Jules Richard 154 . Des fleurs lui sont offertes en présence des sociétés musicales et de la compagnie des sapeurs-pompiers. Le journal exprime "l'estime qu'ont [à la verrerie] les ouvriers pour leurs chefs et la parfaite harmonie, la fraternité existant en la grande famille qui est celle des verriers." La tradition se maintient par la suite en faveur du directeur Adrien Richard et du sous-directeur A. Lacombe. D'autres événements favorisent la démonstration du sentiment de reconnaissance envers le patron. Ainsi, le 17 avril 1925 à 18 heures 15, les sociétés rassemblées vont offrir bouquet et félicitations au directeur à l'occasion de son élévation au grade d'Officier dans l'ordre de la Légion d'Honneur 155 .

En maintes occasions les ouvriers peuvent prouver au directeur l'attachement à sa personne et au-delà à la verrerie. Le patron, dans ses discours ou dans les réponses à des paroles d'ouvriers ne manque jamais d'exalter le sentiment d'appartenance à l'usine ; les voeux à l'occasion de la nouvelle année sont particulièrement propices à ce genre d'exercice. Le 31 décembre 1911, A. Richard présente ses voeux aux sociétés musicales et sportives ainsi qu'aux sapeurs-pompiers. Aux côtés des jeunes se trouvent les anciens travailleurs, ceux sur lesquels il convient de prendre modèle. Ecoutons le directeur : "(...) aujourd'hui mes très chers amis mon plaisir et ma joie sont doublés par la présence de nos vieux collaborateurs qui viennent de recevoir la médaille d'honneur du travail. Merci à vous tous d'avoir accepté notre invitation et d'être venus nous prouver que vous nous restiez attachés non plus par le devoir et le travail, mais par les liens plus sacrés du souvenir et de la loyale et sincère amitié. Si vous êtes venus vous asseoir à côté de nos jeunes gens, c'est que vous avez voulu marquer aussi que vous étiez toujours de leur grande famille, la nôtre ; et, s'ils sont tous comme moi, profondément honorés de votre présence, c'est qu'ils entendent vous prendre pour modèles et suivre le noble exemple que vous leur avez montré. Oui, mes amis, les jeunes, c'est l'exemple des anciens que vous voudrez suivre ; regardez la médaille d'honneur qui tricolore leur poitrine de vieux et dévoués travailleurs, regardez leur ruban : il est rouge, blanc et bleu, peut-il être plus beau ?". Le directeur développe ensuite les valeurs symboliques qu'il attribue aux couleurs du ruban nous livrant ainsi ce qu'il attend de l'ouvrier : "(...) rouge, l'image du sacrifice, parce que celui qui me porte s'est dévoué corps et âme à son usine à qui généreusement il a donné tout son travail, toute la sueur de ses bras, tout son cerveau ; (...) blanc, symbole de l'honneur parce que celui qui me porte a servi avec loyauté, honneur et fidélité, parce que son âme est droite, loyale et fière ; (...) bleu emblême de l'idéal parce que celui qui me porte a rêvé dès sa plus tendre enfance d'être l'ouvrier consciencieux, fier de son travail, qui soulève le respect de tous sur son passage.". Le directeur termine son discours en invitant les jeunes à suivre l'exemple des anciens : "(...) vous serez dignes de vos anciens mes chers amis vous qui êtes l'orgueil de vos familles, vous qui êtes pour nous l'espérance !". Il ne saurait y avoir discours plus explicite quant à la voie à suivre pour les jeunes. Dès lors, celui qui s'écarte de ce modèle manque à son devoir.

En septembre 1919, l'ouvrier Keltz au nom du personnel remercie le directeur et le conseil d'administration à l'occasion d'une augmentation de salaire 156 . Le passage terminant le discours doit ravir A. Richard qui vient de reprendre son service après une longue mobilisation : "(...) nous vous apportons monsieur Richard, l'assurance que nos efforts n'auront pas été vains. Comme par le passé, nous resterons à vos côtés, fidèles et courageux dans le travail afin que notre chère usine reprenne au plus vite l'essor que la guerre lui a momentanément ravi. Nous sommes fiers d'appartenir à la verrerie de Portieux !". Dans sa réponse, A. Richard reprend et oriente ce sentiment d'appartenance : "(...) vous êtes fiers, dites-vous d'appartenir à la verrerie de Portieux, moi je suis très fier de vous commander et c'est dans cet esprit que je suis sûr d'arriver avec votre fidèle collaboration à rendre à notre vieille verrerie la prospérité d'autrefois ; cette prospérité nous la rendrons plus grande encore par notre travail plus opiniâtre. (...)" 157 .

A la verrerie, les relations patrons ouvriers ne diffèrent guère de ce qu'elles sont dans d'autres industries comme le textile. L'attachement à l'usine et au patron marque la règle. Les problèmes qui résultent d'un conflit quelconque, s'ils sont suivis de sanctions, apparaissent nettement plus pénalisants à la Verrerie dans la mesure où le logement et d'autres avantages comme la participation aux bénéfices peuvent être remis en cause. Tout le système d'enracinement à l'usine a pour objectif de convaincre le personnel qu'il a cause liée avec ses supérieurs hiérarchiques.

Au-delà de ce qui caractérise un patron de verrerie à cette époque, retenons de la personnalité du directeur A. Richard ses capacités intellectuelles qui lui permettent de développer compétence et combativité. Ces capacités intellectuelles et son engagement favorisent également son insertion dans le monde politique et dans le monde des affaires à titre personnel, mais la verrerie en tire aussi bénéfices. L'homme possède un caractère très marqué qui fait qu'il s'accommode moins que son prédécesseur de compromis. Des anecdotes révèlent un caractère intègre ; c'est ainsi qu'un grossiste, client habituel de la verrerie, qui lui fait parvenir un cadeau se voit opposer un refus : "qu'il me soit permis de faire appel à votre amabilité, en vous demandant de vouloir bien, à l'avenir, ne faire aucun envoi de ce genre, pas plus à moi qu'à notre gérant de coopérative". Il rappelle à son interlocuteur la notion de contrat qui les lie : "nos relations d'affaires sont basées sur une mutuelle confiance et sur une estime réciproque" 158 .

A la déclaration de guerre en 1914, lorsque le directeur est appelé sous les drapeaux comme capitaine d'artillerie territorial, il prie A. Lacombe le directeur de le remplacer et, par un geste volontaire, lui abandonne son salaire fixe. Le conseil d'administration, considérant son sacrifice, procède après la guerre à un rappel d'appointements.

Notes
138.

Courriers de A. Richard du 1er février 1909 et du directeur des contributions du 3 février 1909.

139.

53 J 714 - 21 mars 1914 ; A.D.V.

140.

53 J 714 - 4 mars 1913 ; A.D.V. et lettre du docteur Apt du 24 mars 1913 ; A.P.

141.

53 J 714 - 20 mars 1919 - proposition de A. Richard au C.A. ; A.D.V. Auguste Mermans né le 11 mars 1877 est entré à la verrerie le 11 avril 1891.

142.

53 J 714 - 8 juin 1912 ; A.D.V. - Eusèbe Mansuy prend sa retraite le 1er juillet 1911 après 56 ans de service.

143.

Bulletin de la Chambre syndicale des maîtres-verriers. Avril 1913 ; A.P.

144.

Alors que le directeur annonce 51 ans de service, Antoine Serrière n'en compte que 49.

145.

53 J 714 - novembre 1924 ; A.D.V.

146.

53 J 714 - 8 août 1919 ; A.D.V.

147.

53 J 714 - 14 mai 1913 ; A.D.V.
Paul Folcher prépare les commandes, c'est la fonction du compteur. Né en 1883, entré à l'usine en 1907, mobilisé le 2 août 1914, il est mort pour la France le 10 octobre 1914.

148.

53 J 714 - juin 1912 ; A.D.V.

149.

53 J 714 - novembre 1919 ; A.D.V.

150.

Laurent Constantin entré à l'usine en septembre 1876 exerce la fonction de tailleur.

151.

53 J 714 - juillet 1913 ; A.D.V.

152.

Lettres d'ouvriers : 53 J 809 ; A.D.V.
L'orthographe et les temps ont été rétablis.

153.

Lettre non datée ; A.P.

154.

L'orthographe a été rétablie.

155.

Républicain des Vosges : 15 avril 1900.80 - 53 J 10 - registre des travaux ; A.D.V.

156.

Auguste Keltz, verrier né en 1868, entré à l'usine en 1885 prend sa retraite en 1926. Il lit son discours le 13 septembre 1919.

157.

Discours écrit de A. Richard en réponse à Keltz ; A.P.

158.

53 J 714 - avril 1924 ; A.D.V.