CHAPITRE IV : LES ASPECTS TECHNIQUES ET LES INNOVATIONS

1 - L'espace de l'usine

Les représentations successives de l'usine montrent que sa très rapide croissance entre 1870 et 1914 s'effectue à l'intérieur de l'espace primitivement occupé (Fig. 15). Cette densification de l'espace industriel ne peut s'expliquer par la recherche d'une économie de déplacements puisque les verres parcourent jusqu'à deux kilomètres, avec des risques importants de casse, avant d'arriver au lieu de stockage. La position des ateliers sur le terrain ne semble pas avoir une importance capitale. Ce qui compte, c'est la situation de tel ou tel élément par rapport à une hiérarchie interne. L'implantation de nouveaux bâtiments est réglée par deux éléments qui structurent l'espace : la voie ferrée d'une part et le ruisseau Mori d'autre part. Enfin, l'habitat qui doit se trouver à proximité de l'usine pour des raisons fonctionnelles limite l'extension possible de cette dernière. Les positions respectives et la nature des ateliers ou autres bâtiments ne sont pas immuables. Ainsi en 1900, la salle de théâtre est transformée, en fonction des besoins, en atelier de gravure à la roue, atelier de photogravure, atelier de gravure sur acier 212 . Dans un temps où l'usine fonctionne péniblement avec deux fours, on installe la scierie dans la halle du four n° 7. L'usine comporte un certain nombre de structures spatiales caractéristiques : place, passerelle, placette, rue, grand tour. La place est le lieu de concentration de tous les passages, le lieu d'accès aux ateliers, aux magasins, aux bureaux. C'est, comme le montrent les photographies de l'usine, l'endroit de vie par excellence. Centre de la verrerie, on peut la comparer à la place du village (Fig. 16 - 17). Le principal accès aux fours est la passerelle. Tous les verriers l'empruntent ainsi que les verres qui circulent des ateliers de travail à chaud à ceux du travail à froid. La passerelle longe le bâtiment des terminaisons qui présente une longue façade monotone (Fig. 18). La placette, située entre le bâtiment des compositions et celui de la halle, ne connaît pas une telle circulation. Un peu à l'écart de la verrerie, seuls les chariots des compositions l'empruntent. Un ensemble de façades monumentales et symétriques rythme cette placette. Le "Grand tour" est un chemin qui relie les parties Est et Ouest du village, le long du ruisseau Mori.

Ce chemin qui passe sous la passerelle de l'usine est emprunté par les écoliers. Les rues longent les façades des bâtiments. "Les modes de construction des bâtiments témoignent de l'histoire de la verrerie, de la place de chaque activité dans le processus de fabrication, ainsi que de l'évolution du travail et de son inscription dans l'espace" 213 . Ce sont les besoins de la production qui, au fil des ans, ont guidé adjonctions et transformations successives des bâtiments. "Chaque époque a laissé ses signes, en une série de styles qui se superposent, et que met en évidence l'analyse architecturale des bâtiments. La volumétrie, la composition des façades, le système constructif constituent une série de critères dont la combinaison permet d'identifier trois styles principaux". C'est ainsi que V. Débisschop et A. Grattau identifient trois styles principaux qu'elles nomment : "domestique, monumental et industriel" (Fig. 19 - 20 - 21).

Le style "domestique" : "caractérise tous les bâtiments dont l'architecture fait référence à celle des maisons d'habitation, rurales ou urbaines, par certains éléments morphologiques ou décoratifs utilisés".

Le style "monumental" : "caractérise les bâtiments mis en scène par une architecture ornementée ou composée".

Le style "industriel" : "caractérise les bâtiments dont la destination à usage industriel est signifié par des éléments spécifiques de la morphologie industrielle".

Pour ce qui concerne la volumétrie , les deux auteurs précisent que dans l'ensemble, les constructions présentent des volumes "d'une grande homogénéité" due à la régularité des proportions (rapport hauteur / largeur constant), au rythme régulier des toitures de même pente. Elles distinguent toutefois plusieurs types de volumes : les "gros bâtiments" de la halle et des terminaisons ; les "petits bâtiments" constitués par l'adjonction horizontale de volumes simples : les stocks, l'ancienne taillerie. Elles remarquent enfin quelques éléments particuliers : les "portes à faux".

La plupart des bâtiments sont construits en briques et recouverts de tuiles. Etudiant les façades, V.D. et A.G. constatent que celles-ci sont principalement composées de façon classique : "soit globalement pour l'ensemble des bâtiments ; soit séparément pour chaque travée quand le bâtiment se constitue d'une addition horizontale de ces éléments".. Des transformations ont parfois bouleversé l'ordonnancement de ces façades. V.D. et A.G. notent que la verrerie comprend un très petit nombre de types d'ouvertures différents, "ce qui assure une grande homogénéité à l'ensemble des façades" et que les éléments constants sont : "les compositions à dominante verticale, les courbes, la modénature des encadrements, la finesse des résilles" (Fig. 22). L'unité de base des fenêtres est la vitre à petits carreaux, soulignée d'épaisses menuiseries métalliques. Des ruptures de rythme ont été introduites par suite de modifications ultérieures des fenêtres.

Figure 16 : La place : cour intérieure de l'usine - lieu de vie
Figure 16 : La place : cour intérieure de l'usine - lieu de vie
Figure 21 : le style industriel
Figure 21 : le style industriel
Figure 21 : le style industriel
Figure 21 : le style industriel

L'architecture extérieure des bâtiments ne doit pas faire oublier qu'il faut simultanément analyser "l'enveloppe extérieure et l'activité contenue à l'intérieur". L'histoire de chaque bâtiment, de ses activités, de l'évolution des modes d'organisation du travail détermine sa morphologie.

Reprenons de l'ouvrage de V.D. et A.G. les descriptions suivantes :

  • "la halle contient le coeur de la production : les fours (...). L'intérieur de la halle est un espace industriel qui semble très archaïque (...) tandis qu'à l'extérieur, tous ces éléments contribuent à renforcer le caractère de monumentalité".
  • "le bâtiment de terminaisons est une ancienne halle transformée. Le travail dans l'atelier a été rationalisé et l'espace intérieur réaménagé (...). L'espace intérieur est typiquement marqué par le taylorisme : chaîne, postes de travail, séparés les uns des autres par des stocks. La morphologie extérieure traduit cette banalisation de l'espace intérieur".
  • "le bâtiment des sheds, dont la structure tramée constituée d'éléments répétitifs standards que l'on peut additionner à l'infini a été inventée en 1840, est l'élément symbolique de l'industrie du XIXe siècle" 214 (fig. 23).
  • "les bureaux de la direction : c'est en quelque sorte la maison du directeur qui garde l'entrée de l'usine. La distribution intérieure correspond bien à la morphologie extérieure : petite pièce alignée le long d'un couloir central. Toutefois, le volume intérieur est agrandi au rez-de-chaussée car les bureaux sont vitrés".
  • "les autres bâtiments : la mairie, la poterie, les stocks ne présentent pas de correspondance immédiate entre l'intérieur et l'extérieur. Cela est particulièrement net pour le bâtiment des stocks, où derrière la façade fractionnée en petites unités, on trouve en fait de vastes espaces. La "cour vitrée" se dissimule à l'intérieur du bâtiment, elle a été construite après coup pour réunir les deux bâtiments initiaux en un seul bloc". Le bâti industriel ne connaît guère d'évolution après la première guerre mondiale. On procède à quelques aménagements et installations. Au cours de l'exercice 1918-1919, la salle des accumulateurs est surélevée avec charpente en bois et couverture en tuiles. Au premier janvier 1920 fonctionne la scierie qui est dans la halle du four n° 7. Sous l'effet de la crise, la scierie doit être liquidée car, en 1932, elle ne travaille plus que pour débiter le bois nécessaire à la verrerie. On envisage de congédier le directeur de la scierie avec un préavis de six mois. Le conseil d'administration considérant que cette scierie cause une perte de 300 francs par mois et qu'elle est mal placée pour acheter du bois, propose de la liquider définitivement en 1936. Au cours de l'année 1920 on aménage l'atelier de chaudronnerie et en 1930, le conseil d'administration demande au directeur de procéder à l'étude de l'installation d'un atelier de cartonnerie. On fait l'acquisition d'une machine à fabriquer les boîtes en carton plutôt que de les acheter. Le plan des installations du milieu des années 1950 donne l'image de la verrerie d'avant 1914.
Notes
212.

53 J 28 ; A.D.V.

213.

V. Debisschop et A. Gratteau : architecture et entreprises alternatives - décembre 1983.

214.

Ce bâtiment, symbole de l'architecture du XIXe siècle, a été détruit.