Démolitions, aménagements, réaménagements, constructions nouvelles, la vieille usine de Portieux connaît un second souffle. Le rapport que fait Hertz , membre du conseil d'administration, présenté à l'assemblée générale de septembre 1872 mentionne que les dépenses effectuées pour Portieux ont dépassé les prévisions. Au départ, le conseil d'administration pensait construire une portion de la halle et les accessoires nécessaires pour un four ; se ravisant il décide la construction de deux fours. En 1872, les travaux de la halle et de la taillerie ont été retardés par un hiver doux mais qui a débuté précocement par quelques jours de gelée très prononcée. La mise à feu du premier four Siemens est projetée pour janvier 1874. C'est le 1er février de cette année que commence la production du verre dans ce four. Début mars, la fabrication est en pleine activité. Le verre est d'une qualité supérieure à celle des anciens fours et, en outre, le prix de revient est abaissé du fait de l'économie de combustible. C'est X. Mougin, directeur qui, dans une note très technique, prouve la supériorité incontestable du four Siemens sur le four Mulotte, type de four dont est équipée l'usine de Portieux 215 (fig. 24 - 25). Ainsi, il est préférable selon Mougin d'engager la construction d'un deuxième four Siemens. Pour convaincre le conseil d'administration, il explique que l'usine marche en 1875 avec un four Siemens à 12 pots et un four Mulotte à 3 pots ; or, la marche n'est pas plus avantageuse que si l'usine fonctionnait avec un seul four à 12 pots. Un four à 3 pots nécessite, en effet, un service de fondeurs, mécaniciens, tiseurs, ferrassiers, surveillants... aussi complet que pour 6 ou 9 pots. Par conséquent, le bénéfice ne peut-être que minime. Mougin remarque que l'exercice écoulé est, sur le plan des bénéfices, faible car les prix de vente n'ont jamais été aussi bas, ni les remises aussi fortes. Le fonctionnement d'un deuxième four économiserait des frais généraux et dégagerait, selon lui, 85.020 francs par an. La mise en train serait ainsi amortie en 4 ou 5 ans. Bien entendu, une telle solution nécessiterait la construction d'une briqueterie et taillerie nouvelles, ainsi que celle de logements d'ouvriers. Convaincu, le conseil d'administration déclare à l'assemblée générale de septembre 1875 : "lorsque le deuxième four Siemens sera allumé, s'ouvrira la nouvelle ère de Portieux". C'est fin mars 1876 que débute "la nouvelle ère" puisque le four en question fonctionne depuis le 28 de ce mois. Le conseil d'administration avait chargé A. Thouvenin d'un examen des différents exercices de Portieux en 1875. Au vu des résultats négatifs, le conseil est convaincu que les fours Mulotte ne peuvent donner que des marchandises de qualité inférieure et d'un prix relativement trop élevé. En 1874 et 1875, le conseil d'administration admet l'opportunité d'achever les travaux à Portieux aussitôt que la situation particulière de la société ainsi que les conditions politiques des industries le permettront. Il reconnaît qu'une extension qui puisse doubler au moins les produits de Portieux serait le seul moyen d'en obtenir des bénéfices qui soient en rapport avec les dépenses que cette usine a occasionnées à la société. Bien que la gobeleterie traverse en France une période difficile en 1875, il y a lieu néanmoins de doter Portieux de la force de production qui, seule, pourrait véritablement lui donner une marche rémunératrice : un deuxième four Siemens. Les nombreuses constructions nouvelles qui jalonnent les années 1874-1878, témoignent de l'engagement du conseil d'administration en faveur de Portieux, approuvé totalement par les différentes assemblées générales des actionnaires.
Par exemple, en 1874, voici quelques-unes des constructions nouvelles : halle neuve pour deux fours Siemens et taillerie avec 196 tours 216 , laboratoire, ateliers, magasins, caves en sous-sol et lieux d'aisance, bâtiment en T pour les magasins à sable, chambres de modèles et moules, chambre d'arche et magasin de pots, bâtiment pour la deuxième chambre d'arche destinée au deuxième four Siemens, quatre hangars ayant différentes fonctions (abri pour appareillage, dépôt de houille...), un bâtiment avec au rez-de-chaussée les bureaux du directeur et des employés et au 1er étage quatre chambres d'employés garçons, dans la halle : quatre warmoeffens avec 12 pots, une double conduite pour la première arche, un four Siemens à 12 pots avec générateurs et conduits et trois fours à réchauffer, huit générateurs pour four Siemens, une cheminée d'appel de 25 mètres de haut. Nous excluons de cette liste la construction des bâtiments d'habitation.
Les travaux sont importants et incessants : en 1876, afin d'étendre la halle pour installer un nouveau four, il faut redresser le ruisseau et déplacer la palissade de clôture de l'usine. G. Chevandier se demande, dans une lettre adressée à A. Thouvelin en juillet 1876, si dans le contexte d'une guerre générale il ne faudrait pas arrêter la construction de la seconde portion de la halle de Portieux ou l'ajourner. Un hangar à deux étages est en cours d'édification : ce hangar se trouve rattaché aux murs de la halle et le point supérieur forme le point d'arrivée d'un prolongement du pont qui relie les estacades aux générateurs, de telle façon que les houilles puissent être amenées directement des estacades à la halle. Lors de sa réunion du mois de juillet 1876, le conseil d'administration projette d'agrandir la halle. C'est une précaution que prennent les administrateurs considérant que deux fours sont en marche mais que la durée de vie d'un four n'excède pas quatre années. Il faut donc posséder un four tout prêt pour février 1878, sous peine d'être obligé de rallumer les vieux fours Mulotte ou de faire chômer les ouvriers. De 1876 à 1878, toutes les constructions tendent vers l'aménagement d'un troisième four 217 . Ainsi sont terminés en juin 1878 : le prolongement de la grande halle, sous-sol, halle proprement dite, installation d'une chambre de machine à vapeur ; la cheminée d'appel pour le four Siemens n° 3 ; une batterie composée de quatre générateurs pour ce même four ; une chambre d'arche destinée au service de ce four ; l'établissement de magasins neufs ; la transformation de la vieille halle en poterie et briqueterie et celle du hangar des générateurs en magasins de terre réfractaire et briques ; le hangar couvrant le troisième four Siemens et celui concernant les appareils nécessaires à la manoeuvre des valves pour le four Siemens n° 3... tout cela sans compter d'autres réparations de moindre importance 218 . Il nous est impossible de suivre pas à pas toutes les transformations tant celles-ci sont nombreuses.
En novembre 1883, la halle terminée, reste à bâtir le troisième four. La mise à feu du troisième four Siemens s'effectue dans une ambiance solennelle sous la présidence de G. Chevandier, âgé de 80 ans, et qui vient de sortir du lit pour l'occasion après trois semaines de maladie 219 . Le 16 février 1885 tout le conseil d'administration l'entoure ainsi que la population ouvrière.
La musique de l'usine dirigée par le graveur Marchand salue l'entrée du conseil d'administration accompagné des directeurs. Le président prononce un long et vibrant discours qui se termine par une sorte de bénédiction : "et maintenant troisième four de Portieux, allume-toi ! Avec la protection de Dieu que nous appelons sur notre société, sur ses ouvriers, sur ses usines, prends feu, pour continuer l'ère des prospérités commencées il y a vingt-cinq ans par Vallérysthal et depuis dix ans fraternellement poursuivie par les deux beaux établissements de la société, par Vallérysthal et Portieux". Pendant que pleuvent les acclamations, et qu'éclate la musique, quatre administrateurs mettent le feu aux quatre coins du four. De la sortie de la halle jusqu'à la maison de direction, les gamins font escorte au président et au conseil "dans une attitude en même temps curieuse, empressée et respectueuse". Le vieux président rappelle dans son discours les étapes de la fusion avec Vallérysthal. Il insiste en particulier sur le fait que "la société devenait propriétaire d'un établissement modeste, modeste pour ses produits, modeste pour ses procédés, modeste dans son installation". Modeste, l'établissement n'en possédait pas moins "une richesse immense, (...), une vieille population verrière attachée à son métier, attachée à ses patrons, attachée à la pauvre vieille verrerie, attachée au sol sur lequel elle était née. (...) Les bonnes populations ouvrières (...) contribuent pour une bien grande part à la fortune et à la prospérité de l'industrie". Après avoir remercié directeur et sous-directeur, G. Chevandier s'adresse aux ouvriers pour leur vanter la nécessité de conserver l'esprit d'ordre, de discipline et de pratique de l'épargne pour assurer les vieux jours. Il leur demande d'apprendre ces principes aux camarades nouveaux venus à l'usine et à leurs propres enfants. Former de bons et loyaux ouvriers, voilà le but poursuivi par le président à travers ses paroles. Le recours à Dieu est indispensable pour que les enfants se coulent dans le moule de l'usine : "apprenez-leur à prier le Bon Dieu, notre maître à tous, le Bon Dieu que les pauvres esprits égarés voudraient faire oublier aujourd'hui".
Ce discours paternaliste prononcé par un vieillard quasiment aveugle, assis sur une chaise près du four, "d'une voix très fréquemment émue, toujours sympathique et vibrante", s'inscrit dans un moment solennel que le secrétaire du conseil d'administration a voulu immortaliser à juste titre.
Cette naissance, ce baptême, cet accès à la vie du troisième four Siemens à six pots mais pouvant passer à douze pots marquent le moment où les moyens de production de Portieux arrivent à égaler ceux de Vallérysthal. (...) "Le jeune établissement de Portieux régénéré est donc, depuis longtemps déjà, bien plus vite que l'on eut pu l'espérer, sorti des langes d'un enfantement qui, pour avoir été laborieux, n'en a pas moins été d'une rapidité que l'on pourrait presque dire vertigineuse". L'ère de la pleine prospérité arrive.
Les constructions de fours se succèdent jusqu'en 1914, date à laquelle on en compte sept. Les fours 220 4, 5 et 6 comprennent six pots chacun et le four 7 en compte douze. Tous les fours ne fonctionnent pas à plein régime dans le même temps car il faut fréquemment procéder à des réfections. En 1911, on rénove les fours n° 1 et n° 5 tandis que le four n° 3 est en restauration partielle. Posséder un nombre suffisant de fours, c'est se donner la possibilité d'oeuvrer par roulement sans jamais déstabiliser la production et entraîner le chômage des verriers.
Outre les fours, les constructions diverses vont bon train dans les années 1900-1914 221 . Elles sont à mettre en rapport avec le développement de la réussite commerciale de l'usine.
Dans cette période faste, deux aménagements importants sont jugés indispensables par le conseil d'administration pour assurer plein rendement à l'appareil de production. C'est à la suite du manque d'eau, au cours de l'été 1903, que s'opère la prise de conscience de bâtir une station élévatoire. On doit arrêter les machines à tailler et l'on ne peut installer d'autres machines du même genre si Portieux ne bénéficie pas d'un volume d'eau plus important. Dans un premier temps, X. Mougin demande l'autorisation d'acheter une pompe aspirante d'une capacité de 2 m3/mn pour faire venir l'eau de la Moselle 222 . La conduite d'eau parcourt 3750 mètres de la rivière à l'usine. Le directeur s'occupe de l'achat de la machine à vapeur, de la pompe élévatoire et de la tuyauterie 223 . L'ingénieur R. Jolant, engagé à cet effet, s'occupe des travaux. La réalisation est confiée à J. Lentsch qui a déjà élevé l'église en 1900 et l'économat en 1901. L'entrepreneur aidé des maçons italiens conduits par P. Olivari, mène à bien l'ensemble du chantier au cours de l'année 1904. Outre la conduite d'eau qu'il faut faire courir jusqu'à l'usine, J. Lentsch construit le bâtiment abritant la machine élévatoire et la maison du mécanicien qui a pour tâche de surveiller le bon fonctionnement de la station (fig. 26).
Le feu constitue l'élément de la vie même de la verrerie mais sans eau en suffisance, point de développement et point de finition soignée des pièces sorties du four.
L'amélioration du fonctionnement de la verrerie passe également par l'installation de l'électricité dans les diverses parties de l'usine. Le conseil d'administration confie au directeur, A. Richard, l'étude de cette indispensable construction en octobre 1905 224 . Dès le début de l'année suivante, celui-ci dépose devant le conseil d'administration plans et devis de la centrale : chaudières, groupe électrogène, service électrique (moteurs et éclairage), bâtiments, cheminée, accessoires. On relève dans le journal de 1907 dans la rubrique des constructions terminées : le bâtiment devant renfermer les chaudières et le groupe électrogène de la station électrique, l'édification de la cheminée, l'installation des machines à vapeur. L'électricité est distribuée par la compagnie générale électrique de Nancy dans toutes les parties de l'usine, les maisons du directeur, sous-directeur et de l'administration ainsi qu'à l'économat.
Avec l'installation de l'usine électrique, les grands équipements de l'usine trouvent fin ; des équipements que l'on peut appeler vitaux pour une entreprise qui montre une volonté de conquête des marchés.
Notes techniques de X. Mougin ; 53 J 7, A.D.V.
196 tours à la taillerie, presque l'égal de Vallérysthal.
Conseil d'administration du 29 juillet 1876 ; 37 J 18, A.D.M.
Constructions nouvelles ; 53 J 6, A.D.V.
Le secrétaire du conseil d'administration a traduit le discours du président G. Chevandier ; 37 J 20, A.D.M.
Le four 5 sort ses produits devant le conseil d'administration en octobre 1904 ; 37 J 23, A.D.M.
Liste des travaux en cours et terminés en 1907 : voir en annexe pp 642-644.
Conseil d'administration du 10 août 1903 ; 37 J 23, A.D.M.
Conseil d'administration du 22 décembre 1903 ; 37 J 23, A.D.M.
Conseil d'administration d'octobre 1905 ; 37 J 23, A.D.M.