5 - Le problème des modèles

Les représentants se tiennent constamment à l'affût de ce qui peut constituer une nouveauté dans la production des concurrents. L'usine répond à la demande d'un représentant ou d'un client qui lui transmettent des pièces dans le but d'obtenir la création d'un modèle particulier.

Cette démarche peut engendrer des conflits avec l'usine qui a déposé un modèle. Les conflits se règlent le plus souvent à l'amiable mais des procès émaillent de temps en temps la vie de la verrerie. Il est évident que le simple fait de s'inspirer du goût du client débouche sur une sorte d'homogénéisation de la production que l'on trouve sur le marché de la verrerie. La ressemblance crée la confusion et il est alors bien difficile de savoir quel est le propriétaire du modèle.

Deux exemples illustrent bien ce problème de confusion des modèles. En 1881, la cristallerie de Saint-Louis s'adresse à X. Mougin à propos de son modèle déposé "Figaro" dont elle est propriétaire. Le directeur de Portieux qui a créé un service à partir d'un verre adressé par un client "ne se doutait pas" de l'origine du modèle. Le problème trouve facilement une solution : on conserve la coupe mais on modifie la jambe afin de personnaliser le verre à la façon de Portieux ! Ainsi l'usine peut continuer à fabriquer le service et poursuivre la vente 249 .

En 1882, X. Mougin fait fabriquer sur le modèle envoyé par un client de l'usine des sortes de petits verres à servir les fruits à l'eau de vie, dits "timbales carrées". A l'occasion de la diffusion de cet article, Landier et Houdaille de la cristallerie de Sèvres font observer à X. Mougin que ce modèle leur est spécial, ayant été déposé dans le but de le conserver à leur maison. Reconnaissant qu'il n'y avait pas chez Mougin de volonté de contrefaçon, les deux verriers l'autorisent à continuer sa production. Cependant, par mesure de précaution le directeur de Portieux a déjà fait cesser la fabrication de la "timbale carrée" pour la remplacer par deux timbales analogues, l'une à cinq pans, l'autre à six. Ce changement de détails permet de faire cesser toute polémique 250 .

Nous trouvons dans la correspondance du directeur Adrien Richard d'autres exemples similaires mais aussi des exemples inverses, les modèles de Portieux étant copiés malgré les précautions prises. Ainsi, le samedi 4 janvier 1889, X. Mougin dépose au greffier du tribunal de commerce de Mirecourt le modèle en nature d'un sucrier en verre avec son couvercle, désigné sous le nom de sucrier napolitain et d'une lanterne kiosque. Il déclare que ces objets ont été inventés par la société anonyme de Vallérysthal et Portieux qui par ces dépôts se réserve la propriété exclusive des produits durant cinq années. Les deux objets déposés sont enfermés dans une caisse clouée et ficelée, portant sur sa partie supérieure les mots "Verrerie de Portieux 1". La ficelle est retenue par deux cachets de cire rouge portant l'empreinte des initiales VP et par un troisième cachet portant l'empreinte du sceau du tribunal de commerce de Mirecourt. Sur l'un des côtés, il est indiqué ce que contient la caisse, la date du dépôt et le numéro d'ordre 1 de ce dépôt pour l'année 1889.

X. Mougin dépose également dix-sept modèles de dessins de guillochage, gravés sur verre et portant les références suivantes : O-bis - P - Q - R - S - T - U - V - X - Y - Z - AA - BB - CC - DD - EE - FF, pour être appliqués et gravés sur tous objets sortant des usines de la société. X. Mougin déclare que ces dessins ont été inventés par les verreries de Portieux et Vallérysthal. La société s'en réserve, pour toujours, la propriété exclusive. Ces gravures sont scellées dans les mêmes conditions que le sucrier et la lanterne.

Le 24 décembre 1892, Albert Germain employé à la société dépose au greffier les modèles en nature d'un flambeau en verre forme sirène maté avec réserves ; un vase carré en verre opale. Ces deux objets sont déposés pour leur forme et leur genre de moulures ; un porte-violette en verre marbré dit franco-russe ; un porte-violette en verre marbré dit doods. Ces deux objets sont déposés pour leur genre de marbré. La société de Vallérysthal et Portieux se réserve la propriété exclusive "et pour toujours" de ces quatre articles qui sont placés sous caisse dont le couvercle porte l'inscription << Verrerie de Portieux AAA >> 251 .

A l'examen de ces conflits, il est curieux de constater que le cristal "se méfie du verre". C'est ce que nous allons voir dans le procès qui oppose Baccarat à Portieux en 1888, à propos d'un décor de guillochage et de la marque de fabrique.

Notes
249.

Conseil d'administration de novembre 1881 ; 37 J 19, A.D.M.

250.

Conseil d'administration de mai 1882 ; 37 J 19, A.D.M.

251.

Nous n'avons recueilli que peu d'informations dans les archives du tribunal de Mirecourt dans le dossier concernant les modèles déposés. 7 O 128 : marques de fabriques ; A.D.V.