L'usine diversifie sa production dans les moments de croissance. Les années 1885 - 1890 connaissent d'intenses phases de recherche de couleurs. Jules Richard, chargé de la fabrication, s'adresse à son ami directeur de Vallérysthal, Adrien Thouvenin. Ce dernier lui donne en novembre 1885 la composition du verre vert foncé, du verre dit gris perle, du verre neutre 273 . En décembre de la même année, A. Thouvenin fait parvenir à Portieux deux vases chinois en vert impérial de nuances différentes. Il donne la composition des couleurs et explique que Vallérysthal qui trouvait le vert impérial "un peu trop dur comme couleur" a ajouté aux 200 grammes de chromate de potasse, 300 grammes de jaune d'urane. Le directeur de Vallérysthal précise également qu'il a fait appliquer de la peinture sur un vase iris et que "l'essai a bien réussi, le vase est passé par le moufle sans broncher" 274 .
L'usine vosgienne s'engage dans des essais, partant de la connaissance de ces formules qui raccourcissent la recherche par tâtonnements et qui, par conséquent, diminuent le prix du kilogramme de composition. En mars 1887, le sous-directeur de Portieux explique à son collègue qu'à propos de la couleur ivoirine, il a des différences de teinte d'une potée à l'autre. Thouvenin analyse les phénomènes qui entraînent ces différences : "cela tient à la petite quantité d'écorces que l'on met dans la composition, de la marche du four et la teneur de la composition en fer [qui] influent sur la coloration ; la marche du four parce qu'il peut brûler plus ou moins d'écorces dans une fonte ; la teneur en fer parce que c'est le fer qui colore le verre en jaune et il peut y en avoir plus ou moins dans les matières premières employées". Thouvenin suggère, afin d'obtenir une couleur fixe, d'essayer de se servir d'un colorant "le sulfure de potassium sans écorces". Il pense qu'en utilisant entre un kilogramme et cinq cents grammes de ce produit par potée d'ivoirine, on doit obtenir une teinte régulière 275 .
L'usine de Portieux recherche des techniques de composition par le truchement d'autres personnes. C'est ainsi qu'Henri Lespadin, représentant de fabriques domicilié à Gagny (Seine-et-Oise), fournit des informations sur les émaux. Sans toutefois pouvoir donner des compositions parfaitement exactes qui éviteraient à Portieux de procéder à de nombreux essais, Lespadin suggère des tâtonnements : "je crois qu'il manque quelque chose probablement de la potée d'étain, essayez ces compositions telles qu'elles sont en petit, et ensuite si vous trouvez qu'elles manquent d'opacité, mettez un peu d'oxyde d'étain". En retour, Portieux informe Lespadin des résultats obtenus. Ce dernier muni d'un échantillon d'émail se rend chez Martin, fabricant d'émaux à Saint-Denis 276 .
Un certain Pelletier donne la composition du rouge de cuivre et l'usine lui promet 500 francs si la couleur réussit. Afin d'obtenir le rouge de cuivre, la verrerie lui fait subir, selon les indications de son correspondant, quatre fusions successives et procède à trois essais 277 . Le registre des compositions qui est assorti d'un répertoire mentionne les résultats obtenus à chaque étape jusqu'à l'adoption d'une composition qui donne totale satisfaction. Les quelque treize étapes déterminées en 1891, entre le 4 janvier et le 13 août, pour obtenir "le verre VC ou cristal pour New-York" illustrent bien la démarche suivie. La première composition donne des marchandises trop rosées. On fait alors varier, tout au long de ces essais, la quantité de manganèse qui passe de 600 grammes dans le premier essai à 325 grammes dans le sixième essai et l'on joue très sensiblement sur la quantité des autres matières, par exemple sur l'oxyde de cobalt ainsi que sur la chaleur du four. Au terme de chaque essai, on consigne des observations qui favorisent les réajustements successifs et permettent d'atteindre le résultat souhaité. Après six essais, le verre semble très bon, se travaille bien et la composition est adoptée 278 . D'autres variantes essayées sont également retenues.
Le principe de recherche de couleurs est clairement lisible. Les bonnes relations qui ont toujours uni Jules Richard à son ancien directeur de Vallérysthal Adrien Thouvenin favorisent les échanges de techniques de composition. L'usine s'adresse par ailleurs à des intermédiaires qui se renseignent de proche en proche tel Lespadin ou elle passe par des spécialistes qui proposent des formules tel Pelletier rémunéré après essais fructueux. Enfin, la verrerie procède par tâtonnements successifs fondés sur l'expérience, l'observation, la notation des résultats obtenus. D'essai en essai, on arrive ainsi à fixer définitivement une formule.
Lettre de Thouvenin, directeur de Vallérysthal, à J. Richard, directeur de Portieux, du 6 novembre 1885 ; 53 J 445, A.D.V.
Lettre de Thouvenin à J. Richard du 13 décembre 1885 ; 53 J 445, A.D.V.
Lettre de Thouvenin à J. Richard du 2 mars 1887 ; 53 J 445, A.D.V.
Lettre de H. Lespadin, représentant de fabriques, parent des Lespadin de Portieux, du 11 décembre 1892 ; 53 J 445, A.D.V.
Les essais successifs : voir en annexe pp 648-649.
Les essais concernant la composition du "verre VC ou cristal pour New-York" : voir en annexe p 650.