10 - La matière première : le sable (fig. 28, 29, 30)

La silice, oxyde formateur par excellence, entre pour au moins 60 % dans le mélange destiné à la fabrication du verre. "Au cours du temps, on a pris le silex, la terre d'infusoires (farine fossile) pour faire le verre soluble ; pour les verres de qualité inférieure, des feldspaths, des laves (...)". La silice doit être la plus pure possible, posséder un grain uniforme et des teneurs en fer déterminées.

Cette matière première qui constitue, à elle seule, l'essentiel de la composition est l'élément vital sur lequel doit veiller la verrerie. Dès lors, il convient de s'assurer de la qualité et de la quantité des réserves. C'est pourquoi, la Figure 28 : Le sable - situation géographique des carrières recherche des carrières de sable entre dans les constantes préoccupations des dirigeants de la société.

Au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, la verrerie tire son sable des territoires environnants. Les propriétaires de la verrerie de Portieux, dite encore de Magnienville, exposent une requête au préfet en 1803. Bour, Lamy et Mougin expliquent que depuis plus de trente ans, ils tirent le sable vitrifiable nécessaire à l'alimentation de leur verrerie sur le territoire de Bouxurulles, Rugney et autres communes voisines. Depuis sept ans environ, ils en tirent d'un bois dont ils ont fait l'acquisition et ils attendaient que cette carrière fut épuisée pour solliciter la permission d'en exploiter une autre qu'ils ont découverte depuis trois ans à la lisière de la forêt communale de Rugney et dans un ancien pâquis de la même commune près de la route de Charmes à Mirecourt. Arrivant à la fin de l'exploitation de leur carrière, ils souhaitent s'assurer de la jouissance de celle qui se trouve sur le territoire de Rugney. Le préfet sollicite donc le maire de cette commune afin qu'il procède à la reconnaissance des terrains puis qu'il réunisse le conseil municipal en séance extraordinaire pour délibérer sur la demande et sur les prix à exiger des pétitionnaires pour le sable à extraire dans les terrains appartenant à la commune. Les observations des particuliers, dans les terrains desquels il existe également des carrières que la verrerie se propose d'exploiter, doivent être consignées. Le maire de la commune de Rugney, après avoir pris connaissance de la lettre de Bour, Lamy et Mougin ainsi que de l'arrêté du préfet n'obtempère pas à cet arrêté. Il traite au nom de la commune de Rugney avec les propriétaires de la verrerie pour exploiter la carrière de sable. Rappelé à ses obligations par le préfet, le maire consulte son conseil en 1804. Il est alors autorisé à parapher un traité définitif avec les propriétaires de la verrerie. Les propriétaires de terrains enclavés dans ceux désignés par le maire donnent leur consentement pour l'exploitation de cette carrière 282 . Après l'épuisement de ces terrains, la verrerie s'approvisionne en sable de Champagne. Lorsque les carrières de cette région commencent à s'épuiser à leur tour, un entrepreneur Auguste Lefèvre (fig. 31) fait découvrir à X. Mougin celle de Port-à-Binson, commune de Mareuil-le-Port, arrondissement d'Epernay, canton de Dormans 283 . C'est en faisant l'acquisition de Portieux que la société prend possession de la carrière de Port-à-Binson par les ventes du 15 janvier 1871 et des 15, 16, 20 janvier 1872. Dans les années suivantes, de nombreux terrains sont achetés sur les territoires de Port-à-Binson, Vandières, Oeuilly, Reuil... Au total, 21 parcelles viennent se joindre aux précédentes acquisitions. C'est la crainte de voir d'autres concurrents s'installer qui pousse à acheter des terrains, même si leur exploitation n'est pas envisagée dans l'immédiat. En 1875, la société achète un terrain qui sépare la carrière concurrente Saby des autres terrains de la société et de terrains qui contiennent de grosses quantités de sable d'excellente qualité. L'année suivante, un gisement de sable de très belle qualité est découvert sur le territoire de Vandières dans un lieu assez rapproché de la Marne et de la gare de Port-à-Binson ; or, le sieur Saby fils, ancien concurrent pour les carrières de sable de Port-à-Binson, vient de s'associer à MM. Barbara et Vautrin pour ouvrir une carrière. Les concurrents qui acquièrent un terrain peuvent faire du tort à la société. Mougin pense qu'il est urgent de se renseigner discrètement sur les lieux même et d'acheter, si besoin est, quelques parcelles de terrain placées de façon à empêcher l'extension de la carrière nouvelle ou à gêner son exploitation. Le président du conseil d'administration autorise Mougin à acheter sur le territoire de Vandières quelques parcelles "qui lui paraîtraient placées dans les meilleures conditions pour sauvegarder les intérêts de la société". Mougin achète donc quatre parcelles de terrain. Les acquisitions faites ne comportent pas le fond même de ces parcelles mais donne à la société le droit absolu d'en disposer soit immédiatement, "soit à l'époque la plus reculée qui lui conviendra de fixer pour l'exploitation des sables qu'elles renferment" ; les parcelles elles-mêmes restant avant et après l'exploitation la propriété des vendeurs. La société n'hésite pas, dans ce cas, à payer jusqu'à 100 francs l'are. Mougin se procure immédiatement du sable provenant de ces nouveaux terrains de façon à ce que des essais simultanés puissent être faits à Vallérysthal et à Portieux. Toujours en 1876, dans sa séance du 30 octobre, le conseil d'administration autorise Mougin à acheter un hectare de terrain à Port-à-Binson et 27 ares sur Vigneux, maître de musique à Ay. Le prix de cette dernière pièce devait être de 20 francs l'are mais Vigneux en souhaite 40 francs. L'acquisition de cette pièce étant importante parce qu'elle doit faciliter l'exploitation, le passage des transports et l'emplacement des déblais, Mougin demande la permission de passer outre et achète. Le 17 décembre 1880, Mougin et Bauquel visitent la carrière de Port-à-Binson et celle du concurrent Barbara. Le rapport remis au conseil d'administration permet de situer ces carrières et les problèmes d'exploitations rencontrés. "En quittant Epernay pour se diriger vers Paris, après la station de Damery - Bonvrault, on aperçoit à environ trois kilomètres de Port-à-Binson, sur la rive droite de la Marne, au-dessus du village de Reuil, la carrière qui appartient à M. Barbara de Sermaize. Quand on arrive à environ 1500 mètres de la gare de Port-à-Binson, on voit à gauche de la Marne, sur le flanc d'un coteau à pente très rapide, la carrière de sable appartenant à la société de Vallérysthal et Portieux. Cette dernière se trouve à environ 120 mètres de la Marne et en est séparée par la ligne de Paris à Strasbourg et la route d'Epernay à Paris. Le banc de sable est d'une épaisseur d'environ 8 mètres et d'une longueur d'environ 800 mètres. Le plan supérieur de la couche de sable se trouve à environ 45 mètres au-dessus du niveau de la Marne, 45 mètres au-dessus du niveau de la voie de chemin de fer et 35 mètres au-dessus de celui de la route nationale. L'entrepreneur Lefèvre procède par découverte de 8 mètres de longueur sur 4 ou 5 mètres de profondeur en tranchant verticalement dans le coteau". Les bénéfices y sont modestes et le matériel restreint, ajoutent les deux visiteurs. L'exploitation ne pose pas de problème par fortes gelées, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il pleut. Elle nécessite de grands terrassements et le recouvrement de déblais avant extraction. Des risques d'éboulements menacent et les ouvriers inquiets jettent constamment les yeux sur les terrains détrempés. On passe 5 mois de l'année à déblayer les terres stériles, soit à la brouette, soit avec des tombereaux tirés par des chevaux quand les terres sont assez fermes pour supporter le roulage. Pour transporter les déblais, Mougin et Bauquel étudient avec l'ingénieur Béliard de chez Decauville l'installation d'une voie decauville. Ils examinent également le problème d'acheminement du sable par voie ferrée ou par eau. Le chemin de fer est à 50 mètres, la Marne à 120 mètres. Il est possible, pensent-ils, d'acheter plus tard une bande de terrain afin de prolonger la passerelle pour décharger directement dans les bateaux. Quelques jours plus tard, les deux visiteurs se rendent sur l'exploitation du concurrent Barbara, établi au flanc du coteau au-dessus du village de Reuil. Il s'agit, précisent-ils, "d'un banc de sable magnifique d'une puissance de 7 à 8 mètres environ". Deux voies decauville transportent l'une le sable, l'autre les déblais. Cette exploitation n'a pas un avenir de longue durée, ajoutent-ils. De plus, le transport coûte cher pour aller à la gare : 2 francs à 2,50 francs par 100 kilogrammes contre 1 franc pour aller à la Marne. Poursuivant l'exploration des lieux, ils examinent en face de l'exploitation Barbara une carrière abandonnée qui présente de belles perspectives, pensent-ils, si on attaque le coteau opposé. Il convient donc de rendre l'exploitation de ce lieu impossible en achetant un champ qui forme une bande et qui coupe le coteau en deux parties. Il s'agit de gêner le développement ultérieur de celle-ci. La société achète également une parcelle touchant à l'ancienne carrière Saby, carrière acquise par Vallérysthal et Portieux en 1876. En juillet 1881, Mougin, Bauquel et Thouvenin se rendent à nouveau à Port-à-Binson pour une nouvelle expertise technique afin de procéder à l'état des lieux avant de se lancer dans d'autres recherches. Il est alors décidé de maintenir la carrière en activité. Port-à-Binson livre 970.000 kilogrammes de sable en mars 1881 ; 810.000 en avril et 108.900 en mai de cette même année. Les conditions d'exploitation doivent cependant être modifiées. Lefèvre qui est obligé d'abandonner les travaux préventifs parce que ses ouvriers travaillent dans les vignes recherche d'autres carrières. Il envoie à l'usine des échantillons de sable d'Orguigny, commune qui jouxte Reuil. En 1883, Port-à-Binson présente de gros risques d'éboulements. On constate des crevasses et des boursouflures le long de la route nationale et de la voie ferrée. Il convient de cesser l'exploitation, pense-t-on, afin de ne pas menacer la voie ferrée qui contourne le coteau. Mougin suggère à Lefèvre d'installer un decauville pour déblayer 4000 à 5000 mètres cube de terre. Les ouvriers travaillent nuit et jour pour éviter tout accident. L'employé qui touche 3.000 francs pour ce travail, alors qu'habituellement il n'est payé que pour l'extraction du sable au mètre cube, continue à explorer les environs de Port-à-Binson. Il découvre face à ce village, sur la rive droite de la Marne, une carrière facile à exploiter. D'autres terrains présentent de bonnes conditions d'extraction. Ils sont situés à Reuil sur la rive droite de la Marne, à environ un kilomètre du fleuve et à cinq kilomètres de la gare de Port-à-Binson. Une carrière abandonnée située à côté de la carrière Barbara, peut également faire l'affaire. La société envisage l'achat de cette carrière ainsi que celle de M. Barbara. Devant les prétentions élevées de celui-ci, on renonce. Barbara accepte néanmoins de livrer du sable à la société.

A la date du 30 juin 1882, les verreries de Portieux et Vallérysthal s'approvisionnent dans quatre lieux différents :

Le matériel fixe comprend, entre autres, un magasin à sable situé au bas de la carrière principale, muré à l'Est et au Sud ; 180 mètres de voies posées sur traverses en chêne ; plusieurs centaines de mètres de voie decauville avec système d'aiguillages... Le matériel roulant est principalement constitué de 25 wagons porteurs dont 4 pivotants avec caisses à bascule. Visitée une nouvelle fois par la commission en 1884, la carrière de Port-à-Binson livre le sable aux deux verreries et à la clientèle mais on pense qu'il ne faut pas songer à pousser plus loin l'exploitation au risque d'avoir des accidents sérieux en entamant le bas du coteau. En mai 1884, la société décide d'abandonner Port-à-Binson tout en prenant les mesures nécessaires pour y revenir plus tard. Les terrains labourés sont plantés d'acacias à deux reprises, 11.300 en 1884 et quelque 99.000 en 1890. La société fait planter des peupliers le long de la route nationale. Mougin qui visite le site en 1901 déclare que les premiers acacias plantés vont pouvoir être coupés pour transformation en échalas de vigne. Auguste Lefèvre qui devient employé de la société au lieu d'en être l'entrepreneur accepte difficilement les propositions faites quant à ses appointements. Matériel et chevaux lui sont rachetés. A. Lefèvre et sa famille sont alors logés par la société qui construit une maison à Nogent-l'Artaud à cet effet. La carrière de Port-à-Binson est vendue en 1915 et en 1921.

La fermeture de cette principale carrière dans un temps de forte croissance de l'entreprise, entraîne une activité de recherche fébrile du sable car il y va de la vie même des deux usines. Une nouvelle commission dont fait partie X. Mougin part le 11 février 1884 de la Ferté-sous-Jouarre pour visiter en une seule journée les gisements de sable des environs de cette ville mais aussi de Nogent-l'Artaud (Aisne) et de Château-Thierry (Aisne). La commission constate "l'existence de carrières de sable blanc tellement importantes que notre industrie peut désormais cesser de se préoccuper de l'avenir du point de vue de la consommation de la silice". Le premier gisement de sable visité se trouve à 150 mètres environ du village de Chamigny, à 1600 mètres de la Marne canalisée et à 3000 mètres de la gare de La Ferté-sous-Jouarre. Bien que ce gisement paraisse puissant, que le sable soit beau d'un grain bien régulier et bien limpide, la commission pense qu'il n'y a pas lieu pour le moment de songer à l'acquisition de cette carrière dont l'exploitation serait assez difficile et dont les chemins d'accès présentent des rampes qui rendraient coûteux les transports des sables. Il n'en est pas de même pour le deuxième gisement rencontré. Celui-ci est situé à 1300 mètres de la Marne et à 1400 mètres de la gare de Nogent-l'Artaud. Ce gisement paraît considérable et la qualité du sable bonne. L'exploitation en serait facile, le sol formant à ce endroit une sorte de drainage naturel qui mettrait constamment l'exploitation à l'abri d'infiltrations et des accidents que celles-ci peuvent parfois entraîner. Le logement des déblais ne pose aucun problème. Les chemins d'accès sont commodes. Une route départementale passe à la naissance même du banc et descend en pente douce jusqu'à la gare de Nogent-l'Artaud ou jusqu'au port de la Marne. Le coût des expéditions préoccupe les visiteurs. Le frêt pour Vallérysthal, usine la plus éloignée, serait à peine de 0,50 franc plus élevé que celui de Portieux à Vallérysthal. Pour le transport par chemin de fer, il y aurait une augmentation de dépense de 0,86 franc par tonne pour un parcours supplémentaire de 43 kilomètres. Cependant, il est certain qu'une économie variant de 1,50 franc à 2 francs par tonne serait réalisée sur le prix de revient de sables rendus soit en wagon, soit en bateau de Nogent-l'Artaud. La troisième carrière est celle des Chesneaux. Le gisement plus puissant encore que les deux précédents est situé à environ 1500 mètres d'une gare en construction près de Château-Thierry et à 3 kilomètres de la Marne. Un commencement d'exploitation met à découvert un banc de sable de 11 à 12 mètres d'épaisseur, d'une qualité qui semble ordinaire mais dont les experts pensent qu'elle pourrait s'améliorer en entrant plus avant dans le coteau. Cependant, l'accès de la carrière laisse à désirer. Un chemin de 500 mètres environ serait à créer ou à mettre en état de viabilité. Les frais de création et d'entretien incomberaient à l'exploitant de la carrière. L'existence de ce gisement est donc à noter mais la société ne doit pas dans l'immédiat se préoccuper de son exploitation. Un quatrième gisement de sable retient fortement l'attention de X. Mougin et de ses compagnons. A "la tranchée des Coupettes", à environ 5 kilomètres de la gare de Château-Thierry ou de la Marne et à 3 kilomètres de la gare des Chesneaux, ils découvrent dans une tranchée ouverte pour le passage du chemin de fer en construction de Château-Thierry à Provins par la Ferté-sous-Jouarre "un gisement considérable, d'une épaisseur indéterminée, les sondages effectués n'ayant pas atteint le fond du banc, d'une étendue considérable". Cinq à six mètres de tuf compact puis deux à trois mètres de sable de qualité inférieure sont à jeter au remblai pour arriver au sable blanc. Le problème du transport pourrait se résoudre aisément. En obtenant l'autorisation de la Compagnie de l'Est d'installer une voie bouclée avec aiguille à l'entrée même de la carrière, il serait possible d'amener les wagons presque au point même où se ferait l'exploitation. Quelques wagonnets decauville suffiraient au transport des déblais et à l'extraction du sable. Après avoir jeté son dévolu sur cette future carrière "des Coupettes", la commission revient en arrière après réflexion sur le coût des transports. Il est essentiel, en effet, d'assurer l'approvisionnement à bon marché du sable qui se consomme à Vallérysthal et à Portieux par livraison par bateaux ou sur wagons. Or, si le gisement de sable "des Coupettes" est facilement exploitable par chemin de fer, il ne l'est pas par canal et le prix de revient du sable serait beaucoup plus élevé pour Vallérysthal que pour Portieux. Le choix se porte donc définitivement sur la carrière de Nogent-l'Artaud. Les modalités d'achat de Nogent-l'Artaud restent à déterminer. Faut-il, après avoir obtenu l'autorisation, procéder d'abord à des sondages sérieux déterminant la qualité, l'importance du banc de sable ainsi que le périmètre des terrains à acquérir ? Convient-il au contraire d'acquérir d'abord en faisant en sorte dans les promesses de vente que les acquisitions ne deviennent définitives que lorsque la société se sera assurée de la présence de sable, de sa qualité et de l'achat complet de toutes les parcelles nécessaires ? X. Mougin qui se déplace seul à Nogent-l'Artaud dans le mois suivant confirme l'intérêt de ce gisement. En mars 1884, il achète environ 8 hectares à 27 francs l'are ; reste à acheter un hectare à un coût plus élevé. La société paie des frais de voyage, de sondage et de blindage à Lefèvre afin qu'il effectue les premiers travaux à Nogent-l'Artaud. Deux wagons de sable sont expédiés respectivement à Vallérysthal et à Portieux. Mougin régularise les acquisitions nouvelles conditionnelles en juin 1884 pour une somme de 2.983,65 francs.

Dès les premières exploitations de la carrière de Nogent-l'Artaud, le conseil d'administration se montre inquiet de la qualité du sable de cette carrière. X. Mougin qui procède à des essais sur du sable extrait de cette exploitation conclut qu'il est exactement semblable à celui de Port-à-Binson. Doutant de cette affirmation, le conseil décide d'en envoyer un wagon pour essais à Cirey et craignant un nouvel échec refuse l'achat d'un hectare sur la carrière Ametz située à côté de celle de Barbara. Ne donnant guère satisfaction, le sable de Nogent-l'Artaud n'est plus livré à Vallérysthal. C'est la carrière concurrente Barbara qui procède aux livraisons. Alors que la société avait manifesté le désir de racheter la carrière Barbara, elle vend à ce dernier la carrière située sur le territoire de Reuil en 1888 !

Mougin est obligé de se rendre à l'évidence, de qualité mauvaise, le sable de Nogent-l'Artaud est vendu aux verreries à vitres et en partie à la manufacture des glaces de Cirey. Portieux s'approvisionne en sable de Nemours (Seine-et-Marne). Lefèvre continue d'explorer les environs de Nogent-l'Artaud. Il propose un nouveau gisement dont le sable est essayé. Bien que l'exploitation difficile n'incline pas à acheter, la société y consent pour une parcelle. En 1901, X. Mougin qui visite les carrières trouve Nogent-l'Artaud "en parfait état". C'est encore lui qui propose l'achat de parcelles de terrain à Château-Thierry en 1905. Lefèvre s'occupe donc à cette date des deux carrières de Nogent-l'Artaud et de Château-Thierry constituées de 52 parcelles pour deux hectares environ. Les premiers envois de sable de Château-Thierry se font en février 1906 ; Portieux en réceptionne environ 53.000 kilogrammes. En 1911, par un incessant mouvement de recherche de sable, la société jette son dévolu sur Kittler qui a repris à Nogent-l'Artaud une carrière proche de la sienne et obtient après beaucoup de tractations le droit d'exploitation pour dix années. Elle reprend aussi le matériel composé de 873 mètres de voie ferrée, de 4 wagonnets, de 13 croisements et d'un tombereau.

Bien que possédant deux carrières en exploitation, la société fait venir du sable de chez Bellefille à Saint-Mammès (confluent du Loing et de la Seine) et de chez Queudot à Saint-Pierre-les-Nemours près de Fontainebleau. Il s'agit de sable blanc, pur et rare, seul propre à la fabrication du verre blanc. Lorsqu'après la première guerre mondiale la production de la verrerie reprend très sensiblement, en 1923-1924, la société se remet à la recherche de solutions qui lui assurent une relative indépendance. C'est vers la région de Fontainebleau qu'on se tourne.

A. Richard est partisan d'acheter la carrière Aufort si le sable est reconnu bon et de prendre quelques hectares attenants à cette carrière sur Chevrainvillers (près de Fontainebleau). Il souhaite également "sonder" Queudot de Saint-Pierre-les-Nemours au cas où il désirerait vendre. Si Queudot refuse, le directeur propose "de le tenter". Comme il est âgé et qu'il refuse de quitter le métier, on pourrait lui laisser sa carrière jusqu'à son arrêt, lui offrir immédiatement 100.000 francs et le reste lors de la cessation d'activité. Ces perspectives étant vaines, A. Richard demande à Vallée, gendre de Lefèvre auquel il a succédé, de se mettre en relation avec Bellefille de Saint-Mammès pour effectuer des sondages à Larchant près de Fontainebleau. Se procurer du sable de cette région et surtout en devenir propriétaire reste une obsession. Une occasion se présente en 1925. Bellefille, principal actionnaire de la société anonyme d'exploitation des sables et grès de Fontainebleau et Nemours, est disposé à céder ses actions. Alors que Baccarat et Saint-Gobain sont sur les rangs, Bellefille signe la promesse de vente de 1600 actions d'apport et de 300 actions de capital. Des négociations s'engagent sur le coût des actions. L'actionnaire cède à 1.400 francs l'action au lieu de 1.750 francs, soit 2.800.000 francs pour 2000 actions. Le 24 avril 1925, Portieux acquiert 650 actions de la société anonyme d'exploitation des sables et grès de Fontainebleau et Nemours et le 25 avril, Vallérysthal achète 1250 actions de la même société. Le conseil d'administration des deux usines déclare dans son rapport à l'assemblée générale des actionnaires du 9 septembre 1925 : "nous tenons à vous signaler que nous avons pu acheter une grande partie des actions de la société anonyme d'exploitation des sables et grès de Fontainebleau et Nemours. Nous avons ainsi le contrôle de cette affaire et la certitude d'avoir du sable donnant du verre de qualité régulière". Jean Gérardin, secrétaire du conseil d'administration de la société Vallérysthal et Portieux, devient par la suite directeur de la société des sables à Fontainebleau. En 1925, la société des sables a de bons clients à l'étranger en particulier en Espagne et en Italie. Dans ces deux pays surgissent peu à peu des difficultés et les clients ne paient plus la maison exportatrice de Rouen à qui le sable est vendu. Celle-ci arrête donc les exportations.

Le sable qui reste dans les carrières représente un capital qui garde sa valeur. Des avances de fonds sont consenties à la société pour se moderniser. En avril 1930, il est prêté 780.000 francs employés à l'achat d'une pelle à vapeur américaine, d'un compresseur, d'un tracteur diesel et du matériel de voies ferrées. En 1937, la société anonyme dégage des bénéfices qui permettent de rembourser Portieux et Vallérysthal. Durant la deuxième guerre mondiale, l'exploitation ne subit pas de dommages mais s'arrête faute de moyens de transport. En 1946, la production devient "raisonnable".

A peine l'entrée dans la société des sables est-elle décidée que l'on obtient par ailleurs promesse de vente de la concession Gréau à Saint-Pierre-les-Nemours. Pour autant, les carrières de Château-Thierry et de Nogent-l'Artaud ne sont pas délaissées. Si cette dernière commence à s'épuiser vers 1928, celle de Château-Thierry, par contre, vend bien aux verreries de la Sarre et à la glacerie de Cirey. Se pose à Château-Thierry la difficulté du chargement du sable qui, à peine stocké, risque d'être emporté par les crues de la Marne. La société décide de créer un appontement en béton armé avec bennes basculantes qui permettent de prendre le sable à la carrière et de le verser directement dans les péniches, supprimant ainsi les risques liés aux crues et les frais de manutention. Pour se garantir de la concurrence, l'achat de terrains se poursuit. Les vendeurs comprenant tout l'intérêt qu'ils peuvent en tirer se montrent exigeants sur les prix et les conditions de cession. L'exemple de l'achat de terrains à la carrière des Chesneaux de Château-Thierry illustre bien les enjeux. Thébault, responsable des deux carrières de la société a succédé à Vallée décédé en 1930 ; c'est donc lui qui négocie l'acquisition des terrains Chevalier - Métréau qui bordent la carrière. Les vendeurs demandent 4 francs le mètre au lieu de 3,50 francs pour des terrains tout à fait limitrophes de la carrière de la société. Au dernier moment, une exigence supplémentaire apparaît. Un membre de la famille qui possède quelques pièces en propre, mais non limitrophes de l'exploitation actuelle, souhaite vendre également. Si la société n'acceptait pas l'achat dans l'immédiat, ses cohéritiers ne vendraient pas leurs terrains. Thébault pense dans un premier temps que la société a intérêt à ne pas réaliser l'achat et à attendre d'être placée vis-à-vis du vendeur en meilleure situation. Il se ravise par la suite estimant "qu'il serait regrettable que cette avance de fonds supplémentaires nous fasse perdre la possibilité de nous débarrasser de ces gens qui nous gênent beaucoup, qui nous ont coûté cher et qui nous coûterons dans la suite encore plus puisqu'ils paralysent l'exploitation. Si cet achat est différé à je ne sais quelle époque, il n'est pas sûr que les vendeurs ne demandent pas ensuite encore plus cher. De plus, la sécheresse mine chaque jour et nous rapproche de plus en plus des limites (déjà dépassées) ; un éboulement va se produire incessamment et entraînera une bande de terrain. Aussitôt, les intéressés ne manqueront pas de faire faire des constats, d'alerter l'ingénieur des mines et surtout de demander de gros dommages - intérêts. Nous aurons des ennuis, la société dépensera beaucoup et nous n'aurons toujours pas le droit d'exploiter ces terrains qui nous sont indispensables. J'avoue donc franchement que je serais personnellement heureux de voir cette question vitale pour la bonne marche de la société se régler dans le plus bref délai possible ; et je suis persuadé que dans l'avenir et à bref délai, l'exploitation aura su rattraper cette dépense forcée". La société se range à l'avis de Thébault et fait l'acquisition de ces pièces de terre. Les craintes du responsable de Château-Thierry concernant les éboulements se confirment dans les semaines suivantes. Le 15 août 1930, un accident mortel survient aux Chesneaux. L'ouvrier Martigny était occupé à couper le sable en banquettes lorsque, sans que rien ne puisse le laisser soupçonner, l'écrasement s'est produit derrière, la masse mélangée de grès énormes l'a projeté la face en avant alors qu'il essayait de se sauver. La pluie diluvienne qui tombe à cette période semble être la principale cause de cet accident.

L'obsession de la concurrence habite le directeur de Portieux. En 1932, il sollicite son responsable de Nogent-l'Artaud et de Château-Thierry afin qu'il s'informe sur les tentatives d'achats dans ces secteurs. Thébault prend contact avec des hommes d'affaires pour se renseigner sur d'éventuels acheteurs. Aucun ne connaît cette éventualité. A Château-Thierry, Thébault passe en revue les terrains qui seraient susceptibles d'accueillir une exploitation. Il ne voit "qu'un endroit où il serait possible d'installer quelque chose ; ce sont des terrains qui se trouvent route de Paris du côté du monument américain". Contacté, le principal propriétaire des terrains se voit proposer : le droit d'exploitation pour la société dans un délai de 4, 5, 6 ou 10 années peut-être avec une redevance de 0,50 franc par tonne expédiée ; une redevance annuelle fixée de 150 à 200 francs jusqu'au moment du démarrage de l'extraction. Afin de faciliter la transaction, Thébault offre au propriétaire de le prévenir deux années avant le commencement de l'extraction pour lui permettre d'abattre ses arbres au mieux de ses intérêts ; de n'avoir aucun droit sur ses terrains tant que la société ne les exploiterait pas. Cette solution n'engagerait en aucune façon la société dans de gros achats de terrain et "paralyserait pour longtemps toutes combinaisons d'un concurrent" et ce moyennant 200 francs par an. Le directeur des deux carrières donne également l'ordre au géomètre d'acheter dans cette partie de terrains très morcelés des petites pièces qui couperaient ainsi toute grosse exploitation. "Il les achèterait comme pour lui-même pour ne donner aucun éveil et surtout pour ne les payer qu'au prix de culture. Il est entendu également qu'il sera en éveil près de ses confrères ou marchands de biens et qu'à la première alerte il me préviendra". Cet épisode met quasiment fin à l'achat de terrains soit pour extraire du sable, soit pour couper la concurrence.

Le sable arrive à la verrerie par wagons lorsqu'il vient de Port-à-Binson entre 1871 et 1884. Il emprunte la ligne de l'Est puis celle de Charmes à Rambervillers jusqu'à la gare de la Verrerie. La création du canal de l'Est permet après 1884 l'acheminement des livraisons par voie d'eau. Les péniches chargées dans les ports proches des deux carrières empruntent, à coût moins élevé, la Marne canalisée puis le canal de la Marne-au-Rhin, avant de bifurquer au Sud par la Moselle puis le canal de l'Est. Les bateaux s'arrêtent dans les ports de Nomexy et Charmes mais aussi temporairement, en 1920, dans celui de Thaon, propriété de l'usine textile Blanchisserie et Teinturerie Thaonnaise. Les cargaisons qui atteignent fréquemment plus de 200.000 kilogrammes sont transbordées dans des wagons. En mai 1886, Joffroy de Nomexy procède au transbordement du bateau << capitaine Mandrin >> chargé de 212.900 kilogrammes. En juin 1888, arrive dans le même port 218.600 kilogrammes par le bateau << la jeune Marie >>, marinier Boulogne Prosper. Après 1897, les péniches déchargent leurs livraisons au port de Charmes où la verrerie a investi dans des installations mais elles font toujours escale à Nomexy, surtout après la première guerre mondiale. Deux bateaux << Guernette >> et << Himalaya >> arrivent chargés de sable par ce port avant d'être transbordés dans des wagons à destination de l'usine en novembre 1924. Le bateau << Airoplane >> décharge à Nomexy quelque 200.000 kilogrammes en juillet 1926.

L'usine affrète les bateaux par une société de Varangéville (Meurthe-et-Moselle). Dans le milieu des années 1930, le sable est transbordé à Varangéville.

En prévision du gel des canaux, la verrerie se fait livrer le maximum de sable au cours de l'automne. Les transports créent quelques soucis au directeur. En mars 1908, il entretient le conseil d'administration de la difficulté toujours plus grande de se procurer des bateliers pour transporter le sable. Il pense que la société se trouvera dans l'obligation de posséder ses propres bateaux. Cette proposition ne voit pas le jour. Des bateliers peu scrupuleux se débarrassent d'une partie de leurs cargaisons avant d'arriver aux ports de Charmes ou de Nomexy. On constate que la péniche << ma fortune >> qui doit transborder 220.000 kilogrammes n'en livre que 214.200 kilogrammes en mai 1890. Lorsque le bateau << la centenaire >> arrive à Charmes en provenance de Nemours, on note un déficit de 13.220 kilogrammes en mai 1910. Par le biais de la maison Forterre de Jarville qui se charge de l'affrètement des bateaux, Portieux fait venir 268 tonnes de sable blanc de chez Queudot à Saint-Pierre-les-Nemours. Or, on remarque, après pesée du sable lors des transbordements à Charmes puis à l'arrivée à l'usine, qu'il manque 9 tonnes de matière. Richard rappelle qu'il est de notoriété publique qu'en cas de pénurie d'eau, les mariniers n'hésitent pas à jeter une partie des marchandises ; en ce mois d'août 1911, les canaux manquent quelque peu d'eau. Le directeur de la Verrerie porte plainte contre les mariniers. Le sable blanc, en particulier, doit être transbordé dans des péniches et des wagons propres, ce qui n'est pas toujours le cas. Lorsque le bateau << Crevaux >> arrive au port de Charmes chargé de sable blanc, l'ingénieur de la verrerie exige que l'on veille à l'extrême propreté des wagons dans lesquels le sable sera convoyé vers l'usine. Un wagon de 20 tonnes expédié à un client n'ayant pas été balayé comportait des petits cailloux enduits de goudron, ce qui provoque une vive réclamation.

Les carrières livrent différentes qualités de sable :

Si les sables blancs des deux carrières sont suffisants pour la fabrication de verres de couleur ou autres de qualité inférieure, ils ne peuvent entrer dans la composition des verres blancs. Utilisé au début de l'exploitation de la carrière de Nogent-l'Artaud, le sable donne un verre sensiblement jaunâtre. La verrerie essuie les réclamations des représentants et des clients. Lorsque la production reprend un rythme plus vif en 1924-1925, le directeur de Portieux procède à des essais de sable. En novembre 1925, il fait parvenir au directeur de l'école des mines trois échantillons de sable :

  1. employé depuis quelques années ;
  2. provient de terrains que la société a l'intention d'acheter si la teneur en fer est au moins égale à A ;
  3. provient de carrières en exploitation que la société souhaite également acquérir en fonction de la teneur du sable en fer (Nemours).

Le mois suivant, il fait revenir de Château-Thierry 30 tonnes en deux wagons "bien propres" afin de procéder à des essais en grand, ayant acquis la conviction qu'un mélange par moitié de sable de Nemours et de sable de Château-Thierry donnerait des résultats très satisfaisants.

La société expédie, dès l'ouverture de la carrière de Port-à-Binson, d'importantes quantités de sable à toute une clientèle variée. Dès 1873, le sable part pour les verreries de Vannes-le-Châtel, Fains, Baccarat, Saint-Louis, Clairey, La Rochère, La Neuveville (Nancy), Bayel, Les Islettes, Croismare, Sars-Poteries. Plus tard, sont servies la verrerie à bouteilles de Gironcourt (Vosges) ainsi que les verreries champenoises à Reims et les verreries de la Sarre. Dans l'immédiat après guerre, A. Richard annonce à Joseph Didot, administrateur-délégué de Clairey, qu'il va recevoir fin septembre 1919 au port de Thaon un bateau chargé de sable de Nemours. Il peut lui en céder 30 ou 40 tonnes. Le directeur de Portieux rétrocède également du sable à la verrerie de La Rochère et à celle de Vannes-le-Châtel. Le sable de Port-à-Binson fournit la glacerie de Cirey, les faïenceries de Lunéville, Saint-Clément, Sarreguemines. La compagnie des chemins de fer de l'Est et de nombreuses usines : fonderies, ateliers de mécanique en particulier figurent parmi les clients. Les carrières de Château-Thierry, de Nogent-l'Artaud puis celle de la compagnie des sables et grès de Fontainebleau et Nemours poursuivent cette active politique de livraison. La fonderie Tagliassaccki de Milan, fidèle client, reçoit plus de 141 tonnes en avril 1933 ; la société de constructions mécaniques de Saint-Quentin, la société des tubes de Vincey (Vosges) respectivement 10 tonnes.

C'est sous l'impulsion de E. Thébault, qui assure seul à partir de juillet 1930 la direction des carrières de Nogent-l'Artaud et de Château-Thierry, que reprend une politique commerciale de vente du sable plus incisive. Le directeur de Portieux qui envisage la fermeture de Nogent-l'Artaud finit par y renoncer.

Thébault rend visite à des établissements pour y rencontrer chef des ventes ou chef de fabrication. Il fait des offres à plusieurs usines importantes afin de les enlever à la concurrence : Polliet et Chausson, Compagnie Nationale des Radiateurs à Dôle qui a besoin de 15 à 20 bateaux par an, la verrerie Charbonneau à Reims qui fabrique du verre à bouteille et des isolateurs. Il écrit aux usines Renault à Billancourt, à celles de la société Citroën... Les expéditions de sable de Château-Thierry s'effectuent par eau tant en sable blanc qu'en sable bis. Le choix de ce moyen de transport est dicté par l'aménagement spécial destiné à charger les bateaux dans des délais très brefs et par la destination principale vers le grand Est qui fait que cette carrière présente un avantage de frêt de 1 franc par tonne sur Nogent-l'Artaud. A cela s'ajoute le fait que Château-Thierry est l'exploitation principale qui peut, à elle seule, faire face à toutes les commandes importantes dont les livraisons s'effectuent par bateaux. La carrière peut aisément assurer une extraction annuelle de 50.000 tonnes. En cas d'incidents exceptionnels, il est possible de charger momentanément les bateaux à Nogent-l'Artaud. Lorsque la Marne ne permet pas la circulation des bateaux, les expéditions de Château-Thierry se font par voie ferrée. L'utilisation du canal donne des à-coups dans l'exploitation du sable de Château-Thierry et oblige les usines acheteuses à posséder d'importantes aires de stockage pour faire face à l'arrêt du trafic en cas de pénurie d'eau ou de gel.

La société passe par les services d'un revendeur de sable de Nancy E. Bur qui écoule la production des carrières de Nogent-l'Artaud, Château-Thierry et de la société des sables et grès de Fontainebleau et Nemours dirigée par Jean Gérardin. Ce revendeur a pour territoire d'action le grand Est de la France et la Sarre. Il se rend dans cette région en novembre 1930 pour rencontrer la concurrence des sablières de Gründstadt, Palatinat, où une société vient d'installer de grands lavoirs pour éliminer l'alumine contenue dans le sable. Les offres faites à Bur représentent une différence de 7 francs par tonne entre les sables de Château-Thierry, vendus aux verreries de la Sarre et ceux de Gründstadt. En supplément des frêts de Château-Thierry, il faut tenir compte des frais de transbordement à Sarrebrück en wagons pour réexpédier aux différentes verreries alors que les sablières de Gründstadt se trouvent à une soixantaine de kilomètres de ces usines. Bur invite Thébault à consentir une réduction d'un franc par tonne afin de renouveler le contrat qu'il a avec les verreries de la Sarre et d'éviter que des liens se nouent entre les verreries et les sablières de Gründstadt. Faisant valoir ces arguments, Bur obtient des tarifs préférentiels, à charge pour lui de rechercher les bateaux nécessaires aux expéditions. Le directeur des carrières de la Marne, avec l'accord de la direction de Portieux, propose :

La vie des carrières dépend prioritairement de cette clientèle de la Sarre et de celle que représentent les usines de Saint-Gobain et plus particulièrement l'usine de Cirey. En septembre 1930, Thébault négocie la fourniture de 12 à 14 bateaux avec le directeur du service des approvisionnements de Saint-Gobain. Le sable doit être livré pour la fin de l'année. Il obtient également la fourniture d'une cinquantaine de bateaux pour l'année 1931. Au cours de ce mois de septembre, la carrière de Nogent-l'Artaud produit, malgré les travaux de moisson et de foin qui retiennent les ouvriers, plus de 800 tonnes de sable. Les livraisons déclinent à partir de décembre 1930. En mars 1931, Château-Thierry n'expédie qu'un bateau pour Saint-Gobain, un seul autre étant prévu pour avril. Les maisons Bur (pour la Sarre) et Saint-Gobain, base de l'affaire des carrières, présentent des commandes nettement insuffisantes. Trouver d'autres débouchés devient urgent pour assurer aux exploitations une extraction normale et assez élevée en raison des prix consentis et des frais généraux. "Il faut faire feu de tout bois et ne pas se laisser devancer par nos concurrents" affirme Thébault.

Au mois d'octobre, 7 bateaux partent de Château-Thierry qui produit 2.000 tonnes alors que l'on extrait que 350 tonnes à Nogent-l'Artaud. Sans être brillant, ce mois n'est pas totalement creux. Saint-Gobain et Bur ne demandent que 3 bateaux en novembre. Un bateau part pour Brousseval. Thébault ne peut faire de prévisions pour Nogent-l'Artaud. Les verreries mécaniques de Reims sont à l'arrêt ainsi que plusieurs autres usines qui assuraient par 100 à 120 tonnes la marche de cette carrière. L'Italie commande peu et Thébault s'inquiète. Les difficultés se confirment fin 1931. Saint-Gobain qui n'a passé commande que d'un bateau, en décembre, l'annule. Bur n'est pas affirmatif pour la commande de 2 à 3 bateaux. De toute part, le sable se vend à des prix inférieurs. La société industrielle de Nemours vend 13 à 14 francs la tonne de sable de deuxième choix qui en matière de verrerie équivaut à celui de Nogent-l'Artaud et Château-Thierry. Les prix chutent lentement. Saint-Gobain paie 14 et 15 francs la tonne pour deux bateaux en mars 1932. L'usine de Cirey commande 60 tonnes par jour ouvrable, en juin 1934, ce qui représente un intérêt certain dans une période difficile. Les exigences de la direction de l'usine Meurthe-et-Mosellane créent des soucis à Thébault. Cirey souhaite 40 tonnes de sable bis et 20 tonnes de sable de fusion, ce qui oblige le responsable des carrières à envisager l'achat de camions pour convoyer le sable jusqu'à la gare de Château-Thierry alors que le chargement par fer coûte 2 francs plus cher que par la Marne. Cirey veut supprimer l'obligation qui lui est faite de constituer des stocks importants en raison des aléas du transport fluvial. En 1935, les livraisons des carrières baissent de 40 %. A la veille de la seconde guerre mondiale, la clientèle qui se diversifie procède par modestes commandes. Parmi les 28 clients recensés en novembre 1939, 18 livraisons ne dépassent pas 20.000 kilogrammes.

La recherche des carrières de sable dont la possession assure la pérennité de la verrerie s'effectue avec un volontarisme acharné et avec une certaine fébrilité.

La société achète ses carrières pour ne pas dépendre de concurrents. C'est, au contraire, des usines métallurgiques mais aussi d'autres verreries qui se font livrer cette importante matière première par Portieux. L'achat des carrières s'effectue dans la période de relance de Portieux et dans les moments de forte production.

Notes
282.

Série communale Portieux ; A.D.V.

283.

Tous les éléments qui concernent le sable viennent de :
Inventaires : 53 J 23 - 66 ; A.D.V.
Conseil d'administration : 37 J 18 - 28 ; A.D.M.
Assemblées générales : A.P.
Procès Lallemand : 53 J 770 ; A.D.V.
Lettres du directeur Richard : 53 J 714 ; A.D.V.
Lettres d'Auguste Lefèvre (1914) entrepreneur des carrières ; A.P.
Lettres de Thébaut (1929-1935) directeur des carrières ; A.P.