2.2 - Développement du pensionnat ( fig. 35 et 36 )

Le développement de l'usine de Portieux nécessite de recruter progressivement et en nombre de plus en plus important des jeunes apprentis à l'extérieur de la section de la verrerie. Il convient donc de les loger. En 1871, 15 enfants sont accueillis dans l'ancienne chapelle transformée en dortoir. Cette solution ne donne pas satisfaction et G. Chevandier souhaite établir à Portieux une installation pour les gamins. Il s'adresse à A. Michaut de Baccarat en février 1872 314 pour lui demander des renseignements sur "la maison des orphelins de Baccarat". Les questions portent sur l'organisation générale ; la direction ; la nourriture ; les logements en dortoirs, en chambres ou en "cellules" ; l'instruction scolaire et religieuse ; les frais prélevés sur les salaires des gamins ; les traitements alloués. L'objectif consiste à fixer ces jeunes à Portieux pour assurer leur éducation d'ouvriers : "Il vaut mieux faire des sacrifices momentanés pour les conserver chez nous que d'avoir plus tard pour

les y ramener à passer par des exigences qui pourraient nous coûter beaucoup plus cher, sans parler des conséquences de leur passage dans d'autres usines, mauvaises habitudes prises..." 315 . Le conseil présente à l'assemblée générale de septembre 1872 l'utilité de construire un bâtiment destiné à 50 gamins étrangers à la localité "qui y trouveront l'instruction gratuite, le logement et au moyen d'une retenue faite sur leurs salaires la nourriture". L'édification du pensionnat de Vallérysthal se décide en 1876 316 . On prévoit un grand bâtiment composé de 4 dortoirs de 14 lits chacun.

Ce dernier établissement fonctionne en 1877. A Portieux l'évolution de la capacité d'accueil suit la courbe de croissance du recrutement des jeunes 317 . Bien que l'on ait pu en 1874 recruter quelques apprentis des environs, il faut dès 1878 envisager, parallèlement à la modification des écoles, l'extension du pensionnat : réfectoire et dortoir. La pension annexe les locaux où se trouvaient les classes des grandes filles et des garçons. A partir de 1905, les recherches de gamins dans le pays s'avèrant vaines, le recrutement s'effectue à grande échelle selon des modalités que nous exposons plus loin. Le pensionnat devient insuffisant et X. Mougin présente les plans du futur bâtiment et de l'agrandissement des écoles 318 . L'ancien lieu d'hébergement est alors transformé en 5 logements. En 1906, l'usine manque toujours de jeunes apprentis. Elle en accueille 63 alors qu'il en faudrait 80. Une nouvelle campagne de recrutement conduit à agrandir le pensionnat de 2 ailes, afin de créer réfectoires et nouveaux dortoirs 319 . Le maximum d'accueil est alors atteint et le bâtiment ne connaît plus de modifications jusqu'à sa destruction 320 .

Le pensionnat accueille des jeunes venus de l'extérieur et très peu du milieu rural proche. L'implantation dans ce milieu et, de surcroît dans une localité isolée, ne facilite pas la venue massive du personnel issu des environs. Il faut également considérer, et nous l'avons déjà mentionné, la très grande réserve de la population rurale par rapport au monde industriel. De plus, ce réservoir de main-d'oeuvre s'épuise face à l'appétit de l'entreprise 321 . On pourrait s'attendre à voir arriver des ouvriers qui habitent dans les villages (fig. 37) situés sur la ligne du chemin de fer Charmes-Rambervillers : Moriville, Rehaincourt, Ortoncourt, Moyémont, Romont ; l'examen des registres de dénombrement de population permet de répondre par la négative 322 . Mis à part le village très proche de Moriville, peu de ruraux se soumettent à ce qu'on appelle aujourd'hui "les mouvements pendulaires". En 1911, 91 verriers résident à Moriville d'où il est aisé de se rendre à la verrerie par des chemins de traverses ; pour les autres villages constatons que plus on s'éloigne de la verrerie, plus le nombre de verriers est faible : Rehaincourt 10, Ortoncourt 6, Moyémont 1, Romont 0. L'exploration des registres des villages situés à proximité de la ligne de chemin de fer ne dément pas l'affirmation précédente. Damas-aux-Bois accueille 1 verrier ; à Haillainville, Fauconcourt, Saint-Maurice-sur-Mortagne, Hadigny on ne trouve aucun verrier en 1911 ; de même qu'à Langley et Essegney villages proches de Charmes ; seul Saint-Genest envoie 8 ouvriers à la verrerie. Dans les gros bourgs à l'extrémité de la ligne, Charmes et Rambervillers, dans ceux de la vallée de la Moselle, Châtel, Nomexy, Vincey, des industries diverses emploient la main-d'oeuvre locale : textile, broderie, brasserie... La direction de l'usine ne cherche pas à tout prix ces ouvriers qui se déplacent quotidiennement pour se rendre à leur travail. Habiter à proximité de l'usine c'est être plus disponible pour la tâche proposée par l'entreprise. Lorsque le président du conseil d'administration explique que le rendement des verriers de Portieux est supérieur à celui de leurs camarades de Vallérysthal, il développe cette argumentation : "les ouvriers de Vallérysthal sont, pour la plupart, propriétaires d'une maison et de terres dans les villages voisins ; ils ont des animaux à soigner et de la culture à faire. Quand ils arrivent à l'usine le matin, ils ont déjà fourni un travail appréciable et avantageux d'ailleurs pour eux et ils ne sont pas frais et dispos comme leurs camarades de Portieux, qui n'ont pas d'occupations analogues" 323 .

Figure 37 : Carte des villages cités
Figure 37 : Carte des villages cités

Si le milieu rural se montre méfiant vis-à-vis du monde industriel, la réciproque semble vraie du moins pour les dirigeants de Portieux et de Vallérysthal. Le mouvement d'enracinement de l'ouvrier sur le lieu de son travail trouve sa forte motivation dans cette idée de disponibilité mentale et physique du verrier. Un petit jardin suffit à délasser le personnel tout en constituant un appoint non négligeable au salaire.

Notes
314.

Lettre de Chevandier à Michaut ; 37 J 31, A.D.M.

315.

Lettre de Chevandier à A. Thouvenin ; 37 J 31, A.D.M.

316.

Le pensionnat de Vallérysthal ("le Bouillon") : assemblée générale octobre 1876 ; 37 J 32, A.D.M.

317.

En 1886 le pensionnat compte 42 jeunes ; en 1896 : 51 ; 1901 : 33 ; 1906 : 63 ; 1908 : 102 ; 1911 : 89 ; En 1914, le pensionnat accueille 90 jeunes dont 20 Espagnols. 6 M 352 Portieux, registres de dénombrement de population, A.D.V. et courrier du directeur.

318.

Conseil d'administration de juin 1905 ; 37 J 23, A.D.M.

319.

Conseil d'administration de mai 1908 ; 37 J 24, A.D.M.

320.

L'achat du pensionnat puis sa destruction par la municipalité pour bâtir une école maternelle constituent un tournant dans la vie de l'entreprise après 1950.

321.

36

322.

Les villages réservoirs de main-d'oeuvre : voir fig. 20

323.

Lettre à Poincaré, président du conseil le 16 juillet 1929 à propos de la grève ; 37 J 13, A.D.M.