L'apprentissage est nécessaire pour devenir verrier. Cette formation s'effectue de manière organisée et le plus souvent sur "le tas", au contact de la réalité du métier et selon le bon vouloir des verriers expérimentés. La volonté du jeune, sa détermination à franchir les échelons que comporte le métier comptent pour beaucoup dans l'acculturation à la profession. Il est absolument impossible d'apprendre le métier autrement qu'autour du four qui contient la matière en fusion. Une pièce de verrerie passe entre les mains de chacun des ouvriers-verriers composant une place (chantier) sous les ordres et la responsabilité d'un chef de place, ouvreur ou premier souffleur et dont les collaborateurs sont par ordre de gradation descendante : le deuxième souffleur, le troisième souffleur, le quatrième souffleur, le cueilleur et enfin le porteur à l'arche. Il est d'usage que dans le dernier quart d'heure de travail, le chef de place quitte son banc pour laisser la place à son suivant et chacun des ouvriers prenant la place du grade immédiatement supérieur ; le deuxième souffleur prenant la place du premier, le troisième souffleur prenant la place du deuxième. C'est ainsi que, méthodiquement, se pratique l'apprentissage du jeune verrier. Souvent la pièce défectueuse casse, entraînant une perte sèche pour l'entreprise 482 . A. Richard décrit ce fonctionnement qui tend à l'idéal pour justifier la demande d'exonération de la taxe d'apprentissage 483 . Le plus souvent, le tour de mains s'acquiert au hasard des bonnes volontés et des liens qui unissent le jeune à un aîné. Eugène Saulnier, via Michel Chabot, raconte comment le père Pilon l'initie au métier de verrier alors qu'il est passé d'ouvreur de moule à porteur à l'arche : "je suis redevable au père Pilon d'avoir été si patient avec moi ; il avait l'amour de son métier, ce bonhomme-là, et savait le faire partager. Il n'était pas méprisant, ne nous regardait pas de trop haut ; il avait plutôt dans l'idée de nous débrouiller. Si un souffleur pris par une envie subite s'absentait, plantant là la canne, il m'interpelait aussitôt : << Isidore, va donc prendre la suite ! >>. Je me sentais gauche, empoté, les mains embarrassées, mais le père Pilon prenait son temps, il avait les gestes qu'il fallait pour vous montrer. Cueillir le verre en fusion, c'est l'équilibre qui le fait tenir ; c'est en tournant toujours qu'on arrive à le maintenir, il faut tourner sans cesse. (...) La première fois, c'est difficile. Nos ébauches vont rejoindre le lot des "bousillées". Nos bouteilles ont des formes plus qu'approximatives, mais même une bouteille ratée, ça vous donne du courage, on s'y redonne surtout quand ça plaît, alors on ne rechigne pas à y consacrer son repos. La grande pose de quarante minutes s'en trouve souvent écornée, le casse-croûte était vite expédié au profit du lent apprentissage de souffleur. Au fond de lui-même, le père Pilon qui avait la réputation d'être un ouvrier hors-pair, entendait faire de nous de "vrais" verriers, des gars capables à la seule force de leur souffle et de leur savoir-faire de tirer des objets aux formes libres, qui n'étaient pas passées par le canevas du moule. << Rappelez-vous, les gamins, nous répétait-il, le métier de verrier est un métier d'art >>" 484 .
C'est sur ce modèle que la plupart des jeunes s'initient au métier et progressivement mûrissent leur habileté professionnelle. Durant le temps du repas de midi, nombreux sont ceux qui s'exercent librement pour créer des objets selon leurs fantaisies, des pièces appelées "bousillages" ou "braguettages", présentant souvent des imperfections dues à une mauvaise finition. Faire naître un objet de ses propres mains, c'est se montrer digne d'accéder au rang de verrier. Sous cette forme, l'apprentissage ne coûte rien à l'usine. C'est donc un avantage pour le patron qui a tout intérêt à laisser se développer ce genre de pratique.
La perte est estimée à 27.000 francs pour Portieux en 1924 ; 53 J 714, A.D.V.
Le directeur présente la formation des jeunes comme se déroulant de manière idéale pour justifier, en 1926, la demande d'exonération de la taxe d'apprentissage ; 53 J 714, A.D.V.
La loi de finances du 13 juillet 1925 instituait cette taxe, d'un montant de 0,20 % des salaires, et payée par les entreprises. Il s'agissait de doter l'enseignement professionnel de ressources propres et d'inciter les entreprises à organiser une formation professionnelle. Dans la mesure où elles justifiaient les dépenses engagées dans ce but, elles pouvaient être dispensées de la taxe par les comités départementaux.
Histoire d'Eugène Saulnier... pp 44-45.