3 - Le travail des femmes

Des familles nombreuses arrivent à la Verrerie dans la période de fort développement. Nous avons vu s'installer en 1903, venant d'Avrainville, la famille Bareth. Plus précocément, d'autres ont déjà effectué le même trajet qui les conduit de la campagne proche à l'industrie. La famille de Joseph Bigel quitte le village natal de Florémont vers 1884. La mère née Joséphine Malthiéry à Florémont est âgée de 37 ans en 1886. Elle élève sa famille qui se compose à cette époque de dix enfants âgés de 18 ans à 2 mois. Quatre autres enfants naissent par la suite. Dans ces conditions, il est aisé de comprendre qu'elle se contente d'élever sa progéniture. Cette tâche suffit à remplir sa vie. De nombreuses mères de familles partagent la condition de Joséphine ; ainsi, Françoise Thomas, née Malbaun, vaque-t-elle à ses occupations quotidiennes dans son logement de la cité pour entretenir le foyer qui héberge dix personnes, dont un neveu verrier ! Balbine Fix, née Rauher, partage le même sort puisqu'elle entretient le ménage composé de onze personnes. Lorsque la mère de famille nombreuse possède une occupation en dehors des tâches domestiques, c'est un petit métier à domicile qu'elle exerce, brodeuse le plus souvent. Dans le cas où les familles sont moins importantes, en règle générale vers 1886, les femmes ne sont pas employées à l'usine. Outre le fait d'avoir une famille importante, un autre élément joue en faveur de l'enracinement de la mère au foyer. En effet, les femmes arrivent à la Verrerie dans un âge relativement avancé, 37 ans pour Joséphine Bigel, et venant de la campagne où leur condition sociale les confine au foyer. Progressivement, au détour du siècle, les femmes mariées assument, en plus de leurs charges traditionnelles, un travail à l'usine. Jeunes filles, ayant pris l'habitude d'exercer une profession à la verrerie, elles continuent après leur mariage de façon à améliorer l'existence quotidienne. La continuité dans le travail explique en grande partie la diminution du nombre des naissances dans les familles de verriers avec pour corollaire la nécessité pour la direction de l'usine de faire appel à une main-d'oeuvre extérieure.

La trajectoire de la famille Bigel illustre les phénomènes indiqués. Les filles Valentine, Maria, Zélie, Camille, Elodie, Clémence, Lydia, occupent toutes des fonctions à la verrerie : biseauteuse, emballeuse, rebrûleuse, coupeuse 512 . Elles unissent leur destinée à des verriers et poursuivent leur activité professionnelle. Elodie qui a quatre ans lorsqu'elle arrive à la Verrerie entre à l'usine en 1894, âgée de 13 ans, pour exercer les fonctions de biseauteuse. Elle épouse un verrier, André Röhr. Le couple conserve la même situation sociale jusqu'à la guerre où André décède le 23 juin 1916 devant Verdun. La fille du couple, Thérèse, travaille comme emballeuse quelques mois lors de sa treizième année. Les hommes de la famille se marient à des jeunes filles travaillant à la verrerie. Ces dernières conservent leur position professionnelle après le mariage. Stéphane Bigel vient au monde à la Verrerie le 30 mai 1890 et entre à l'usine à 13 ans. Il épouse Marie Triboulot, biseauteuse née à Moriville. Le couple, sans enfant, conserve le même statut professionnel au moins jusqu'en 1926. Les propres enfants des fils et filles Bigel deviennent verriers pour la plupart. Marcel se marie à Isabelle Bichet, laveuse, entrée à l'usine en 1907. La fille du couple, Marcelle, est emballeuse en 1911. Au grand mécontentement du directeur, Marcel Bigel part s'installer à Nancy chez Daum en août 1913 pour être ferrassier. Progressivement, c'est à une dispersion de la famille à laquelle nous assistons après la première guerre mondiale où périssent deux enfants Bigel : Marc en 1914 à Neufchâteau en Belgique ; Antoine en 1915 à Langemont en Belgique également. Camille, emballeuse en 1906, biseauteuse en 1911, habite au village de Portieux en 1921. Elle est taraudeuse à l'usine des tubes de Vincey, aux côtés de son mari Adolphe Benoît, gazier. Leur fils Clothaire ne prend pas le chemin de la verrerie ; il entre comme bobineur à la société cotonnière de Vincey. Jusqu'en 1931, la situation familiale ne change pas 513 .

La nature du travail des verriers qui oeuvrent autour des fours exclut les femmes du lieu même de transformation de la matière première en objets manufacturés. Elles sont nombreuses dans les places qui ne demandent pas une grande qualification : à l'emballage, empaquetage, groisillage où il s'agit de trier le verre qui entre dans les compositions. En 1910, à l'emballage, pour 42 hommes dont 2 cloueurs de caisses, nous comptons 40 femmes : 29 emballeuses et 11 empaqueteuses. Elles occupent majoritairement des postes qui exigent dextérité ou finesse d'exécution : au biseautage, coupage, rebrûlage, à la gravure chimique et au décor. Quelques femmes, adroites décoratrices, ornent certaines pièces à l'or fin, les dessins étant tracés sur la "tournette". L'or est réparti avec le "putois" et le décor fixé après passage dans un "moufle", four de recuit. A l'étape ultime du "grand choix" avant l'emballage, des choisisseuses sélectionnent les pièces, renvoyant à la casse celles qui possèdent "bouillon", bulle d'air prisonnière du verre ; "caillou", poussière ayant adhéré au verre en cours de route ; "crasse", cheveux visibles en filigrane...

En 1912, on dénombre :

Si l'on ajoute à ces chiffres les 6 institutrices et aides de classe, l'usine compte 404 femmes, soit 31,5 % du total des ouvriers 514 .

Le parcours professionnel des femmes à la verrerie ne diffère guère de celui qui est tracé pour elles dans les autres industries. Elles apparaissent de façon dominante dans les fonctions qui requièrent un savoir-faire vite acquis ; certaines catégories n'exigent aucune qualification : laveuses, essuyeuses, ce qui permet au directeur d'engager rapidement du personnel dans le besoin : veuves par exemple.

Notes
512.

Famille Bigel : Auguste, blanchisseur de moules ; Clémence, coupeuse ; Camille, biseauteuse ; Marcel, verrier ; Elodie, biseauteuse ; Antoine, verrier ; Lydia, emballeuse ; Marc, tailleur ; Stéphane, verrier ; Zélie, empaqueteuse ; Marcelle, emballeuse ; René, apprenti-verrier ; Eugène, verrier. Entrées échelonnées de 1884 à 1910. Excepté René entré en 1920.

513.

La plupart des informations ont été prises dans 6 M 362, A.D.V.

514.

Registre des retraites ; 53 J 615, A.D.V.