La politique des salaires se fonde sur plusieurs éléments : le climat social de l'usine, la comparaison avec d'autres verreries, l'âge de l'ouvrier et parfois son mérite.
Afin d'éviter la fuite des jeunes ouvriers vers d'autres verreries, on procède en 1898 à un relèvement des salaires de la halle 515 . En novembre 1911, le directeur établit une comparaison des salaires perçus par les 3e, les 4e et les cueilleurs à Bayel, chez Legras et à Portieux dans le but de convaincre le conseil d'administration de la nécessité d'une augmentation. Il est vrai que l'usine se trouve alors confrontée à des difficultés de recrutement. A la halle, 35 quatrièmes gagnent en moyenne 65 francs alors qu'ils bénéficient de 120 francs à Bayel et 140 francs chez Legras ; quant aux 70 cueilleurs, ils reçoivent 45 francs à Portieux alors que Bayel offre à cette catégorie 55 à 60 francs. Ainsi, la proposition consiste à augmenter les troisièmes et quatrièmes de 15 % et les cueilleurs de 3 francs. Néanmoins, les salaires demeureraient nettement inférieurs à ceux octroyés par les deux autres verreries de référence. C'est pourquoi, le directeur élabore des propositions sur la base d'augmentations plus significatives : 20 % et même 25 %. Par réalisme, car il établit le coût pour l'usine sur une année, il élimine l'hypothèse d'une augmentation de 25 %. La solution retenue, 20 %, situe les salaires de Portieux : pour les quatrièmes à 78 francs et pour les troisièmes à 107 francs. Malgré cet effort, les salaires sont encore très nettement inférieurs à ceux de Bayel : 78/100 et 107/120 et largement déficitaires par rapport à ceux de chez Legras 78/100 et 107/140. Quoiqu'il en soit , un tel effort d'augmentation argumenté par le directeur ne peut qu'encourager le recrutement de nouveaux éléments et l'enracinement des anciens. L'objectif prioritaire des patrons de verreries implantées en milieu rural consiste, pour conserver leur personnel, à maintenir les salaires en rapport, prioritairement, avec ceux de la région et à les rendre suffisamment attractifs pour que les ouvriers ne soient pas attirés par les verreries de Paris. Joseph Didot, directeur de la verrerie de Clairey, s'oppose nettement à la proposition de Legras de la chambre syndicale de relever les salaires en 1913. Cette proposition, précise-t-il, est "très utile à M. Legras et aux verreries des grands centres pour leur permettre d'attirer à la verrerie des ouvriers allant à d'autres industries (...). J'estime, ajoute-t-il, que la mesure proposée par M. Legras serait plutôt contraire à nos intérêts, facilitant le développement des verreries des grands centres qui nous feraient une concurrence plus sérieuse." 516 . La référence aux autres verreries et surtout à celle de Bayel apparaît constamment. Ainsi, l'indemnité de vie chère augmente le 1er octobre 1920 à Portieux en fonction de ce que Bayel a décidé pour ses propres ouvriers 517 . En avril 1923 le directeur, malgré une hausse significative de 10,5 % des salaires en cours, écrit au président Gérardin : "les salaires augmentés ne sont pas encore équivalents à ceux de Bayel et consorts d'après les chiffres que l'on me communique dernièrement et c'est ce qui m'inquiète". Le président finit par céder aux objurgations du directeur alors qu'une hausse ne semblait pas, pour lui, s'imposer car Bayel et même Daum à Nancy n'offrent pas aux ouvriers les mêmes avantages qu'à Portieux.
Le 10 décembre 1900, les tailleurs de Vallérysthal se mettent en grève réclamant 25 % d'augmentation. En accord avec le conseil, la direction leur accorde 8 %. Le directeur de Portieux, X. Mougin, intervient alors, suite à cette concession, pour améliorer le tarif des tailleurs de Portieux. Par un phénomène de contagion, le directeur obtient les pleins pouvoirs pour proposer 6 %. Il avance parfois l'hypothèse de revendications pour convaincre le conseil d'administration tout en arguant du fait que des industries concurrentes pour le recrutement de la main-d'oeuvre s'installent à quelques kilomètres, comme c'est le cas pour la station électrique de Vincey en 1912. Le conseil d'administration accepte parfois les propositions d'augmentation pour un ouvrier méritant. Il en va ainsi pour Alphonse Mathieu entré à la taillerie en juillet 1885, marié, deux enfants en bas âge et dont le traitement est insuffisant. Le directeur "qui est content de Mathieu" propose la somme de 200 francs. Etant donné que Richy son chef, ancien tailleur, gagnerait moins que lui, la somme de 200 francs est versée de la main à la main à titre de secours 518 .
Le directeur repousse les réclamations individuelles, trouvant toujours à justifier son refus. Auguste Mermans, employé, se plaint de son salaire. Il lui est rappelé ses diverses augmentations et gratifications et signalé que l'appréciation n'est pas fondée seulement sur la présence à l'usine mais aussi "sur l'intelligence, l'énergie, la manière de travailler, le degré d'instruction" 519 . En tant qu'employé, Mermans touche 1.200 francs en 1899 et 1.600 francs en 1908 alors que ses gratifications s'élèvent respectivement à 175 francs et 440 francs. En 1908, il gagne un salaire supérieur à celui de la directrice de l'école 1.600/1.200.
Le charretier Emile Lamy écrit au directeur pour se plaindre de ses conditions de vie. L'usine lui accorde 3 francs par jour de travail et il ne touche rien le dimanche alors qu'il arrange les chevaux jusqu'à midi : "3 francs entre 9 ça fait même pas chacun 0 f 35 c'est triste il me faut 3 miches de pain 2 f 25 et 0 f 30 de lait il reste donc 0 f 45 pour le lard légumes sucre café et tabac, encore le pétrole compris dedans (...). Je ne pense pas moi qui fais 13 heures 1/2 par jour et même 15 et 16 en fenaison je puisse vivre avec 7 sous par jour et mon garçon qui est dans 17 ans, la tête toute la journée au feu dans le moment où il mange le plus et que le corps a le plus besoin de nourriture, que c'est avec 7 sous que je peux lui faire passer la journée". Après avoir exposé ses difficultés de vie, E. Lamy menace de finir le mois de juin puis de quitter l'usine et de placer son garçon et sa fille "pour aller en fenaison". Atténuant ses propos, il écrit en guise de conclusion : "monsieur Richard, vous êtes un homme bon, loyal et franc ce n'est pas vous qui êtes en jeu" ; pourtant c'est bien le directeur qui lui répond qu'il ne l'oubliera pas lorsqu'il reverra les salaires au mois de juillet comme chaque année. Pour faire tomber la revendication, il use d'un argument fort : ailleurs E. Lamy peut gagner 0 f 40 de plus mais sans toucher de retraite et sans pouvoir être assuré de "l'avenir d'un bon métier pour les enfants" 520 . D'autres prétextes sont utilisés pour rejeter les demandes d'augmentation. J.B. Bichet qui se plaint de son salaire se voit répondre qu'il gagne de l'argent au bois dans les heures de liberté que lui laisse le travail à la halle 521 .
Certains avantages tels que, entre autres, l'attribution de logements de 2, 3, 4 ou 5 pièces au tarif de 1 f par pièce et par mois ; la participation aux bénéfices et les dépôts de fonds qui permettent de toucher des intérêts entrent dans la politique des salaires dans la mesure où cela évite d'augmenter les revenus des ouvriers.
Propositions du directeur :
Lettre de J. Didot ; 53 J 63, A.D.V.
1er octobre 1920 ; modification de l'indemnité de vie chère :
ouvriers de plus de 18 ans, chef de famille 45 francs 90 francs ;
ouvrières maîtresses de foyer 35 francs 80 francs ;
célibataires de plus de 18 ans 25 francs 50 francs ;
ouvriers et ouvrières de moins de 18 ans 20 francs 40 francs.
37 J 2, A.D.M.
53 J 714, A.D.V.
Lettre de Lamy - style respecté - 53 J 63, A.D.V. et réponse du directeur, juin 1914 ; 53 J 514, A.D.V.
Lettre du directeur, réponse à Bichet, janvier 1919 ; 53 J 714, A.D.V.