L'exercice 1906-1907 dégage, pour les deux usines des bénéfices supérieurs à ceux de l'exercice précédent. Dans ce contexte, le conseil d'administration rappelle que le bien-être du personnel fait l'objet de constantes préoccupations et il cite les actions entreprises : amélioration et construction de nombreux logements, création pour les gamins d'un vaste pensionnat avec des dortoirs spacieux, des salles d'étude et de récréation, des salles de douches et de bains. Il présente également les projets : agrandissement des écoles devenues trop petites pour accueillir les 300 enfants qui les fréquentent. A Vallérysthal, on envisage de créer "une maison de refuge, avec cuisine et réfectoire, pour héberger entre les heures de travail les ouvrières venues du dehors. Il est prévu de faire préparer les repas par une ou deux ouvrières à tour de rôle : c'est, par le fait, une école de cuisine qui aide à en faire plus tard de bonnes ménagères. Cependant, le conseil propose aux actionnaires de prendre une nouvelle et importante décision : "à l'exemple d'autres sociétés, éprises comme la nôtre de sentiments de justice et de solidarité pour leurs ouvriers, nous désirons, comme elles, faire participer les nôtres aux bénéfices des usines". Le conseil propose donc de répartir, au titre de l'exercice 1906-1907, une somme de 100.000 francs à partager entre les deux établissements. Les buts sont clairement énoncés ; il s'agit d'augmenter la reconnaissance des ouvriers afin de les encourager à rester fidèles, et "à résister à des sollicitations et à des influences qui, sous des formes bénignes ou soi-disant philanthropiques, ne tendent à rien moins qu'à les pousser à l'indiscipline et à l'oubli de leurs devoirs" 522 . Contrer les menées de ceux qui souhaitent provoquer une grève à Vallérysthal, et en particulier les curés de la vallée dont l'abbé Wack, voilà l'objectif majeur avancé par Bricka le directeur de cette usine lorsqu'il propose, début 1907, de créer la participation aux bénéfices 523 . Bricka énonce son projet au conseil d'administration : appeler "part de bénéfices des ouvriers" la dotation faite chaque année dans la répartition des bénéfices sous le titre "subvention à la caisse de retraites et fonds de secours" ; créer une association amicale des ouvriers de Vallérysthal de manière à amener la paix et la tranquillité au sein des ouvriers et au sein de l'usine, de manière également à maintenir une bonne entente entre les ouvriers et l'administration de l'usine. Il prévoit de faire diriger l'association par un comité de cinq membres délégués des ouvriers, de deux autres membres délégués des employés, du directeur et du secrétaire. Tous les membres de l'association sont intéressés aux bénéfices, sans avoir droit de regard sur la comptabilité. C'est l'assemblée générale qui doit fixer chaque année, sur proposition du conseil d'administration, la part des bénéfices à distribuer aux ouvriers. De cette part est déduite la somme nécessaire servant à combler le déficit éventuel de la caisse de retraite des ouvriers. Le comité peut proposer une gratification spéciale pour un ouvrier lors de sa mise à la retraite si cet ouvrier s'est distingué par sa bonne conduite et son assiduité au travail. Acceptée par le conseil d'administration, la création d'une association analogue est réclamée par le directeur de Portieux qui en organise le réglement. Le comité de répartition comprend 9 membres ayant plus de 10 ans de service, élus par leurs camarades ayant au moins 5 années d'ancienneté. Le comité doit comprendre : 2 verriers, 2 ouvriers du coupage, 2 ouvriers des services divers, un ouvrier de la gravure chimique 524 . Le directeur, président du comité, ouvre la première séance le 9 mars 1907, avant que l'assemblée générale ne ratifie la proposition. La formule de répartition est définie selon le degré d'ancienneté des ouvriers, groupés par catégorie :
Le réglement stipule que tout ouvrier(ère) qui quitte l'usine, même à la veille de la distribution, est déchu(e) purement et simplement de ses droits à la participation. Le directeur, qui a en fait tout pouvoir, utilise la menace de la réduction des gratifications de fin d'année comme moyen de pression pour juguler des comportements défaillants ou pour faire revenir un ouvrier dans le droit chemin. Ainsi, en 1914, un employé qui est suspendu de son traitement pour 10 jours voit, de surcroît, sa gratification baisser de 100 francs. Persistant dans sa mauvaise conduite, le même employé est totalement privé de gratification ; cependant, si sa conduite se transformait positivement, la moitié de la somme due lui serait versée en janvier.
Le procédé de distribution des bénéfices permet donc de fixer les ouvriers à la verrerie ; de justifier les refus d'augmentation de salaires ; de récompenser et bien entendu de sanctionner afin de garantir l'ordre interne. Le comité de répartition est le lieu de régulation de tensions et de conflits potentiels. A Vallérysthal, en octobre 1907, les ouvriers délégués écrivent au conseil d'administration pour le remercier d'avoir accordé les gratifications et pour affirmer qu'ils s'efforceront, dans la mesure du possible, de maintenir et de ramener peu à peu la bonne entente comme elle existait autrefois entre chefs et ouvriers. Le journal l'Avenir Républicain du 6 octobre 1907 présente l'initiative de la direction de Portieux sous le titre "une usine modèle" : "la veille de la fête patronale, le directeur de la verrerie de Portieux faisait remettre à chaque ouvrier la part qui lui advenait dans les bénéfices de l'usine. Les visages étaient gais car les surprises étaient bonnes. Tous recevaient ainsi un bel encouragement et un réel désir d'augmenter par leur travail la prospérité de l'usine. Nous remercions du fond du coeur, les membres du C.A. toujours généreux pour les ouvriers. Merci surtout à nos sympathiques directeur et sous-directeur A. Richard et A. Lacombe qui par leur bonté et leur bienveillance ont vite gagné l'attachement et l'amitié de cette belle famille de verriers donnant partout l'exemple de bon accord et de l'union."
L'objectif déterminé par les dirigeants est bel et bien atteint. Belle publicité, il est vrai, que ces quelques lignes, signées "un verrier", parues dans un moment
de pénurie de main-d'oeuvre. Attirer des ouvriers par la distribution d'avantages financiers, tel est également un des buts recherchés.
Afin d'attacher le personnel à l'usine et de l'intéresser à sa prospérité, la société offre aux ouvriers la possibilité de placer des fonds. Provenant directement des salaires, appointements ou primes, ces fonds procurent des intérêts pour les déposants et des possibilités supplémentaires de développement de l'usine qui fait fructifier les sommes qui lui sont confiées.
Pour l'exercice 1873, l'inventaire révèle les noms des trois premiers déposants : Amédée Munier, modeleur ; Jean-Baptiste Richy, employé, et la veuve Vergne qui déposent respectivement : 604,95 francs ; 1.474,65 francs ; 2.078,05 francs. En 1874, sept ouvriers et employés confient une partie de leur pécule à la société. Suivant la courbe de développement de l'entreprise, le nombre de déposants croît de façon significative (fig. 45). En 1910, ils sont quelque 250 à faire confiance à l'usine. Jusqu'en 1880, les dépôts de fonds ne concernent que les ouvriers et les employés jusqu'à concurrence de 2.000 francs avec intérêts de 4 %. Le principe est élargi aux directeur et sous-directeur qui peuvent déposer à la caisse de l'usine les fonds jusqu'à concurrence de 12.000 francs pour le premier et 6.000 francs pour le second. Parmi le personnel de direction, seul A. Lacombe dépose 700 francs en 1890. Ce personnel peut largement investir ses économies dans des opérations financières plus rentables. Les dépôts de fonds des ouvriers et employés se trouvent, par la suite, limités à 500 francs. Les dépôts apparaissent bien comme un moyen supplémentaire de motiver et d'enraciner l'ouvrier. C'est aussi un argument destiné à annihiler les demandes d'augmentation de salaires. Participation aux bénéfices, dépôts de fonds mais également caisses de secours et de retraite et coopérative contribuent à renforcer ce système d'enfermement.
(44) 525
Rapport du conseil d'administration pour l'assemblée générale du 12 septembre 1907.
L'abbé Wack, curé de Vallérysthal, se voit supprimer le supplément de 320 francs de salaire. En 1908, sur l'intervention du conseil d'administration auprès de l'évêque de Metz, l'abbé est remplacé. On espère que le nouveau "s'occupera des âmes et non de la direction de l'usine".
En octobre 1929, font partie du comité de répartition : Marie Antoine, Brigitte Paquet, Augustine Mathis, Edmond Néant, Théophile Déhan, Paul Blot, Théodore Laroche, Louis Humbert, André Lacombe, Adrien Richard ; 53 J 714, A.D.V.
L'épisode de la fièvre typhoïde a été retracé principalement à partir du courrier que G. Chevandier adresse à A. Thouvenin ; 37 J 31, A.D.M.