7 - Les ouvriers honorés 535

Comme dans toute entreprise, à la verrerie un système de récompenses honorifiques vise à reconnaître les mérites d'ouvriers qui se distinguent par la longévité de leur carrière. Prenons quelques exemples rapportés par la presse locale. Le dimanche 22 juillet 1893, trois ouvriers reçoivent une médaille d'or accordée par le ministre du commerce et de l'industrie. Il s'agit de Constant Mansuy, 66 ans de service ; de Xavier Laurenceau, 52 ans de service ; de Gaspard Viriot, 52 ans de service également. Afin de fêter ces médaillés, le directeur X. Mougin les réunit à sa table ainsi que tous les autres récipiendaires de la verrerie y compris, ajoute le journal local, médaille de sauvetage, médaille militaire et Légion d'honneur. En 1908, une médaille d'argent est décernée par le ministre de l'intérieur à Albert Germain, comptable à l'usine, "qui a rendu des services exceptionnels à l'assistance publique" 536 . C'est généralement lors de la fête annuelle de toutes les sociétés, en fin d'année, que sont remises les diverses médailles. Le dimanche 28 décembre 1914, on remet des décorations à de vieux soldats de la guerre de 1870 ainsi que la médaille du travail à de vieux verriers. Un grand banquet rassemble à midi employés, ouvriers, contremaîtres, directeur, député et conseiller général qui prononcent les discours au dessert, à l'issue de cette fête de famille 537 . Afin de donner à la fête l'intime caractère d'une réunion familiale, on invite les anciens travailleurs à participer à la cérémonie. Le dimanche 11 janvier 1931, 25 ouvriers, ouvrières et employés qui reçoivent la médaille du travail sont conviés à un déjeuner par la direction. Les véhicules de l'usine parcourent les villages voisins de la Verrerie pour aller quérir les vieux travailleurs qui s'y sont retirés pour la retraite. La cérémonie prend des allures grandioses. Le rassemblement s'effectue dans la cour de l'usine puis le cortège, précédé de l'harmonie, se rend au monument aux morts et à la salle des fêtes. Jean Baptiste Bichet, l'un des doyens, remercie la direction pour l'organisation de la cérémonie 538 . Ses paroles sont saluées par la Marseillaise. Le déjeuner se termine par le discours du directeur A. Richard qui retrace l'historique de la vieille "mais toujours jeune Verrerie de Portieux" 539 .

L'Est magazine du 12 octobre 1950 retrace une imposante cérémonie de remises de médailles : "dirigée par le souriant et débonnaire monsieur Moulin et son sympathique sous-directeur monsieur Mille, l'usine de Portieux a marqué d'une pierre blanche le samedi 30 septembre [1950]. 83 ouvriers et ouvrières de l'usine ont, en effet, reçu des mains du préfet des Vosges et de M. Dupont, président du conseil d'administration, la médaille du travail : 44 médaillés pour 30 ans de services, 37 médaillés pour 40 années et 2 pour 50. Juste et méritée récompense pour tous ces braves gens de l'Est qui savent que la paix et le bonheur ne se trouvent que dans le travail, dans l'accomplissement de la mission de toute une vie : créer et produire. Le héros de la journée fut un vieil ouvrier, Charles Aubry, qui totalise 64 années de service à l'usine. Il reçut la Légion d'honneur (...). Le vin d'honneur qui suivit la cérémonie fut des plus animés. Le service était assuré par les fraîches et pimpantes ouvrières de l'usine qui mirent toute leur gentillesse et leur ardeur au service des invités (...)".

Charles Aubry est bien "le héros" de la journée, la mémoire de l'entreprise, celui par lequel passent et se renforcent les liens de confiance entre "le capital et travail". Dans ces moments, le patron se montre "souriant", "débonnaire", "sympathique". Les paroles prononcées par le capitaine des pompiers, lors d'une remise de médailles en 1934, traduisent bien l'effet recherché : "avec de tels chefs, la verrerie de Portieux sera toujours une des premières de France".

La remise de la médaille d'honneur du travail dépasse la valeur symbolique, elle est aussi et surtout attachement de l'ouvrier et de sa famille à la verrerie. En effet, à partir du 1er janvier 1921, une prime de 500 francs est versée aux titulaires, ouvriers et employés, de la médaille du travail. Cette prime de 500 francs qui concerne alors 215 personnes n'est versée qu'au moment de la retraite. Si l'ouvrier quitte l'usine avant le terme de sa carrière, il ne bénéficie pas de la prime. S'il meurt avant sa retraite, la prime est acquise 540 . La clause de fidélité est étendue à la famille du verrier. En 1933, l'ouvrier S de Moriville voit sa demande de gratification rejetée parce que son fils qui travaillait à la taillerie a quitté l'usine en septembre 1924, dans une période de pénurie de personnel 541 . L'attribution d'avantages et de gratifications se trouve toujours conditionnée par la règle de fidélité à l'usine.

Si ce qu'il est convenu d'appeler "paternalisme" a connu une dégradation après 1936, des restes sont encore bien perceptibles en 1950, dans une période où l'on a besoin d'agréger les ouvriers autour du projet de verrerie mécanique.

Notes
535.

Liste des ouvriers honorés ; 8 M 54, A.D.V.
La liste commence en 1897 et concerne les médailles d'honneur du travail.

536.

Mémorial des Vosges du 13.05.1908

537.

Mémorial des Vosges du 14.01.1931

538.

En 1932, le directeur propose Jean Baptiste Bichet pour la croix de la Légion d'honneur. Jean Baptiste Bichet est né le 13 avril 1866 à Portieux, fils de Jean Baptiste Bichet et de Marie Cousin. Il est entré à la verrerie en 1875. Titulaire de la médaille d'or du travail, Jean Baptiste Bichet a passé 57 années sans interruption à la verrerie.

539.

Avenir Républicain du 18.01.1931

540.

Conseil d'administration du 19.11.1920 ; 37 J 25, A.D.M.

541.

53 J 676, A.D.V.