L'évolution de l'usine de Portieux engendre des effets qui doivent être compris dans une perspective "d'ensemble" même si, pour les besoins de l'exposé il nous faut différencier les divers éléments.
Ainsi, le développement du bâti industriel qui traduit la volonté manifeste d'aller de l'avant entraîne la nécessité de recourir à un recrutement massif de main-d'oeuvre et, par conséquent, à l'obligation de créer des logements puisque la population ouvrière vient d'horizons divers et parfois éloignés. La réaction n'est cependant pas simplement linéaire ; par quel élément commencer ? Tant que l'on n'a pas d'assurance quant au recrutement du personnel, à quoi bon lancer les innovations techniques ? Ne faudrait-il pas plutôt débuter la politique de construction de logements ? Toutes ces questions apparaissent sous-jacentes aux positions prises par la société.
De suite, le conseil d'administration perçoit le problème du logement avec lucidité et s'en empare avec détermination. Dès la première année après la fusion des deux usines, il propose à l'assemblée générale, étant donné l'éloignement de la Verrerie par rapport aux villages environnants, de construire trois corps de bâtiments contenant huit logements chacun et un quatrième bâtiment "destiné à cinquante gamins étrangers à la localité".
Très rapidement, les responsables de la société se rendent compte de la nécessité de maîtriser l'urbanisation de la cité ouvrière. Afin de laisser la plus grande étendue possible de terrains disponibles pour de futurs projets industriels et logements, il faut concentrer les constructions plutôt que les disséminer. Il est donc décidé que le premier groupe de logements sera construit sur les mêmes lignes que les deux façades du bâtiment n° 4 prolongé. Le deuxième groupe sera édifié parallèlement au premier dans le prolongement du bâtiment n° 3. Voilà la raison essentielle qui explique l'ordonnancement du paysage de la cité ouvrière : la rationalisation des surfaces bâties. En 1875, on décide d'augmenter la largeur des cuisines de 0,75 à 0,80 mètre ce qui a pour effet d'accroître la longueur des bâtiments de 3 mètres. La même année, lorsque le directeur X. Mougin obtient du conseil d'administration l'autorisation d'allumer successivement et à mesure que le recrutement le lui permettra deux petits fours Mulotte chacun de trois places, il est aussitôt décidé de construire deux nouveaux bâtiments d'ouvriers comprenant huit logements de quatre pièces. En août 1875, alors que le directeur vient d'être autorisé à faire monter le deuxième four Siemens, on lui assigne également comme tâche de faire édifier trois nouveaux groupes de logements. Il n'est cependant possible d'envisager la construction du four que dans la mesure où X. Mougin peut disposer d'un nombre de maçons "assez considérable" pour que la construction des logements ne soit pas ralentie. Remarquons que lorsque X. Mougin rédige sa note technique pour justifier la création d'un deuxième four Siemens, il envisage parallèlement la construction de vingt-quatre logements de deux et trois pièces et de vingt-quatre autres de quatre pièces 562 . Le journal de l'entreprise relève de façon exhaustive l'ensemble de ces constructions. Le rythme est effréné. Par exemple, en juin 1874, se trouvent en cours d'achèvement : un bâtiment sis au sud-est de l'école de garçons (huit logements de quatre pièces) ; un bâtiment sis au sud-est du précédent (huit logements de quatre pièces) ; un autre bâtiment sis au sud-est du précédent (huit logements de quatre pièces) ; soit au total pour les vingt-quatre logements : quatre-vingt-seize pièces. Nous sommes, rappelons-le, dans la période de développement considérable de la taillerie.
Près de la forêt domaniale dite "La Voie Mauljean" on élève vingt-quatre autres logements d'ouvriers. Lorsque l'on bâtit, la même année 1874, un immeuble pour les bureaux du directeur, à l'étage il est prévu quatre chambres d'employés "garçons". En 1875, deux logements d'employés jouxtent au rez-de-chaussée d'un nouveau bâtiment une fonderie et l'atelier des mouleurs. Le premier étage abrite deux autres logements d'employés contigus à l'atelier de moulage et aux ateliers de graveurs. Il est remarquable de constater que durant ces années de développement, bon nombre d'employés c'est-à-dire de personnels d'encadrement, habitent dans l'usine même. En 1876, le rythme des constructions se poursuit. Seize nouveaux logements sont terminés aux abords de "La Voie Mauljean". L'année suivante, ce sont les bâtiments n° 7, 8 et 9 formant la troisième série des logements neufs qui sont en cours d'édification ou achevés. Ces trois séries procurent au total quatre appartements à deux pièces ; quatre autres à trois pièces et enfin dix-huit à quatre pièces. Les logements les plus nombreux entrent le plus souvent dans la catégorie des quatre pièces dans la mesure où l'on souhaite accueillir des familles nombreuses qui assurent le potentiel de recrutement (...). "A ces dépenses de constructions de logements, nous devons ajouter d'autres beaucoup moins considérables, mais de la plus grande utilité à divers points de vue et qui sont le complément pratique, moral et indispensable des premières, nous voulons parler de la construction à proximité des logements, d'écuries qui puissent permettre à nos ouvriers d'avoir des vaches, des cochons, des lapins et des poules." Ainsi débute une extraordinaire profession de foi paternaliste que prononce en janvier 1874 le président G. Chevandier devant les membres du conseil d'administration réunis 563 . Pour justifier ces dépenses qui pourraient paraître inutiles aux yeux des profanes, le président s'évertue à préciser sa pensée ce qui nous donne un document d'un grand intérêt et d'une forte densité. Il s'agit, en offrant cette possibilité pour l'ouvrier de pratiquer de petits élevages, de "faciliter, de provoquer (...) tous les goûts qui le rattacheront à la vie intérieure". La culture et l'élevage contribueront à développer les idées "d'ordre et d'économie". Ces pratiques doivent encourager l'ouvrier à s'éloigner du cabaret car en se créant des ressources chez lui, "il s'attachera au sol, à son métier, aux habitudes d'intérieur (...)". La société industrielle y trouvera également son compte dans la mesure où l'ouvrier "s'attachera en même temps à l'usine dans laquelle il trouve tous ses avantages". Voici donc des stratégies développées d'enracinement sur place de la population ouvrière et de prise en mains aisée d'un personnel soumis, docile. Se recrée ici un univers rural artificiel au sein d'une cité industrielle, univers que bien des ouvriers ont connu avant d'arriver à la Verrerie, fondé sur l'autoconsommation des produits de la terre. La suite des discours du président apparaît assez redondante par rapport aux divers points évoqués : épargne, occupation saine pour la famille... Ainsi occupée, la population ouvrière ne peut créer de désordre dans la cité. G. Chevandier évoque un dernier point qui mérite d'être rapporté : "nous vous ferons remarquer, Messieurs, un autre inconvénient grave, une autre condition très mauvaise encore faite par le marché. La femme de l'ouvrier qui va s'y approvisionner est sans cesse exposée à y rencontrer, à côté du nécessaire le superflu, à côté des objets qu'elle allait y chercher, d'autres objets qui la tenteront ; souvent elle pourra céder à une fantaisie, sans s'inquiéter si c'est pour son ménage une dépense inutile ou trop forte (...)" ; conséquence "déplorable", les familles ouvrières qui n'auraient que le marché comme source d'approvisionnement vivraient au jour le jour ; elles ne s'attacheraient pas au sol et seraient prêtes à quitter l'usine "avec indifférence pour une localité qui leur présenterait des conditions un peu meilleures ou seulement analogues." On ne peut mieux exprimer l'idée d'attachement, de dépendance et de complément indirect de salaire que procurent jardinage et élevage.
La politique de constructions de logements à la Verrerie de Portieux contribue peu à peu à rendre indispensable la présence d'équipements sociaux : écoles, pensionnat, église plus vaste... la Verrerie de Portieux devient un village indépendant de Portieux Centre.
Un four peut occuper une centaine de personnes auxquelles il convient d'ajouter le personnel utile aux autres services : décoration, emballage...
Déclaration de G. Chevandier ; 37 J 32, A.D.M.