2 - Les achats de terrains et la politique des logements

"Faire de tous nos prés un seul gazon" 564 , voilà la véritable motivation de X. Mougin lorsqu'il procède aux échanges ou aux achats de terrains.

Se rendre propriétaire du sol en totalité c'est se faciliter la tâche pour procéder à la construction de logements et c'est évincer tout étranger au microcosme verrier. Accessoirement, c'est empêcher que se construise un café, lieu de débauche des ouvriers et lieu où se fomente la révolte contre les patrons. L'enfermement géographique des ouvriers paraît le plus sûr moyen de rester maître chez soi.

L'année 1881 voit la reprise générale des affaires et l'on songe à augmenter la production du verre. Auparavant, il faut appeler et fixer à la verrerie un grand nombre de tailleurs qui ne peuvent trouver un logement dans les environs dans la mesure où "la population agricole n'a abordé l'industrie et les manipulations industrielles qu'avec une grande réserve" 565 .

En 1882, Portieux ne pouvant suffire aux demandes, on songe également à agrandir l'usine et à construire des logements. L'année suivante, la même remarque s'impose en considération de la mise en chantier du troisième four. X. Mougin demande au conseil d'administration l'autorisation de faire construire quatre groupes de dix logements 566 . En 1885 alors que le four Siemens n° 3 fonctionne, il souhaite obtenir douze logements de trois et quatre pièces et huit autres de deux pièces. Au 30 juin 1885, deux bâtiments d'ouvriers de quinze logements chacun apparaissent dans la rubrique des constructions terminées 567 . Le rythme d'aménagement ne faiblit pas. Le conseil d'administration autorise en 1888 la construction de douze logements nouveaux 568 et le journal de l'entreprise signale deux bâtiments neufs terminés, voisins de la forêt de la Voie Mauljean 569 . Après avoir acheté des parcelles de terrains touchant celles de la société à Houël et autres, il est décidé de reconstruire "la vieille caserne" entre Houël et Thomas. En 1893, la ferme 570 de Mme Grandjean qui vient de mourir est à vendre. X. Mougin projette de l'acheter avec quelques prés appartenant à Lamaix et Courtois ainsi que la maison Lamaix. La Verrerie de Portieux serait alors limitée par le massif forestier 571 . Devant le conseil municipal de Portieux dont il est membre, X. Mougin demande, en tant que directeur de la verrerie, l'annexion au territoire de Portieux d'une parcelle de 3 hectares 99 ares cédée par l'Etat à la société et provenant de la forêt domaniale de Fraize, située sur le territoire de Moriville. Cette parcelle est destinée à accueillir des cités ouvrières. Le maire, Marchal, expose que cette annexion sera plus tard pour la commune une très grande charge du point de vue de la police générale et de l'administration par suite de l'accroissement de la population. Cependant, prenant en considération l'intérêt général le conseil municipal donne un avis favorable 572 . Progressivement le territoire repousse ses limites dans toutes directions vers Belval par exemple avec l'hospice duquel s'effectue l'échange de quelques terrains 573 .

Ce sont vingt-quatre logements que consent à nouveau le conseil d'administration lorsqu'on envisage la mise en oeuvre d'un nouveau four à six pots 574 . Il faut également loger les ingénieurs, ainsi l'on édifie une maison place de l'église, plan et devis étant soumis aux administrateurs en juin 1903 575 . L'ingénieur Jolant habite cette maison à côté de laquelle on élève, place de la chapelle, un bâtiment pour loger le chef de fabrication ou le chef de la taillerie.

La cité s'agrandit constamment jusqu'à la guerre : dix petits logements ; vingt-quatre logements de deux et trois pièces et huit de quatre pièces de 1906 à 1908... Le sous-directeur Lacombe avait fait construire, aux environs de 1902, une cité de huit logements de deux pièces afin de placer des fonds. L'usine, bien que les constructions en cours répondent aux besoins du moment, acquiert "la cité Lacombe" pour la somme de 21.000 francs. Durant ces mêmes années, les employés trouvent également à se loger sur place : un bâtiment pour le chef des tailleries C. Faltot ; une maison pour le docteur ; un groupe de deux habitations d'employés dans le pré "Le patural" ; un deuxième groupe de deux logements d'employés ; une petite maison de deux logements de trois pièces pour employés garçons. Enfin en 1914-1915, l'usine bâtit deux logements pour le chef des magasins : X. Henry et l'employé de fabrication C. Thomas ; deux autres pour C. Dieudonné et R. Boeuf 576 .

Il faut bien entendu aménager les voies de circulation. En 1908, on crée une route entre le bassin d'alimentation et la chapelle et en 1910, on perce celle qui mène de la gare à la chapelle.

Les constructions s'élèvent nombreuses, suivant en cela la progression industrielle. "La belle époque" de Portieux est marquée par l'évolution considérable du nombre d'habitants.

Le nombre de logements par cité et leur contiguïté rendent les sinistres ravageurs. C'est ainsi que le dimanche 19 avril 1885, vers 3 heures 30 de l'après-midi, un incendie éclate dans le bâtiment n° 9 577 . Ce bâtiment comprend dix logements. Malgré les prompts secours, la violence du feu, alimenté par des provisions de bois et de fagots déposés dans les greniers, est telle que l'on renonce à diminuer le feu au centre du bâtiment pour employer tous les moyens d'action à conserver ses deux extrémités. Les trois pompes de l'usine sont mises en action mais l'eau qui n'est pas à portée manque. La plus forte des trois pompes est alors utilisée pour alimenter les deux autres. Le conseil examine différentes mesures pour éviter le renouvellement d'un tel accident. Les dépôts de bois, ceux de fagots surtout, doivent être complètement interdits dans les greniers. Les ouvriers sont astreints à placer les provisions de bois et fagots dans des appentis, installés à l'extrémité des jardins, dont la société envisage la construction pour tout ou partie. Pendant l'incendie, l'eau a manqué et il est difficile d'installer et de maintenir des chaînes avec le personnel de l'usine. Il est envisagé, si besoin, d'augmenter le nombre de pompes à incendie et d'y ajouter une ou deux fortes pompes aspirantes et foulantes qui remplaceraient utilement les chaînes. Quatre ménages sur les dix ne sont pas assurés. Le directeur de Portieux demande que la société puise dans son compte d'assurance de quoi leur venir en aide. Le conseil examine cette question de façon à ne pas créer un précédent. Il souhaite en même temps examiner et traiter d'une manière générale la question des assurances contre l'incendie en ce qui concerne les ouvriers et employés qui habitent les logements de l'usine. Le directeur de la verrerie explique au conseil qu'il a défendu, d'une manière absolue, le dépôt dans les greniers, de fagots, d'ételles et de cendres. Ces dernières ne doivent être déposées que dans les caves. Il précise que les pompes de l'usine comprennent déjà une forte pompe aspirante et foulante, deux bonnes pompes à incendie et une pompe portative à bras. Les tuyaux de la pompe aspirante et foulante étant insuffisants, le directeur en commande la quantité nécessaire pour qu'en toutes circonstances on puisse atteindre l'extrémité des bâtiments. Il commande également deux autres pompes à incendie.

Après la guerre, le conseil conserve sa politique expansionniste, estimant que la société a toujours intérêt à devenir propriétaire des immeubles qui ne lui appartiennent pas encore dans l'agglomération. C'est ainsi qu'il fait l'acquisition en 1920 de trois maisons : deux maisons et jardins appartenant à la veuve X. Houël ; une maison de six pièces et jardin à H. Houel situés entre le café restaurant des Vosges et la cité Gérard. Il achète également à la veuve Sonrier un immeuble de neuf logements de deux et trois pièces à la gare. En 1928, le conseil autorise le directeur à acheter la maison Germonville afin de la transformer en logements d'employés.

La conjoncture n'encourage pas à bâtir des cités. Deux constructions sont réalisées en période d'embellie économique : une cité de dix logements de deux et trois pièces est construite par l'entreprise Ehret et Collot fin 1923. Les ventes reprennent et l'exportation vers l'Amérique du Sud sous l'impulsion de Bloch bat son plein. En 1926, courte période de reprise, on édifie une cité de dix logements près de la cité Ancet 578 .

La politique d'achat de terrains est pratiquement arrêtée à cause du contexte économique difficile et surtout parce que la société est propriétaire de la quasi-totalité du sol de la Verrerie. Deviennent propriétés de l'usine les terrains : Queuche de 137 ares en 1920 ; Hemmerey de 4 hectares, incorporés aux biens de l'usine après échange avec A. Gérardin ; Henry de 20 ares, en 1937, en amont de la Verrerie sur la rive gauche du ruisseau. Entre les deux guerres, les achats de terrains sont d'ailleurs plutôt concentrés dans la région des carrières de sable en Champagne.

L'organisation de l'espace urbain est donc quasiment fixée dès avant la première guerre mondiale. Au milieu des années 1950, la Verrerie possède des cités numérotées de 1 à 38 auxquelles s'ajoutent la cité Lacombe, la cité du Pillon et le pavillon du Pillon, soit plus de 400 appartements. Les logements les plus vastes comportent trois pièces et une cuisine. Seule la cité n° 13 possède un logement de quatre pièces et une cuisine (fig. 50). L'espace habité est structuré de façon rationnelle autour de l'usine. Il est jalonné d'équipements indispensables à la vie sociale : écoles, église, mairie... à quoi s'ajoutent les indispensables services coopérative, boulangerie, boucherie... (fig. 51 et 52). Subsistent quelques propriétés de particuliers mais de manière négligeable si l'on soustrait les quelques bâtiments communaux mairie et écoles.

Notes
564.

Conseil d'administration de 1894 ; 37 J 22, A.D.M.

565.

Conseil d'administration de 1881 ; 37 J 19, A.D.M.

566.

Conseil d'administration de novembre 1883 ; 37 J 20, A.D.M.

567.

Constructions nouvelles dans le journal ; 53 J 122, A.D.V.

568.

Conseil d'administration du 23 avril 1888 ; 37 J 21, A.D.M.

569.

Constructions nouvelles dans le journal ; 53 J 127, A.D.V.

570.

Nous suivrons dans un autre passage le cheminement de cet achat.

571.

Conseil d'administration du 25 avril 1893 ; 37 J 22, A.D.M.

572.

Délibération du conseil municipal de Portieux du 4 juin 1893 ; A.C.P.

573.

Echange avec Belval ; conseil d'administration de décembre 1894 ; 37 J 22, A.D.M.

574.

Conseil d'administration du 21 octobre 1902 ; 37 J 23, A.D.M.

575.

Conseil d'administration du 23 juin 1903 ; 37 J 23, A.D.M.

576.

Pour ces détails : 53 J 29 à 53 J 38, A.D.V.

577.

Conseil d'administration du 30 avril 1885 ; 37 J 20, A.D.M.

578.

53 J 48, A.D.V.