3 - L'achat des forêts

La société se rend, progressivement, maître de l'ensemble du sol mais elle cherche également à acquérir des terrains, hors de son emprise directe, afin de réaliser des placements. C'est ainsi qu'en 1890, X. Mougin et un administrateur se rendent dans la forêt d'Ormes près de Bayon (Meurthe-et-Moselle) afin de procéder à une visite en vue d'un achat qui, en fin de compte ne se réalise pas. Pour autant, l'idée n'est pas abandonnée et dès 1894 une opportunité se présente. Le Comte de Bourges, actionnaire de la société, souhaite céder deux forêts dites du "Jarnay" et de la "Bouloire" situées à proximité des communes de Liffol-le-Petit (Haute-Marne) et Prez-sous-Lafauche (Haute-Marne), à cinq kilomètres des gares de Liffol-le-Grand (Vosges), Prez-sous-Lafauche, Goncourt et Harréville (Haute-Marne). Ces deux forêts, aménagées à 24 ans, composées de chênes et de hêtres, couvrent une superficie d'environ 556 hectares pour le "Jarnay" et 559 pour la "Bouloire". Le produit des coupes est estimé à plus de 20.000 francs 579 . Bien que deux administrateurs, Vopélius et Roeckling, s'opposent à l'achat, une délégation se rend sur place pour visiter ces forêts. Fin 1894, le conseil d'administration accepte la proposition du Comte de Bourges et négocie le prix à 925.000 francs au lieu de 939.000 francs, prix de départ 580 . Outre les forêts, la société acquiert la maison forestière située sur le territoire de Liffol-le-Petit au lieu-dit "Rondechamp" avec un terrain attenant d'une superficie de 59 ares ; la ferme dite "la Paix", la nouvelle maison forestière et l'ancienne au lieu-dit "le Broccard" avec terrains et prés qui l'entourent, d'une superficie d'environ 2 hectares et enfin 14 parcelles de terre en friche situées sur le territoire d'Harréville d'une superficie de 10 hectares. Au total les propriétés contiennent 1129 hectares 581 . Le brigadier Roger qui demeure à Liffol-le-Petit administre ces biens. Il procède, en 1895, au reboisement de 7 hectares de chaumes, à la réparation des maisons et à la vente des coupes 582 . Au cours de l'exercice 1909-1910, il est abattu 765 arbres dans le canton de "la Bouloire", 181 chênes et 584 hêtres et divers.

Pour des raisons de proximité géographique, les deux directeurs successifs X. Mougin et A. Richard administrent ces biens forestiers : repiquage, exploitation... Tout au long de l'année 1901, X. Mougin effectue de nombreuses tournées de surveillance. Les directeurs se rendent personnellement aux ventes des coupes. A. Richard est présent à Neufchâteau lors de la séance du 28 septembre 1909. Les forêts procurent également du charbon, 26.000 kilogrammes en 1905, dont la société tire profit. Le produit des chasses est également source de revenus. Pourtant A. Richard pense que ces forêts représentent "un poids lourd à traîner" 583 . Les chiffres lui donnent raison. Payées 925.000 francs, elles rapportent à peine 1 %. Les dépenses : aménagements, frais de garde, impôts, dépassent de 1.500 francs les recettes sur la période de 15 années. Le directeur convainc le conseil qu'il est préférable de ne pas conserver un capital aussi peu rémunérateur ; les forêts ne rapportant pas autant que les valeurs mobilières de premier ordre. Il négocie la revente. Des tractations s'engagent avec Blum, Nathan et Cie qui proposent à la société 900.000 francs. Le conseil entend retirer de cette vente 1.100.000 francs. Le directeur suggère au président de baisser les exigences à 1.040.000 francs. Le 12 avril 1910, Blum fait l'acquisition pour la somme indiquée, payable en 7 annuités. Le premier acompte versé sert à acheter 80 obligations 4 1/2 % Karl Alexander : 100.750 francs ; 50 obligations 5 % Missouri Oklahoma : 23.425 francs ; 50 obligations 4 1/2 % Brasserie de la Ville de Paris : 24.750 francs. Ces titres offrent donc "la sécurité désirable". La deuxième annuité est ainsi placée : 5.000 francs en obligations de l'Est 4 % soit 100 titres ; 5.000 francs en obligations Egypte unifiée 4 % ; 2.000 francs rente égyptienne unifiée 4 % et le surplus moitié en Danois 3 1/2 % 1901, moitié en emprunt de la ville de Zurich soit 14 obligations 3 1/2 % 1904. Le reste est investi dans l'achat d'obligations du crédit foncier franco-canadien. Le directeur de Portieux joue un rôle important dans le choix des placements financiers. Président du conseil d'administration de la société Brasserie de la Ville de Paris, il n'oublie pas d'y orienter des capitaux.

L'achat des forêts à quelque cent kilomètres de l'usine, dans une phase de fort développement, illustre la volonté expansionniste de la société qui n'a nul besoin de ces propriétés pour améliorer son rendement. En bon gestionnaire, A. Richard juge urgent de se séparer de ces biens.

Notes
579.

Conseil d'administration du 23.10.1894 ; 37 J 22, A.D.M.

580.

Conseil d'administration du 17.12.1894 ; 37 J 22, A.D.M.

581.

Inventaire de 1908 ; 53 J 31, A.D.V. :
La forêt dite "la Bouloire" sur le territoire de Liffol-le-Petit et de Lafauche (Haute-Marne) 556 H 51 a 80 c ;
La forêt dite "le Jarnay" sur le territoire de Liffol-le-Petit avec la ferme dite "la Paix" d'une contenance de 560 H 2 a 40 c ;
Une maison forestière sur le territoire de Liffol-le-Petit, lieu-dit au "Rondechamp" avec terrain y attenant d'une contenance de 59 a 10 c ;
Une maison de ferme dite "la Paix" dont les terrains sont compris à l'article 2 ;
Un champ situé sur le territoire de Liffol-le-Grand aboutissant à la maison de Rondechamp d'une contenance de 13 a 30 c ;
La nouvelle maison forestière et l'ancienne qui lui sert de dépendance au lieu-dit "le Broccard" avec terrains et prés qui l'entourent 1 H 87 a 65 c ;
14 parcelles de terres en friche situées sur le territoire d'Harréville (Haute-Marne) 10 H 81 a 47 c ;
Total 1129 H 95 a 72 c

582.

Conseil d'administration du 26.03.1895 ; 37 J 22, A.D.M.

583.

Lettre de A. Richard du 7.01.1910 ; 53 J 14, A.D.V.