8 - L'adduction d'eau

C'est le 6 juillet 1930 que Cossin, maire de Portieux, expose au conseil municipal l'intérêt de doter le village d'une adduction d'eau potable 642 . Il rappelle qu'un prélèvement spécial sur les fonds du pari mutuel est affecté aux subventions pour ces travaux et qu'il est de l'intérêt de la commune de profiter de cet avantage. Plus de huit années sont nécessaires pour mener à bien cette entreprise d'équipement du centre de la commune. A plusieurs reprises, le conseil municipal remercie le sénateur Richard pour ses interventions auprès du ministre de l'agriculture afin d'obtenir des subventions. C'est le cas en 1934, alors que le sénateur est encore directeur de la verrerie, et en 1937. Eugène Aubry, maire, concrétise le projet. En janvier 1936, les personnes désireuses d'avoir une concession d'eau sont invitées à se faire inscrire à la mairie avant le 5 février délai de rigueur. Il en coûte 100 francs par installation. Le député Jean Leroy intervient également, en décembre 1936, auprès du ministre de l'agriculture afin d'obtenir une subvention. Le ministre répond le 29 décembre 1936. Il précise qu'il a décidé "d'allouer à la collectivité une subvention, payable selon les possibilités budgétaires, s'élevant à 36 % des dépenses qui seront réellement faites 643 . Les travaux se terminent en 1938. En vue de couvrir les frais résultants de la reprise des travaux d'adduction d'eau, la commune de Portieux, sous la direction de son maire Eugène Aubry, est autorisée à emprunter 120.000 francs au taux d'intérêts de 5 % remboursables en 30 années 644 .

Ce n'est que quelque 10 années plus tard que la commune prévoit l'étude de travaux pour l'autre partie du village : la Verrerie. Le conseil municipal décide par délibération du 14 février 1947 l'alimentation en eau potable et assainissement de l'annexe de la Verrerie de Portieux. Il est en effet urgent d'assainir ce secteur, les eaux usées et résidus de toutes sortes se déversant alors dans les caniveaux à ciel ouvert et dans les rues, "créant un état contraire à l'hygiène la plus élémentaire". Il importe donc "de faire bénéficier les habitants de cette annexe le plus tôt possible des mêmes avantages que les habitants du chef-lieu de la commune, où l'eau sous pression ainsi que le tout-à-l'égout ont été installés avant la guerre". Les habitants de la Verrerie acceptent mal cette discrimination dans la chronologie des équipements alors que leur patron est à l'origine des subventions indispensables à l'édification du réseau pour le centre du village.

Cette adduction d'eau à la Verrerie pose de nombreux problèmes financiers et juridiques. En février 1947 le maire, Arsène Renard, demande à la société des verreries de faire l'avance des frais, ceux-ci étant ultérieurement intégrés dans l'ensemble des dépenses et subventionnés au même titre que les travaux. Il demande également à la société si elle confirme qu'elle envisage de céder éventuellement tout ou partie de l'emprise des voies privées des cités ouvrières afin d'obtenir de l'Etat une subvention pour exécution des travaux. La société donne son accord pour le premier point et émet un avis favorable pour le second. Des polémiques naissent à propos de la participation de la société à l'entretien des rues. Le directeur Moulin précise qu'il n'a jamais été question de cesser l'entretien des rues de la Verrerie dans le cas où celles-ci seraient cédées gratuitement à la commune pour lui permettre d'y installer les égouts et canalisations d'eau potable. L'importance des travaux exécutés chaque année doit dépendre, selon le directeur, de la conjoncture économique et du régime fiscal communal. Cette dernière remarque sonne un peu comme une menace, l'usine s'estimant malmenée sur le plan des impôts par la municipalité.

Il faut attendre 1949 pour que le maire appelle l'attention spéciale de l'Assemblée sur la nécessité, depuis longtemps constatée "et qui se fait de jour en jour plus vivement sentir de l'établissement de canalisations destinées à distribuer dans les diverses parties du territoire de la deuxième section de la commune de Portieux l'eau indispensable aux besoins généraux de l'alimentation" 645 .

Ce projet d'adduction d'eau crée des soubresauts au sein du conseil municipal. Les élus de la Verrerie qui siègent dans cette instance s'opposent, en septembre 1951, à la construction d'une nouvelle mairie à Portieux tant que les travaux d'adduction d'eau à la Verrerie ne seront pas accomplis. Le dossier est enfin en voie de constitution à la fin de l'année 1951. Cinq membres sont nommés pour vérification et étude de la question de l'eau à la Verrerie 646 . Le 12 janvier 1952, l'Assemblée étudie les modalités d'émission de l'emprunt local de 1.200.000 francs pour ce projet d'adduction d'eau. Le premier adjoint, Léon Laurent, réserve cependant son avis tant que le contrat avec la société des verreries n'a pas été étudié et approuvé. En effet, le réseau passe sur les terrains majoritairement propriétés de la société ainsi que les puits filtrants et la conduite de dérivation. Le contrat doit, selon l'adjoint, préciser les responsabilités dans l'exécution des travaux de distribution et d'entretien des canalisations. Ce 12 janvier 1952, la séance du conseil municipal est levée "dans le brouhaha et la confusion". La réserve émise par Léon Laurent porte ses fruits. Le 14 juin 1952 le conseil municipal, après vote secret des huit membres présents, accorde à Arsène Renard, maire, l'autorisation de signer une convention ayant pour but les modalités et les redevances dues par la commune à la société des verreries pour la distribution d'eau potable. La convention précise que l'usine utilise, à la date de janvier 1952, pour l'alimentation en eau de la Moselle de son usine, des installations de pompage et de distribution qui lui appartiennent et qui comportent :

Tous ces ouvrages restent propriété de la commune. Les frais d'entretien exceptionnels sont partagés. La société s'engage à pomper et à transporter au moyen de ses installations existantes, l'eau destinée aux besoins des habitants de la section de la Verrerie, en même temps que l'eau destinée à ses propres besoins. La commune s'engage à indemniser la société des frais de pompage et de distribution de cette eau, au prorata des mètres cubes pompés et distribués pour les besoins de l'usine d'une part, et pour ceux du réseau communal d'autre part.

L'eau est prélevée dans une galerie de captage construite par l'usine pour le compte de la commune qui en assure l'entretien. Le contrôle et l'amélioration de la qualité de l'eau demeurent de la responsabilité de la commune.

Si les installations primitives s'avéraient insuffisantes pour desservir la population de la Verrerie et l'usine, il est prévu que la commune en supporte les frais de renforcement : mise en place d'une deuxième pompe et augmentation de la capacité du réservoir.

La société abandonne gratuitement à la commune toutes les conduites de distribution existantes, autres celles qui alimentent l'usine, fontaines, lavoirs avec sources et canalisations.

Le réseau communal de distribution est branché sur le réservoir de 500 m3 par l'intermédiaire de plusieurs compteurs munis de vannes. Dans le cas d'un arrêt de l'usine, la société autorise la commune à se substituer à elle pour assurer, sous sa responsabilité et à ses frais, le fonctionnement des installations.

La société restant propriétaire des rues et voies desservant les cités qui lui appartiennent, la commune n'est responsable que des réparations de voirie nécessitées par la pose et l'entretien de conduites de distribution.

La convention établie est prévue pour une durée de 15 années qui commence à courir à partir de l'approbation par le préfet et au plus tard à partir du 1er janvier 1953.

C'est donc 17 années après le centre de la commune que la Verrerie qui est le secteur géographique, certes à l'écart mais le plus peuplé, se voit pourvue de l'adduction d'eau. Quelles causes peuvent expliquer cet important retard d'équipement pour la Verrerie ? Equiper d'abord le centre qui se trouve en bordure de la Moselle paraît tout à fait logique. Ce n'est qu'en 1938 que les travaux prennent fin à Portieux et la guerre arrive. Deux années seulement après la fin des hostilités, la municipalité évoque légitimement le projet pour l'écart de la Verrerie ; projet qui met du temps à se concrétiser. C'est sur ce décalage entre 1947 et 1953 qu'il convient de s'interroger. Les conseillers municipaux représentant l'écart de la Verrerie au conseil perdent patience, n'acceptant plus que les travaux soient différés au profit d'autres projets d'équipements du Centre. Bien entendu, il existe des problèmes techniques et financiers pour satisfaire aux besoins en eau d'une population qui se trouve à plus de 4 kilomètres du lieu de puisage. Il y a là, incontestablement, des éléments qui justifient le retard. Mais c'est surtout dans les relations entre l'usine et le bourg centre et ses élus qu'il faut en rechercher les raisons profondes. Sous la direction de la société des verreries les habitants, pour la plupart verriers, vivent de manière autarcique et c'est pourquoi il n'est pas urgent pour la municipalité de se préoccuper de leurs besoins. Les patrons, de leur côté, répondant aux nécessités de la vie quotidienne ne se hâtent pas d'assurer l'émancipation de la population tant sur le plan du progrès matériel que sur celui des loisirs librement organisés. Les dirigeants possèdent un atout de taille pour encadrer la population et se rendre maître du jeu face à la municipalité, tous les terrains et les équipements de base leur appartenant, quasiment sans exception. La société peut alors, en fonction des circonstances, jouer sur les relations avec la municipalité, cette dernière lui étant redevable.

La bataille à laquelle on assiste pour l'adduction d'eau de la Verrerie marque, à l'évidence, une forte volonté d'émancipation des verriers. Ces derniers ont alors accès à un bien élémentaire commun à tous les habitants de la commune sans être liés à l'usine pour l'approvisionnement.

L'arrivée de l'eau dans les cités, grâce à la ténacité des élus de la Verrerie, marque une rupture dans le système plus ou moins consciemment accepté de dépendance. Le citoyen de la Verrerie devient désormais davantage citoyen de Portieux.

Notes
642.

Délibération n° 1696 du 6 juillet 1930 ; A.C.P.

643.

Montant de la dépense subventionnable : 550.000 francs ; Avenir Républicain du 3 janvier 1937.

644.

Express de l'Est du 21 mars 1938.

645.

Délibération n° 3070, novembre 1949 ; A.C.P.

646.

Ces cinq membres sont :
Portieux centre : Pierre Chevrot, Paul Seurre.
La Verrerie : Arsène Renard, Théophile Laroche, Roger Marx.