CHAPITRE VIII : LES GREVES

1 - Les "mouvements d'humeur du personnel" et quelques grèves sporadiques 650

Bien que fermement tenue en mains par le conseil d'administration, la société n'est pas à l'abri de mouvements de revendication, grèves, ou pour reprendre un mot pudiquement employé par le président G. Chevandier "de mouvements d'humeur". Il est intéressant d'observer ces mouvements dans le vécu des usines, en particulier pour analyser les attitudes du conseil d'administration et des directeurs face à la contestation.

Une lettre adressée par G. Chevandier à A. Thouvenin le 12 mars 1873 nous apprend que "des mouvements d'humeur" se font jour chez les tailleurs de Vallérysthal et d'Abreschviller. L'objet du conflit n'est pas mentionné dans la mesure où la direction se préoccupe davantage, sans souci de dialogue, de ramener les insoumis dans la bonne voie. Comment s'y prend-on ? Dans un premier temps, le directeur leur propose de reprendre le travail et dans un deuxième temps, il renvoie ceux qui, après cette invitation, "auraient manifesté le plus mauvais vouloir". Le président précise qu'il faut en renvoyer au moins deux, comme s'il s'agissait de faire un exemple afin de ramener les autres à la raison ; puis le lendemain, se ravisant, c'est trois qu'il convient de limoger. Cela ne suffisant pas, quelques-uns seront "descendus d'un ou deux rangs". Un règlement rédigé en termes formels et assez "autoritaires" est affiché dans les tailleries. Les expressions employées à l'égard des grévistes et du personnel en général valent d'être relevées tant elles explicitent la manière dont les uns et les autres se trouvent traités : "nous devons maintenir à tout prix dans notre personnel l'esprit de subordination et montrer à ceux qui l'oublient à quoi ils s'exposent" et encore : il faut "faire sentir à vos assesseurs la main du maître."

A l'usine de Portieux, nous repérons la première grève en juillet 1874, résultat du mécontentement des "boucheurs". En l'absence d'information, nous ignorons en les causes, les péripéties et le déroulement.

Le 6 octobre 1876 éclate la grève des ouvriers tailleurs. Depuis un certain temps, les tailleurs de Portieux se conforment avec difficulté aux ordres qui leur sont transmis de passer les marchandises à la potée d'étain. Le mécontentement des ouvriers de l'atelier est général lorsque des marchandises qui ne sont pas passées en potée reviennent à la taillerie. En 1875 une grève aurait déjà pu éclater si l'accord entre les tailleurs avait été complet mais un certain nombre d'entre-eux, parmi les plus anciens de l'usine, ne veulent pas se laisser entraîner tels Alexandre Laroche, Gaspard Bournique et Joseph Vaudeville. La grève échoue.

Toutefois, les meneurs n'ont pas renoncé. Ils attendent la première occasion pour faire grève et obtenir ainsi une augmentation. Peu à peu l'accord se réalise entre ces meneurs et ceux qui, primitivement, ont résisté. Une sorte de mot d'ordre est donné de ne plus passer en potée. Les marchandises refusées à la salle de réception sont renvoyées à la taillerie. Certains tailleurs consentent à les reprendre, d'autres refusent. La grève approche ; les tailleurs se trouvant dans "un état de surexcitation".

Le vendredi 6 octobre, vers 5 heures et demie du matin, les nommés Gaspard Wekerlé, Charles Anxionnat, Joseph Fournier, Louis Prévot, Constant Diche se présentent au bureau des employés de la taillerie et déclarent aux employés Maire et Richy que les ouvriers ne veulent plus passer en potée ; Wekerlé et Fournier ajoutant "qu'ils seraient bien bêtes de ne pas profiter de l'occasion pour obtenir une augmentation".

Maire et Richy répondent qu'ils ne peuvent que se conformer aux ordres qu'ils ont reçus. Les cinq délégués se retirent et rentrent à la taillerie. Lorsque Richy qui les suivait à distance parvient au seuil de la taillerie, la grève est décidée. Des cris éclatent : "la grève, la grève", cris répétés "avec joie" par tous les apprentis. Sans le moindre tapage, tous les ouvriers sortent de l'atelier et, en groupes, se dirigent vers les auberges de la Verrerie.

X. Mougin fait venir les cinq délégués quelques heures plus tard et leur signifie qu'ils sont congédiés. Les uns font quelques observations, les autres acceptent leur congé sans mot dire. Seul Prévot se rebelle et menace d'un "nous allons voir".

Le directeur X. Mougin, ignorant si la grève va durer, fait appel, dans le but de maintenir l'ordre, au Maréchal des Logis de la gendarmerie de Charmes. Il lui demande de venir faire la tournée des auberges à l'heure de clôture vers 9 heures du soir. La tournée ne donne aucun résultat. Il n'y a personne au cabaret. Le lendemain 7 octobre, le même Maréchal des Logis revient à l'usine, alors que X. Mougin ne l'attend pas, dans le but de procéder à une enquête. Grâce aux témoignages de certains ouvriers, l'enquêteur démontre que Wekerlé, Anxionnat et Prévot sont bien les meneurs et par voie de conséquence, la mesure d'exclusion prise à l'encontre de Diche et Fournier est ajournée.

L'enquête de gendarmerie fait découvrir le rôle de meneurs joué également par Guillaume et Barthe ; ce dernier aurait arraché de son siège un ouvrier qui continuait à travailler malgré les cris des grévistes. Guillaume et Barthe convoqués par X. Mougin, se voient signifier de quitter l'usine dans les trois jours.

Barthe se montre récalcitrant. Le lundi il circule dans l'usine répétant qu'il ne partirait pas, le directeur avertit alors la gendarmerie. Dans la soirée, le Maréchal des Logis qui a reçu de son chef des ordres stricts passe les menottes à Barthe. X. Mougin trouve le procédé "bien dur et regrettable" ; ne craint-il pas pour le bon ordre et la réputation de l'usine 651 ?

Remis en liberté par le Procureur de la République, Barthe revient à l'usine, prend ses effets, se voit régler son compte puis part s'engager à Paris.

Le parquet de Mirecourt diligente le Juge de Paix de Charmes pour mener une enquête. Ce juge se montre un peu maladroit selon X. Mougin qui craint que ces maladresses ne renforcent la cohésion dans l'action du groupe des tailleurs. Le juge prend des mesures plus dures que celles annoncées par X. Mougin. Il déclare ainsi que les congédiés ne doivent recevoir aucun argent et il fait inscrire sur les livrets de Barthe la mention : "congédié à la suite d'une grève". X. Mougin fait supprimer cette mention ultérieurement. Le juge aurait même déclaré aux grévistes qu'il conseillait à la direction de les attaquer en dommages et intérêts, ajoutant que "bien certainement ils seraient tous condamnés".

L'effet pervers de l'action du juge, pressentie par X. Mougin, se réalise puisque dans la soirée du mercredi, l'accord est unanime entre les grévistes. Dès le jeudi cependant, des revirements se produisent. Deux ouvriers Laroche et Bailly demandent à travailler à nouveau, ce que X. Mougin accepte. Ces deux tailleurs, qui n'ont pas pris parti pour la grève dès le premier jour, souhaitent ne faire que des pontils dans un souci évident de ne pas apparaître comme des briseurs de l'action entreprise. D'autres demandes de reprise arrivent dans les jours qui suivent car les ouvriers trouvent "le temps long de ne pas travailler". Beaucoup de tailleurs habitent Moriville et ce lundi d'octobre étant jour de fête du village, X. Mougin préfère attendre le mardi pour accepter la demande de reprise du travail. Il souhaite par ailleurs que la reprise soit la plus complète possible pour la bonne marche de la taillerie. La grève cesse, tout rentre dans l'ordre. A. Thouvenin, directeur général, qui s'est rendu sur place signale que "la grève semblait toucher à sa fin, que l'ordre le plus parfait n'avait pas cesser de régner dans l'établissement et que les désordres moraux des ouvriers tailleurs n'avaient eu aucune sorte d'influence sur le reste du personnel".

X. Mougin, quant à lui, ajoute "que rien dans ce qui s'est passé ne peut laisser supposer que la société internationale soit pour quelque chose dans ce qui a eu lieu" 652 .

Les conséquences de cette grève se limitent donc au renvoi de trois des meneurs sur proposition du directeur, avec l'accord du directeur général A. Thouvenin et du président du conseil d'administration G. Chevandier. Edouard Bournique considéré comme l'un des principaux chefs de la grève doit être "surveillé de tout près". D'abord congédié, ce tailleur, "convaincu d'avoir poussé ses camarades à la grève", est repris sur ses promesses de rester rangé. Il sera par la suite renvoyé définitivement car étant "pris de boisson", il "a traité les employés de la taillerie de la façon la plus inconvenante". Cette grève a néanmoins des répercussions à plus long terme ; en 1882, S employé de bureau est renvoyé pour avoir fait "des propositions honteuses" à plusieurs femmes et notamment à l'une des religieuses chargées de l'école de filles et après avoir "provoqué la débauche", avec commencement d'exécution, de deux petites filles de 12 ans. Or S est le gendre de la veuve L dont le mari a continué à travailler durant la grève des tailleurs de 1876. Ce comportement passé du mari permet à la belle-mère de S et à ses filles de continuer à travailler à l'usine et de conserver leur logement. Toutefois, le logement appartenant à l'usine, S est interdit de séjour chez sa belle-mère la veuve L.

"La question de moeurs, de principes, de conduites passent en première ligne" dit G. Chevandier.

Quels enseignements tirer de cette grève ? En premier lieu, nous pensons qu'il s'agit d'une action locale et catégorielle qui ne mobilise pas tous les tailleurs et qui n'engage pas les autres ateliers bien que J. Richard avance l'idée que quelqu'un conseille et pousse les tailleurs : "peut-être bien une intervention de la société communiste internationale dite internationale". En second lieu, elle touche un groupe d'ouvriers occupant une position clé dans la production et, à ce titre, elle inquiète les patrons.

En troisième lieu, nous voyons que la direction est obligée de se montrer conciliante. X. Mougin tout en faisant preuve d'une certaine fermeté par le renvoi de trois meneurs regrette l'attitude de provocation de la gendarmerie et du juge de paix de Charmes. Cette attitude de conciliation s'explique par le fait que le directeur veut prévenir tout développement, toute extension de l'action des tailleurs mais aussi par le fait que l'usine dans une période de croissance de la production manque de tailleurs. En quatrième lieu, nous voyons les tailleurs venir faire amende honorable pour reprendre le travail parce qu'il n'y a guère de possibilité de travail hors de la verrerie et de surcroît, l'usine assure le logement aux familles d'ouvriers souvent nombreuses. Les tailleurs s'engagent bien momentanément au travail des champs mais cela ne peut durer. L'usine est par conséquent en position dominante pour négocier. Enfin, la grève laisse des traces. La direction place les grévistes et surtout quelques meneurs supposés sous surveillance et lorsqu'il y a la moindre incartade par la suite, elle n'hésite pas comme dans le cas d'Edouard Bournique à sanctionner. La direction est parfaitement explicite. Après la grève des boucheurs, en 1874 elle note : (cet ouvrier) "faisant partie de la grève de boucheurs, d'après les renseignements pris, il en avait été le promoteur ; ouvrier à surveiller et à congédier à la première faute qu'il commettra". A l'inverse, un comportement en demi-teinte lors de la grève peut tourner quelques années plus tard au bénéfice de la famille élargie du gréviste comme c'est le cas pour la belle-mère de S, ci-dessus évoqué. X. Mougin n'est pas un homme très dur envers son personnel. Toute autre est l'attitude de G. Chevandier qui écrit à A. Thouvenin "notre besogne : tranquillement et sans battre la grosse caisse, renvoyer sans miséricorde tous ceux de nos ouvriers qui, de façon ou d'autres, auraient été ou compromis ou en évidence dans un regrettable conflit".

X. Mougin a congédié le meneur et le lendemain les verriers pour la plupart regrettant de s'être laissés entraîner dans une si mauvaise voie avaient repris leur calme habituel.

Si la grève débouche sur des sanctions d'intensité variable : renvois, rétrogradations de carrière, réprimandes... le fait, pour un verrier de tenter de syndiquer ses camarades est considéré comme un "complot". C'est à ce titre que François Schirard 653 , ouvreur, est congédié par le directeur X. Mougin en janvier 1891. Douze autres verriers recensés comme ayant fait partie du "complot" sont étroitement surveillés par la direction. Manifester contre le patron s'apparente également à un "complot". Cinq verriers parmi le groupe des douze sont entrés au café Houël en manifestant contre les patrons et ceci, malgré la présence d'employés de l'usine qui se font insulter par l'un des verriers. Les actes commis ou les paroles proférées hors de l'usine pèsent d'un même poids que ceux ou celles commis ou proférées à l'intérieur de l'usine. X. Mougin explique au conseil d'administration qu'une forte agitation a été provoquée par un ouvrier "étranger" qui a persuadé les verriers, soit à l'usine, soit au cabaret qu'il était de leur intérêt de se syndiquer avec les verriers lyonnais 654 . X. Mougin réunit les verriers pour leur faire comprendre "avec beaucoup de calme et de fermeté" qu'ils étaient dans une mauvaise voie et "qu'ils ne seraient que les dupes et les fournisseurs d'argent des lyonnais qui sont toujours en grève".

Par la suite, avant l'organisation des mouvements revendicatifs structurés dans le cadre syndical, d'autres actions naissent.

Dans son numéro du 5 juillet 1914, la "Voix des Verriers" organe de la C.G.T., paraissant à Paris deux fois par mois, porte contre le directeur de Portieux A. Richard, des attaques particulièrement virulantes. Ce journal l'accuse de ne pas laisser à ses ouvriers leurs libertés politiques, de les obliger à voter pour lui aux élections municipales et ajoute que la peur dirige tous les actes du personnel. Bien d'autres attaques sont portées envers le patron. La "Voix des Verriers" lui reproche d'avoir fait voter la construction de la route de Portieux "malgré la révolte des conseillers municipaux" pour favoriser certains brasseurs de sa famille ; de verser des salaires peu élevés par rapport à ceux octroyés dans les autres verreries ; de baser les retraites sur des salaires diminués à l'approche du départ ; de ne pas faire participer les ouvriers aux bénéfices dégagés par l'économat ; de ne pas permettre de contrôler si les bénéfices correspondent à la réalité... Point par point, le directeur répond à ces critiques. Il fait afficher sa réponse dans l'usine 655 .

Cet essai de déstabilisation de la direction ne débouche sur aucune revendication de la part du personnel. Nous sommes le 23 juillet 1914, la guerre est sur le point d'éclater et puis... A. Richard est un patron incontesté.

Après la guerre naissent des mouvements de revendication destinés à obtenir des augmentations de salaire. A Vallérysthal, en mars 1919, les tailleurs s'agitent et menacent de faire grève s'ils n'obtiennent pas une augmentation de 30 %. Le conseil d'administration autorise Lacombe à procéder à un relevé des salaires de 25 % en lui précisant de ne pas attendre des menaces comminatoires pour proposer des augmentations en faveur des ouvriers des autres ateliers 656 . A la même époque, alors que l'on s'efforce de remettre en route l'usine, un commencement de grève éclate. Les grévistes quittent les deux fours en fusion. Ils réclament une augmentation de salaire. Une affiche apposée dans l'usine prévient les grévistes qui veulent rentrer qu'ils doivent se faire inscrire au bureau.

En octobre 1925, une agitation assez sérieuse se produit à la verrerie. Un matin, les gamins quittent brusquement le travail à la halle arrêtant ainsi la fabrication. Ils ne reprennent leurs tâches que dans la soirée. Cette agitation est attribuée, par le directeur, d'une part aux agissements de verreries qui ne font pas partie de la chambre syndicale et qui cherchent à débaucher des ouvriers en leur offrant des salaires tout à fait exagérés et d'autre part "aux excitations de meneurs du dedans et du dehors". La presque totalité du personnel signe une liste de réclamations qui est remise au directeur. Le conseil d'administration prend alors, rapidement, un certain nombre de décisions qui sont communiquées au personnel et affichées dans les ateliers :

  • il ne peut être tenu compte de la demande d'augmentation de 250 francs par ouvrier ; "pareille augmentation ne pouvant conduire qu'à la ruine pure et simple de l'usine" ;
  • il ne peut être rien changé en ce qui concerne la caisse de secours ; les améliorations apportées au régime de retraite depuis la guerre ne pouvant subsister sans les allocations que lui octroie chaque année l'assemblée des actionnaires ;
  • la paie aura lieu deux fois par mois, la première partie sous forme d'avance correspondant à la moitié environ du salaire du mois précédent, celle de la fin du mois comportant le compte définitif ;
  • la caisse de secours sera payée chaque mois ;
  • il ne peut être admis que de la marchandise mal fabriquée soit acceptée comme bonne ;
  • en cas de chômage provoqué par le manque de commandes, le conseil se réserve de prendre toute décision que lui dicteront les circonstances.

Tenant compte du désir du personnel, il est décidé de supprimer les allocations diverses au moment où le franc à une valeur stable. Les salaires seront calculés de manière à améliorer la situation du personnel en tenant compte de la capacité professionnelle de chacun. Des suppléments de salaire sont accordés, à titre transitoire, en attendant l'élaboration de nouveaux tarifs de main-d'oeuvre, ce qui demande plusieurs mois :

  • ouvreurs premiers et deuxièmes souffleurs, 6 % de leur gain mensuel total, tout compris ;
  • chefs de chantiers de la taillerie, graveurs à la roue, 6 % également .
  • troisièmes et quatrièmes souffleurs, 5 % ;
  • coupeuses, biseauteuses, rebrûleuses, ouvriers et ouvrières de la gravure chimique, 5 % ;
  • fondeurs, tiseurs, emballeurs, maréchaux, menuisiers, ciseleurs et ajusteurs, 5 % ;
  • cueilleurs, 4 %.

Les gamins touchant plus de cinq fois leur gain d'avant-guerre ne voient pas leur situation modifiée.

Le conseil d'administration précise en conséquence que les prix de vente seront relevés car les prix pratiqués pour éviter le plus possible le chômage sont notoirement insuffisants pour couvrir l'augmentation des dépenses, sans porter atteinte à la bonne marche de l'usine. Pensant avoir enrayé la grève en donnant satisfaction aux ouvriers, la menace tombe : "il reste entendu que si même une seule catégorie d'ouvriers venait à abandonner le travail, l'usine serait immédiatement arrêtée, les diverses catégories ne pouvant travailler les unes sans les autres".

Une certaine agitation continue à régner à la verrerie puisque le 9 novembre des ouvriers, sans avoir formulé aucune réclamation, ne se présentent pas à l'heure. La hausse des salaires décidée à la suite de la réunion de la chambre syndicale des maîtres de verreries avait pourtant été affichée. Durant deux jours l'usine reste fermée. Douze délégués viennent alors dire au directeur que le personnel reconnaît avoir mal agi et qu'il demande que la nouvelle augmentation soit par tête et non par catégorie. La question de l'heure de la prise de poste est également posée. Le patron donne satisfaction à ces revendications et le travail reprend le 13 novembre sans incident.

En décembre 1928, les quatrièmes et les gamins quittent le travail un jour mais le reprennent à la suite des propositions d'augmentation de salaires.

Autrement plus inquiétante est la grève qui se déroule à Vallérysthal depuis le 18 juin 1929 car elle est structurée et l'on craint qu'elle ne contamine l'usine de Portieux 657 . D'après le rapport de gendarmerie, cette action serait orchestrée par des militants communistes de Moselle. A. Richard pense que la grève en question est politique, que les dirigeants en sont les députés Melck et Bilger soutenus par "des curés autonomistes acharnés" et qu'ils s'attaqueront aux autres usines s'ils sortent victorieux du conflit.

La grève de Vallérysthal est décidée lorsque la direction renvoie huit ouvriers, "camarades" désignés par leurs collègues pour entrer en pourparlers avec la direction. A bulletin secret neuf cents ouvriers se prononcent pour l'action contre quarante. Seuls "quelques journaliers et ouvrières, pour la plupart parents d'employés de la direction, qui jouent le rôle de briseurs de grève se présentent au travail". Selon le comité des ouvriers de la verrerie de Vallérysthal, la grève est déclarée pour "des raisons purement économiques et sociales".

Ce comité explique que depuis 1922, le coût de la vie a augmenté de 105 %, tandis que les salaires n'ont été relevés que de 20 %. La valeur des salaires a donc diminué considérablement et "il s'en suit que la situation des ouvriers de Vallérysthal est des plus précaires". L'action est justifiée "puisque l'opinion toute entière soutient la cause (...) des travailleurs de Vallérysthal".

A. Richard qui suit les événements avec beaucoup d'attention ne semble pas partager cet avis. Il note "qu'on fait couper les arbres et faucher les récoltes avant maturité de quelques ouvriers restés fidèles à l'usine". Toujours selon le patron bon nombre d'ouvriers souhaitent travailler mais craignent "les militants".

L'inquiétude de A. Richard est fondée dans la mesure où trois militants de Vallérysthal se présentent à Portieux le 4 juillet 1929 pour y distribuer de nombreux tracts 658 . Ces tracts expliquent la situation de manière à ce que les faits ne soient pas dénaturés par la direction. Ils demandent aux ouvriers de Portieux de refuser les heures supplémentaires. En effet, l'augmentation de la production de Portieux compromettait les chances de réussite du mouvement de Vallérysthal. Il s'agit donc d'un appel à la solidarité mais également d'une offre déguisée d'entrer en grève pour appuyer les revendications. La brigade de gendarmerie de Charmes note que "les militants communistes de Moselle" ont reçu un accueil plutôt froid de la part des ouvriers et de la population de la Verrerie et qu'en conséquence, ils ont quitté la localité sans faire de réunion. Le 5 juillet, le commandant de la brigade de Charmes se rend à l'usine pour constater qu'aucun ouvrier n'a quitté son travail et que tout fonctionne comme à l'ordinaire.

S'il ne peut accepter la revendication salariale par l'action de grève, A. Richard n'en reconnaît pas moins implicitement le bien fondé puisqu'en 1931, il ne veut pas suivre A. Lacombe, directeur de Vallérysthal dans sa proposition de diminution des primes de fin d'année.

"La gratification complète en quelque sorte un salaire peu élevé comparé à celui de bon nombre d'ouvriers proprement dits. Le salaire d'un employé moyen n'étant guère supérieur à celui d'un manoeuvre".

Cette grève de 1929 à Vallérysthal affiche une conscience ouvrière qui se structure en prenant appui sur un parti politique et sur un syndicat organisé. L'usine de Portieux ne connaît ce type de lutte qu'une dizaine d'années plus tard rebondissant, assez tardivement d'ailleurs, sur les événements du front populaire.

Notes
650.

Ce passage relatif aux conflits sociaux prend appui sur :
les lettres de G. Chevandier ; 37 J 31, A.D.M.
les registres des délibérations du conseil d'administration ; 37 J 18, A.D.M.
le registre des tailleurs ; A.P.

651.

Trouvant que X. Mougin n'a pas assez d'autorité morale et d'influence, le président envoie A. Thouvenin à Portieux. Ce dernier peut se permettre d'avoir une attitude intransigeante dans la mesure où il n'a pas le contact direct et une longue pratique avec les ouvriers. A l'inverse X. Mougin connaît trop son personnel, des liens psycho-affectifs se sont noués.

652.

Nous suivrons volontiers X. Mougin dans l'affirmation que "la société internationale" n'y est pas pour grand chose dans ce conflit. Jules Richard pour sa part affirme le contraire. Ne veut-il pas dramatiser la situation pour réprimer ou faire réprimer toute forme de revendications ?

653.

François Schirard : ouvreur entré le 1er juillet 1890, sorti le 15 janvier 1891 : registre des verriers ; A.P.

654.

Voilà une autre raison de la méfiance des patrons vis-à-vis des étrangers, des "roulants" : le colportage d'idées syndicales.

655.

53 J 714, A.D.V.

656.

37 J 26, A.D.M.

657.

37 J 26 et 8 M 245, A.D.M.

658.

A propos du tract, voir annexe p 672.